Intervention de Laurent Kalinowski

Réunion du 18 décembre 2013 à 16h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Kalinowski, député, rapporteur :

Merci Monsieur le Président. Mes chers collègues, avec Jean-Marc Pastor, nous allons aujourd'hui vous présenter le rapport final de notre étude sur les usages énergétiques de l'hydrogène.

Nous vous avions tenu informés de l'avancement de nos travaux au mois de juin dernier, à l'occasion d'un point d'étape, afin d'apporter notre contribution au débat sur la transition énergétique. Comme je ne suis pas certain que vous ayez tous été présents à cette réunion, nous allons revenir sur certains des thèmes que nous avions abordés à l'époque, en essayant de leur donner, dans la mesure du possible, un nouvel éclairage. Mais pour éviter de lasser les plus assidus d'entre vous, nous avons choisi d'insister surtout sur nos recommandations majeures.

Ainsi que nous l'avions précisé en juin dernier, nous nous sommes attachés, avec Jean-Marc Pastor, à suivre scrupuleusement la démarche d'investigation qui est celle de l'Office. Nous avons procédé à une large consultation, au travers d'auditions et de plusieurs déplacements sur le terrain, en France comme à l'étranger. Au total, au cours de notre étude, nous avons ainsi rencontré près de deux cents acteurs directement impliqués dans les usages énergétiques de l'hydrogène ou, plus largement, les questions énergétiques. Depuis notre point d'étape, nous avons organisé une audition publique ainsi que plusieurs auditions privées et nous nous sommes rendus en Lorraine, avec Jean-Yves Le Déaut, pour visiter le laboratoire d'énergétique et de mécanique théorique et appliquée – le LEMTA – et dialoguer avec les industriels impliqués dans la démarche en cours, dans le cadre du PACTE Lorraine, pour la construction d'une filière hydrogène dans cette région.

Je voudrais aussi revenir sur la saisine à l'origine de notre étude. Le président de la Commission des affaires économiques du Sénat précisait dans celle-ci qu'il souhaitait que les nombreuses questions posées par le développement d'une filière hydrogène allant de la production de ce gaz à son utilisation, en passant par son stockage et son transport, soient étudiées avec le plus grand soin. C'est en priorité ce que nous nous sommes attachés à réaliser avec Jean-Marc Pastor. Toutefois, nous n'avons pas non plus voulu ignorer le contexte actuel qui est celui des réflexions en cours sur la transition énergétique, ni la question des conditions du développement d'une filière hydrogène nationale.

Avant de laisser la parole à Jean-Marc Pastor sur ce deuxième volet de notre étude, je vais donc d'abord m'attacher à répondre succinctement aux questions du président de la Commission de l'économie du Sénat sur les problèmes que posent les différentes étapes de production, de stockage, de transport et de distribution de l'hydrogène.

L'hydrogène est, pour tout dire, un gaz aux propriétés singulières. Ainsi, il est – et de loin – l'élément le plus répandu sur notre terre, et pourtant il est presque impossible de l'y trouver sous une forme autre que combinée avec de l'oxygène ou du carbone. De la même façon, il présente tout à la fois une très grande densité énergétique par unité de poids et très faible par unité de volume. Ce sont ces caractéristiques, quelque peu paradoxales, qui expliquent les difficultés qu'a pu poser – et pose encore – son utilisation industrielle.

J'en viens d'abord à sa production. L'hydrogène, comme je viens de l'indiquer, est rarement présent à l'état naturel sous la forme pure de dihydrogène. Des sources d'hydrogène existent néanmoins sur notre planète. L'IFP Énergies nouvelles s'emploie d'ailleurs depuis quelques mois à les identifier et à évaluer la faisabilité de leur exploitation. Lors de l'audition publique que nous avons organisée le 30 octobre dernier sur les enjeux du vecteur hydrogène, M. François Kalaydjian, directeur adjoint aux ressources énergétiques de cet institut, a d'ailleurs précisé la localisation des sources possibles en Europe : au nord de l'Italie, à Chypre, en Grèce, en Russie, ainsi qu'en faible quantité dans le bassin du sud-est de la France. Il a aussi confirmé ce que nous avait dit son président, M. Olivier Appert : la découverte d'une nouvelle source d'énergie ne garantit pas que celle-ci sera exploitable dans des conditions économiques et environnementales acceptables. Aussi, nous considérons, avec Jean-Marc Pastor, que ces recherches doivent être poursuivies, en donnant bien entendu la priorité aux potentialités de notre territoire national.

En attendant d'avoir plus de certitudes sur les conditions d'exploitation de cet hydrogène naturel, l'essentiel de l'hydrogène produit aujourd'hui – soit environ un million de tonnes en France destinés en priorité à la chimie et à la pétrochimie – l'est à partir de gaz naturel ou d'autres hydrocarbures. Les technologies correspondantes, vaporeformage, vapocrackage, etc., sont bien maîtrisées et sans cesse optimisées – l'IFPEN travaille également sur cette question moins révolutionnaire que l'hydrogène naturel. En sortie d'usine, le prix moyen de l'hydrogène obtenu, de l'ordre de deux euros le kilo, est tout à fait compétitif. Pour autant, utiliser cet hydrogène comme substitut aux hydrocarbures n'aurait que peu d'intérêt, puisque ça production est émettrice de CO2. Il en va bien entendu tout autrement si l'on remplace le gaz naturel par du biogaz ou le charbon par des matériaux ligneux.

Mais le mode de production de l'hydrogène le plus prometteur à court et à moyen terme pour les applications énergétiques est l'électrolyse de l'eau. Depuis sa découverte au XVIIIe siècle, ce procédé a fait l'objet de nombreux développements. Il existe à ce jour trois technologies principales : les électrolyseurs alcalins, à membrane à échange de proton (PEM) et à électrolyte céramique solide. Malheureusement, chacune de ces trois technologies présente des inconvénients.

Compte tenu de ces limites, nous pensons que le domaine de l'électrolyse reste un champ d'investigation scientifique et de développement industriel assez largement ouvert. L'extension des applications énergétiques de l'hydrogène devrait conduire à un accroissement de la demande en électrolyseurs de toutes tailles. Nos centres de recherche et nos industriels sont plutôt bien placés dans ce domaine. Il s'agit donc d'un axe de développement à soutenir.

Pour aider au développement, dans notre pays, de ce marché prometteur de l'électrolyse, nous proposons une première mesure qui nous semble être de bon sens. Il s'agirait de la détaxation de l'électricité destinée à l'électrolyse de l'eau. Cette mesure n'est d'ailleurs que l'inversion, dans un sens vertueux, de celle prévue aujourd'hui par le Code des douanes en faveur des installations de production d'électricité à partir d'hydrocarbures.

Je vais dire à présent quelques mots du transport, du stockage et de la distribution de l'hydrogène. Principalement du fait de sa très faible densité, son stockage, son transport et sa distribution s'avèrent plus difficiles que pour les carburants liquides.

Néanmoins, les progrès réalisés dans le domaine du stockage, sous pression – à 350 ou 700 bars –, ou sous forme solide, notamment dans les hydrures, font que même dans le cas d'une application exigeante, comme les transports automobiles, la palette de solutions disponibles devrait permettre de répondre aux besoins, à des coûts potentiellement acceptables, après industrialisation.

Il en va tout autrement dans le cas du transport de l'hydrogène, qui reste et restera sans doute à l'avenir coûteux. Pour cette raison, nous estimons que les solutions permettant de produire l'hydrogène au plus près des lieux de consommation, de façon décentralisée, doivent être privilégiées.

Quant à la question de la distribution de l'hydrogène, elle se pose d'abord dans le secteur automobile. Est-il possible de mailler le territoire avec des stations à hydrogène, comme cela a été fait par le passé pour l'essence et le diesel, ou pour le gaz naturel véhicule dans certains pays ? Faut-il le faire avant ou après le déploiement d'un parc de véhicules à hydrogène et à quel rythme ? Certains pays, comme le Japon, la Corée, mais aussi l'Allemagne ou les pays de l'Europe du nord, ont, semble-t-il, répondu à cette question puisqu'ils prévoient d'installer, par avance, plusieurs dizaines ou centaines de stations à hydrogène. À fin 2012, plus de 200 de ces stations étaient installées dans le monde.

Dans des pays tels que l'Allemagne, la Corée du Sud ou le Japon, ce sont les constructeurs automobiles qui prendront en charge la plus grande partie des investissements nécessaires, puisque c'est le préalable à la commercialisation de nouvelles gammes de voitures à hydrogène dont la sortie est annoncée aux alentours de 2017. En France, cette solution n'est bien entendu pas envisageable, nos constructeurs ayant privilégié la voiture électrique.

