Intervention de Maurice Leroy

Réunion du 10 décembre 2013 à 18h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaurice Leroy, vice-président de la CNE :

Vous avez posé la question du projet Astrid. Il y a environ cinq cents personnes qui travaillent sur ce projet, dont 250 du CEA et 250 qui viennent de sociétés parties prenantes. Si la France a retenu la solution du RNR plutôt que de l'ADS, c'est qu'elle considère que le plutonium et l'uranium appauvri sont des matières qu'il convient d'utiliser, et non des déchets. Astrid est un outil visant à valider un parc électrogène RNR ; Myrrha est un projet visant à valider le concept d'ADS pour brûler les actinides mineurs, notamment dans un concept de double strate ; un ADS produit en ordre de grandeur l'électricité nécessaire à son propre fonctionnement. Le choix en faveur d'un réacteur au sodium résulte de l'expérience accumulée en France, avec Phénix et Superphénix, comme aux États-Unis et en Russie, avec le BN-600, actuellement producteur d'électricité. Pourquoi avoir retenu une puissance d'environ six cent mégawatts ? Pour pouvoir passer directement, sans étape intermédiaire, à un réacteur industriel d'environ quinze cents mégawatts. Pour pouvoir faire des extrapolations valables sur le plan de la sûreté pour cette puissance de réacteur, il faut en effet un prototype de six cents mégawatts.

La première question posée concerne généralement les différences entre Astrid et Phénix ou Superphénix. Astrid comporte toute une série d'innovations. En particulier, pour pallier le risque d'incendie résultant d'un contact entre sodium et eau, Astrid comportera des circuits primaire et secondaire à caloporteur sodium ainsi qu'un circuit tertiaire à gaz, solution désormais envisageable compte tenu des progrès accomplis dans les turbines à gaz. En l'absence d'eau dans les circuits, tout risque de contact sera évité. Une deuxième innovation concerne le coeur à faible vidange permettant, en cas d'incident de refroidissement, de faire en sorte que les neutrons, au lieu de rester au coeur du réacteur, partent dans une zone au-dessus du coeur, évitant le déclenchement d'une réaction. Une troisième innovation concerne la présence d'un récupérateur de corium permettant notamment d'éviter que ce dernier se retrouve en condition de criticité. Une quatrième innovation concerne l'opérabilité et tout particulièrement les tests en fonctionnement. Bien que le sodium soit opaque, le développement de toute une série de techniques, telles que les ultra-sons, permet de pouvoir suivre, en temps réel, ce qui se passe dans les circuits de refroidissement. Ces innovations expliquent qu'Astrid soit très en avance sur les réacteurs actuellement en fonctionnement.

Une deuxième question concerne la démonstration de la capacité du réacteur Astrid à fonctionner avec son propre plutonium. Son combustible est constitué d'uranium et d'un quart de plutonium. Le plutonium est consommé mais l'uranium captant des neutrons devient du plutonium. La quantité de plutonium en sortie du réacteur est la même que celle en entrée. Ce plutonium est réutilisable dans un nouveau combustible alors qu'aujourd'hui, pour un parc constitué de REP, dans les Mox composés d'uranium et de 7 % à 9 % de plutonium, la dégradation isotopique de ce dernier ne permet pas de le recycler pour fabriquer un nouveau combustible Mox utilisable en REP. C'est ce qui explique que les Mox usés soient, pour l'instant, entreposés.

Il faudra ensuite utiliser Astrid pour faire la démonstration de la transmutation. Actuellement, on sait transmuter et manipuler l'américium, même si cela s'avère délicat, mais les recherches doivent continuer sur le curium qui pose des difficultés de transmutation et surtout de manipulation. C'est la raison pour laquelle seule la transmutation de l'américium est aujourd'hui envisagée.

S'agissant des ADS, ceux-ci doivent être mis au point et ne pourront être industrialisés avant une vingtaine d'année. À la différence d'un RNR, un ADS ne fournit pas d'électricité autre que celle nécessaire à son propre fonctionnement. Un parc nucléaire pourrait être constitué à la fois de RNR et d'ADS ; un tel parc fonctionnerait selon le concept de double strate pour lequel les RNR, électrogènes, utiliseraient un combustible constitué de 75 % d'uranium appauvri et 25 % de plutonium. Le traitement des combustibles irradiés permettrait la séparation, d'une part, de l'uranium et du plutonium destinés à être recyclés dans les RNR et, d'autre part, des actinides mineurs, qui seraient transmutés dans des ADS ou des RNR, et des produits de fission, qui seraient vitrifiés avec les déchets issus de la transmutation des actinides pour être placés en stockage profond. Cette double strate implique le fonctionnement, à long terme, des RNR en mode sous-générateur pour consommer le plutonium. Le plutonium ne sera pas mis dans un ADS, sauf au cas où il serait considéré comme un déchet et qu'il n'y aurait plus de filière RNR en opération.

S'agissant des risques liés à l'utilisation du plutonium dans des RNR, aujourd'hui, 22 de nos 58 réacteurs fonctionnent avec 7 % à 9 % de plutonium dans des conditions de sûreté maîtrisée. De plus, lorsqu'ils ont été arrêtés, les réacteurs Phénix et Superphénix fonctionnaient parfaitement bien avec un combustible à 15 % de plutonium.

Vous avez demandé si les actinides pouvaient être réutilisés. Dans le passé, en tant que professeur de chimie inorganique, j'expliquais naïvement à mes étudiants que l'indium n'était guère utilisable qu'en bijouterie. Aujourd'hui quasiment tous les téléphones intelligents l'utilisent. Je n'aurais pas la prétention de dire qu'à l'avenir aucune application ne sera trouvée pour l'américium et le curium. Ce que je peux dire c'est que l'utilisation de l'américium en vue d'une transmutation est l'un des objectifs assignés à Astrid. Lorsque que je dis que c'est une deuxième étape, il ne faut pas attendre l'industrialisation d'Astrid pour lancer des études. Après l'industrialisation d'Astrid et la démonstration de la transmutation, les responsables politiques auront toutes les données pour prendre une décision.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion