Dans le cadre de ces travaux, nous nous sommes donc déplacés deux jours en Grèce. En effet, de nombreuses auditions sur ces problématiques avaient souligné l'importance de cette frontière dans l'immigration illégale en Europe, mais également sur la situation humanitaire des demandeurs d'asile pointée par la CJUE et la CEDH, qui a amené à la révision du règlement de Dublin II.
Il faut rappeler que, en ce qui concerne les immigrés illégaux arrivés récemment en Grèce, les procédures d'obtention d'un statut légal sont entravées par le manque de moyens administratifs. La crise économique et sociale a accru les difficultés d'intégration de ces immigrés, comme le montre la multiplication des actes de violence raciste. Ce sont deux constats que nous avons pu tirer dès le début de notre mission.
Début 2013, un plan ambitieux sur l'immigration et l'asile a été mis en place, afin d'améliorer le traitement des demandes d'asile notamment (moins de 1% des demandes d'asile faites en Grèce aboutissent avant appel, contre 14,5 % en France et 30 % en Allemagne).
Dès l'été 2012, des opérations policières avaient été dépêchées afin de sécuriser la frontière, avec des résultats concluants. La première opération, sous le nom d'«Aspida » (bouclier) a consisté à dépêcher 1 800 policiers le long du fleuve qui sépare la Grèce et la Turquie, l'Evros, effectif ramené à 1 200 par la suite. Cette opération a été appuyée par Frontex – opération « Poséidon Land ». De juillet 2012 à juin 2013, l'opération « Xenios Zeus » – accueillir l'étranger – a mis l'accent sur les contrôles en zone urbaine, le déploiement de patrouilles terrestres et fluviales, ainsi que sur l'envoi d'un contingent de 2 000 policiers à la frontière de l'Evros. En 2012, une clôture de 12,5 kilomètres a été construite sur la partie franchissable à pied de la frontière avec la Turquie.
Début 2013, un plan national sur l'immigration et l'asile a été mis en place, pour traiter d'une manière plus globale le flux d'immigration clandestine et construire un système d'asile conforme aux normes européennes. Ce plan comporte plusieurs axes. Tout d'abord, une meilleure surveillance des frontières terrestres gréco-turques : au premier semestre 2013, les interpellations d'étrangers en situation irrégulière ont baissé de 57% par rapport à la même période en 2012 – la présence policière a donc eu un véritable effet de dissuasion sur les filières de clandestins. Ensuite, l'augmentation des capacités de rétention : l'objectif est de doubler les capacités totales des six centres existants actuellement, tout en fermant des centres indignes, inhumains. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de visiter un de ces centres à la frontière avant la Turquie, ainsi qu'un centre de primo-arrivants : les conditions de vie n'étaient effectivement pas les mêmes, avec des cellules de 60 personnes pour le premier ! L'augmentation du nombre de retours est également un objectif de ce plan. Enfin, ce plan doit permettre- la mise en place d'un système d'asile aux normes européennes : la mise en oeuvre de la loi de 2011 visant à créer un service de premier accueil, un service d'asile et une autorité de recours a été accélérée, et doit permettre à la Grèce d'améliorer le traitement des demandes d'asile grâce à la nomination de fonctionnaires civils formés à cet effet. Ce nouveau service est opérationnel depuis juin 2013, et doit à terme prendre le relais des autorités de police. Des centres de premier accueil, destinés à héberger pour une durée maximale de 24 jours les primo-arrivants dans de bonnes conditions, vont progressivement être ouverts. Le premier est opérationnel depuis avril 2013.
Le coût de ces mesures est estimé à 500 millions d'euros, dont 50 % seraient financés par la Grèce et 30 % par des fonds européens. Plus de 70 millions ne sont toujours pas financés. La Grèce souligne régulièrement qu'elle supporte un surcoût lié à sa situation géographique, et a plaidé contre les règles de Dublin II lors de la réforme de la politique de l'asile, en émettant l'idée d'une répartition des demandeurs dans les pays européens en fonction du poids démographique et des capacités financières de chacun.