Prenant en compte cette réalité, un certain nombre d'acteurs industriels français proposent une solution alternative qui nous semble prudente. Celle-ci consiste à déployer de petites stations à hydrogène avec des parcs de véhicules utilitaires électriques dotés d'un système de prolongation d'autonomie à hydrogène. Au départ dédiées, ces stations pourraient par la suite être ouvertes au public. Si cette proposition devait se concrétiser, par exemple dans le cadre du programme hydrogène Mobility France, déclinaison nationale d'un programme européen, nous pensons qu'il faudra très vite mettre en place une incitation à l'ouverture au public de ces stations. C'est en effet dès avant leur installation que cette possibilité doit être prévue.

J'en viens au dernier maillon de la chaîne de la filière hydrogène : celui de l'utilisation. La quasi-totalité des utilisations énergétiques de l'hydrogène passe par un dispositif permettant de produire directement de l'électricité : la pile à combustible qui fait appel à un principe inverse à l'électrolyse.

Tout comme pour les électrolyseurs, il existe plusieurs catégories de piles à combustibles, dont deux principales : les piles à basse température à membrane d'échange de protons – bien adaptées aux applications de mobilité – et les piles à oxydes solides qui fonctionnent à très haute température – mieux adaptées aux applications stationnaires.

Ce sont les progrès réalisés dans ces deux catégories de piles à combustible, sur le plan du prix, de la fiabilité et de la durée de vie, qui expliquent que les applications énergétiques de l'hydrogène se multiplient, même si elles se limitent pour l'instant à des marchés de niche. En 2012, 46 000 piles à combustible ont été commercialisées dans le monde, soit une croissance de 86 % en un an. Ce sont les piles destinées aux appareils portables qui se sont le plus développées avec 19 000 unités et une croissance de 174 %.

Ainsi que l'a montré notre audition publique du 30 octobre 2013, ces marchés de niche concernent actuellement des applications telles que l'autonomie énergétique des sites isolés ou les chariots élévateurs, dans le cadre desquelles la pile à combustible et l'hydrogène parviennent progressivement à s'imposer face aux technologies existantes. Ces marchés devraient précéder des applications à destination du grand public, dans des domaines tels que l'aide à la mobilité, pour le rechargement des téléphones et ordinateurs, l'automobile ou la micro-cogénération, c'est-à-dire la production d'électricité et de chaleur dans les bâtiments.

En ce qui concerne l'automobile, étant donné les choix des grands constructeurs nationaux, ce sont des acteurs de plus petite taille qui essayent d'identifier des applications de mobilité pour lesquelles le véhicule à hydrogène pourrait devenir concurrentiel face aux autres solutions disponibles sur le marché. L'un de ces marchés est celui des véhicules utilitaires. Ces derniers représentent 15 % des véhicules légers, mais roulent et polluent plus que les voitures de tourisme. C'est pourquoi nous préconisons de favoriser le développement des solutions de prolongation d'autonomie basées sur l'hydrogène – et secondairement des voitures électriques qui sont toutefois moins bien adaptées à ce marché – en étendant le bénéfice du bonus écologique aux véhicules utilitaires dont le seuil d'émission de CO2 est inférieur à 20 gkm. Afin de ne pas alourdir la fiscalité des entreprises, ce bonus serait uniquement gagé par un aménagement du malus écologique sur les véhicules de tourisme.

À côté de ces applications qui font appel à la pile à combustible, s'en développe une autre qui concerne la réutilisation directe de l'hydrogène dans le réseau gazier, c'est ce que nos voisins allemands ou anglo-saxons nomment le « Power to gas ». L'intérêt de cette technologie est de permettre des échanges dans les deux directions, entre réseau électrique et gazier. Jusqu'à présent, seule la production d'électricité à partir du gaz était possible. L'électrolyse combinée à l'injection d'hydrogène permet désormais de déverser dans le réseau de gaz naturel les surplus de production électrique, notamment à partir d'énergies renouvelables intermittentes. D'après une étude présentée par GRT Gaz, à l'horizon 2030, ce sont 25 térawatts-heure de production annuelle excédentaire qui pourraient ainsi être convertis pour réduire nos importations de gaz pour un coût final équivalent à celui de ce dernier.

Après avoir présenté nos principaux constats sur les différentes parties de la chaîne de l'hydrogène, je vais à présent donner la parole à Jean-Marc Pastor qui va évoquer les conditions du développement d'une filière hydrogène nationale.

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