Intervention de Maurice Leroy

Réunion du 10 décembre 2013 à 18h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaurice Leroy, vice-président de la CNE :

Merci Monsieur le président. Je voudrais d'abord rappeler que, s'agissant de la séparation et de la transmutation, les réflexions de la Commission sont menées dans le cadre de la loi du 28 juin 2006. Cette loi dispose que les recherches menées sur la séparation et la transmutation doivent être en relation avec celles menées sur les nouvelles générations de réacteurs, les réacteurs à neutrons rapides (RNR) et les réacteurs pilotés par accélérateur de particules (accelerator driven system ou ADS).

La Commission considère, après toutes les auditions, que la stratégie scientifique et technologique des acteurs impliqués dans la mise en oeuvre du premier axe d'étude et de recherche prévu par la loi prépare bien l'avenir en explorant les potentialités des réacteurs à neutrons rapides. Elle rappelle que, si la transmutation des actinides mineurs doit être retenue, il convient que cela soit à la fois avec les solutions proposées par les RNR et les ADS.

Des avancées majeures ont été obtenues dans le domaine de la séparation. Le CEA a mis au point des procédés d'extraction de l'uranium et du plutonium à partir du combustible usé aux fins de recyclage. Par ailleurs, il a aussi mis au point une séparation sélective des actinides mineurs – essentiellement neptunium, américium et curium – à des fins de transmutation éventuelle.

Il convient de rappeler que, si l'on souhaite un jour mettre en place une transmutation des actinides mineurs, il faut veiller à former des personnels de haut niveau capables de conduire les installations futures dans des conditions de sûreté optimales, ce qui implique de maintenir à un niveau d'excellence les études et recherches en séparation et en génie des procédés. Même pour la gestion d'un parc de réacteurs à eau pressurisée (REP), il est nécessaire aujourd'hui d'avoir des experts en ce domaine et de maintenir une excellente compétence.

Concernant les réacteurs à neutrons rapides, le CEA, EDF et Areva mènent les études et recherches nécessaires au développement d'un prototype industriel de réacteur à neutrons rapides, qui a pour nom Astrid. Ce projet doit absolument être mené à terme pour permettre une évaluation complète des capacités des RNR refroidis au sodium et notamment de leur sûreté. Les collaborations internationales, avec les États-Unis d'Amérique et la Russie, jouent un rôle majeur, notamment parce que les dispositifs d'irradiation susceptibles d'être utilisés après la fermeture de Phénix sont en nombre relativement réduit, ce qui conduit à cette collaboration.

Outre les RNR refroidis au sodium, il existe des RNR refroidis au gaz et des réacteurs à sels fondus qui peuvent, éventuellement, utiliser le thorium. De nombreuses mises au point sont encore nécessaires pour ce type de réacteurs, aussi convient-il de poursuivre les études exploratoires engagées, en particulier avec nos partenaires européens, ce qui devrait permettre de lever de nombreux verrous, notamment en matériaux et en conception.

Il convient de souligner qu'Astrid est un prototype industriel électrogène qui peut être couplé au réseau. Il faut impérativement valider industriellement le multi-recyclage du plutonium, puisque ce type de réacteur fonctionne avec un combustible constitué de 75 % d'uranium appauvri et de 25 % de plutonium. Ce dernier est issu du traitement du combustible usé, recyclé pour fabriquer le combustible d'Astrid.

Pour ce qui concerne la transmutation, la Commission considère que les études et recherches doivent porter en priorité sur la transmutation hétérogène du seul américium, en couvertures chargées (CCAm). L'intérêt de la transmutation de l'américium tient à ce qu'il constitue le contributeur principal à l'émission de chaleur par les colis vitrifiés. Des colis de déchets de haute activité à vie longue (HAVL) sans américium nécessiteront moins de place en stockage géologique profond. Pour l'ensemble du stockage, cela reviendrait à réduire l'emprise d'un facteur trois. En revanche, la transmutation a un prix. Sur le plan économique, il conviendra donc de mettre en balance ce gain de place en regard de l'augmentation significative du coût de production de l'électricité engendrée par la transmutation. Selon les estimations du CEA, elle serait de 5 % à 9 % si la transmutation était effectuée en RNR et d'environ 25 % si elle faisait appel aux ADS.

Toutefois – dans un domaine de développement de la science et de la technologie où il y a eu, dans le passé, d'énormes progrès – des percées scientifiques et techniques pourraient modifier profondément la conception de la transmutation. La Commission recommande donc fortement la poursuite des recherches demandées par les lois de 1991 et 2006. Elle estime que ces recherches constituent un objectif très important du programme Astrid.

La réalisation du programme Astrid s'effectue évidemment dans un contexte économique tendu. La Commission considère que la toute première priorité doit être donnée à la réalisation du démonstrateur industriel Astrid ainsi qu'à celle de l'atelier de fabrication de son combustible. Il convient, en effet, de démontrer qu'Astrid est capable de fonctionner au départ avec de l'uranium et du plutonium puis, dans un second temps, avec le plutonium issu de son combustible usé et un simple ajout d'uranium appauvri. Cela permettra de valider son fonctionnement en mode iso-générateur – ce qui signifie que la quantité de plutonium reste constante – avec un niveau de sûreté au moins égal à celui aujourd'hui atteint par les EPR.

La transmutation industrielle de l'américium en mode hétérogène devra alors être testée. Il convient de souligner que les études concernant celle-ci doivent être commencées dès aujourd'hui, sans attendre la finalisation d'Astrid, compte tenu du temps, relativement long, nécessaire et de la nécessité de disposer d'experts capables de travailler avec des actinides mineurs.

En cas de décision d'arrêt ou de réduction de la filière nucléaire, les réacteurs à neutrons rapides présentent l'intérêt de pouvoir travailler en mode sous-générateur consommant le plutonium tout en continuant à produire de l'électricité. Pour permettre la réduction du stock final de plutonium, la possibilité du fonctionnement, avec le même niveau de sûreté, d'Astrid en mode sous-générateur devra impérativement être démontré.

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