Nous avons rencontré deux ministres, le ministre de l'ordre public, M. Dendias et le ministre de la marine marchande et de la mer Egée, M. Varvitsiotis. Depuis que la clôture a été réalisée, un redéploiement des forces a été nécessaire, en prenant en compte à la fois l'armée – la marine – et la police - la coordination de ces deux forces a d'ailleurs posé des difficultés. Nous avons rencontré Frontex, qui nous a fait part du travail mené sur place et de la nécessité de continuer à plaider pour que Frontex continue à avoir des opérations sur cette frontière. Nous avons également rencontré - des ONG travaillant sur les questions d'asile et d'immigration, et notamment les responsables d'associations de défense des droits des migrants, ainsi que des migrants eux-mêmes.
Sur l'immigration illégale, les constats ont été partagés par le directeur des étrangers de la direction de la police, le ministre de la marine marchande et le directeur de la police d'Oresteiada : ils ont insisté sur le fait que l'Union européenne doive continuer à appuyer la Grèce sur ces questions. Sur la question de l'asile, la directrice de l'asile a présenté le nouveau service régional de l'Attique, qui est placé sous son autorité et compte 100 personnes – avocats, travailleurs sociaux, traducteurs. Il a enregistré 1 046 demandes d'asile entre le 7 juin et le 19 juillet. Ces demandes proviennent de ressortissants de 52 pays différents, les plus représentés étant l'Afghanistan, le Pakistan, la Géorgie. C'est un projet pilote, qui ne fonctionne pas encore de manière totalement opérationnelle : à terme, il devrait pouvoir traiter 32.500 demandes par an. Malgré les difficultés de mise en place, nous avons noté une véritable volonté d'agir.
Nous avons également visité le service de premier accueil de Fylakio. Il n'accueille pour le moment que 63 immigrés – dont beaucoup de jeunes majeurs, pour une capacité de 240 personnes. Nous avons rencontré des interprètes, qui essayent de constituer des dossiers de demande d'asile. Les demandes, très importantes, de visas de retour, sont difficiles à obtenir, faute d'accord donné par les pays d'origine. Les responsables ont mentionné la priorité donnée à l'information des migrants, condition préalable à tout exercice de compréhension de leurs droits.
En revanche, s'agissant des mineurs isolés, sujet important dans le cadre de la prise en charge des migrants illégaux ou des demandeurs d'asile, aucun élément permettant à une idée des progrès accomplis n'a été porté à notre connaissance. Nous souhaitons continuer à travailler sur cette question.
Nous souhaitions souligner que cette mission a permis de réaliser l'importance des efforts effectués par la Grèce en matière d'asile et d'immigration, malgré un contexte économique, social et géopolitique très compliqué. Nos interlocuteurs, notamment au Gouvernement, ont clairement souligné qu'ils étaient très volontaires sur ces sujets mais qu'ils avaient besoin d'un accompagnement de l'Union européenne, notamment financier.
Comme nous l'avons rappelé précédemment, 80 % des étrangers en situation irrégulière interpellés dans tout l'espace Schengen entre 2010 et 2012 y avaient pénétré par la Grèce, qui ne représente pourtant que 2 % de la population de l'Union européenne. D'une manière plus générale, environ 90 % des étrangers en situation irrégulière en 2012 ont pénétré dans l'Union européenne par les routes de l'Est de la Méditerranée – Grèce, Chypre –, du centre de la Méditerranée – Italie, Malte –, de l'Ouest de la Méditerranée – Espagne, Portugal – ou par la frontière entre l'Albanie et la Grèce. Ces flux de population sont considérables comparés à la population des pays concernés, et représentent pour ces derniers un coût qui rend nécessaire la solidarité européenne.
Il convient également de rappeler que les problématiques d'immigration irrégulière revêtent de nombreux aspects et relèvent de politiques qui doivent être mieux coordonnées. Une gestion plus solidaire des frontières est nécessaire. Les évènements de Lampedusa montrent bien que si on ne s'attaque pas à ces réseaux mafieux, ces problèmes risquent de nous occuper longtemps encore. J'espère que les élections européennes à venir, ainsi que les travaux qui vont suivre sur Eurosur, permettront de répondre à certaines de ces questions.