Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 3 juillet 2012 à 15h00
Déclaration de politique générale du gouvernement débat et vote sur cette déclaration — Déclaration de politique générale du gouvernement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Monsieur le Premier ministre, nous accueillons avec confiance votre gouvernement, d'une part parce qu'il applique les engagements pris devant le suffrage universel, d'autre part parce qu'il est dirigé par vous, dont nous connaissons la loyauté, la sincérité et l'attachement aux droits de l'Assemblée nationale, où vous avez longtemps exercé une fonction éminente en grand parlementaire. Toutefois, notre groupe sera particulièrement vigilant sur la poursuite de quatre objectifs : assurer le redressement, établir une société de justice, respecter le pluralisme politique et enfin restaurer les valeurs républicaines.

Première nécessité, donc : assurer le redressement de notre pays. Vous arrivez au pouvoir dans un contexte économique et financier particulièrement difficile, avec une croissance très ralentie, une progression massive du chômage, qui atteint près de 10 % de la population active, un déficit public très élevé et enfin une flambée de la dette publique, qui atteint aujourd'hui 1 789 milliards, soit près de 90 % du produit intérieur brut. Son remboursement est devenu le premier poste budgétaire, ce qui limite fortement la marge de manoeuvre de l'action publique. Un pays qui perd ainsi la maîtrise de ses finances publiques risque de perdre la maîtrise de son destin.

Vous n'êtes à Matignon que depuis quelques semaines. Ce bilan n'est donc évidemment pas le vôtre. Il tient essentiellement à la gestion des équipes précédentes, même si l'on ne peut omettre par ailleurs les effets de la crise internationale. Ce passif appelle évidemment une politique d'efforts qui soient équitablement répartis. Comme vous le savez, notre groupe rassemble les députés radicaux de gauche et des députés issus de formations proches. Pierre Mendès France, président du Conseil radical, le soulignait ici même dans sa déclaration d'investiture en juin 1954 : une politique active de progrès économique et social est inséparable d'une politique de rigueur financière. Fidèles à cette tradition, nous soutiendrons donc une politique de redressement qui s'inscrive dans le cadre de la justice.

À cet égard, la réduction des dépenses de l'État est prioritaire, particulièrement celle des dépenses de fonctionnement des ministères et des organismes parallèles. Depuis plusieurs années, en effet, l'appareil d'État a vu s'accumuler et s'empiler les conseils, les comités, les délégations de toute sorte, dont l'utilité est parfois douteuse mais dont le coût de fonctionnement est toujours certain. Je pense notamment aux autorités administratives indépendantes, qui ont proliféré, dont le nombre s'est accru de façon immodérée. Elles sont au nombre de trente-huit, mais toutes sont-elles vraiment nécessaires ? Est-il indispensable, par exemple, qu'il existe un médiateur du cinéma ou une autorité de régulation des jeux en ligne ? Certains de ces conseils ou de ces autorités, qui sont en fait des démembrements de l'État, pourraient sans doute être supprimés sans préjudice pour celui-ci. Leurs compétences seraient alors retransférées au ministère ou aux commissions et organismes parlementaires, avec une efficacité au moins égale et une légitimité nettement accrue puisque ces instances procèdent, elles, du suffrage universel. D'une manière générale, il serait utile d'instituer, comme cela avait été fait autrefois, une sorte de « comité de la hache » pour réorganiser l'administration et y supprimer les structures éventuellement superflues, pour tailler avec détermination dans les dépenses inutiles qui grèvent le budget de l'État.

Outre la réduction des dépenses, des mesures fiscales sont elles aussi nécessaires pour contribuer à combler le déficit public. Naturellement, nous demandons qu'elles ne touchent ni les classes populaires, ni les classes moyennes, qui connaissent une situation de plus en plus difficile et voient leur pouvoir d'achat se dégrader depuis plusieurs années.

Le deuxième impératif sur lequel notre groupe insiste est, en effet, d'établir une société de justice. Depuis dix ans, spécialement depuis l'année 2007, la France tend à devenir une société d'inégalités qui dispense ses faveurs aux plus fortunés et réserve ses rigueurs aux autres, aux catégories modestes. Dans ces conditions, nous allions vers une France coupée en deux, vers la division progressive de notre pays en deux France : une France dotée et une France défavorisée, parfois en proie à de graves difficultés.

En première ligne de ces défavorisés – vous en avez parlé, bien sûr, monsieur le Premier ministre –, figurent évidemment les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Notre pays, pourtant la cinquième puissance économique mondiale par son PIB, compte 8,2 millions de pauvres. La population métropolitaine compte 13,5 % de pauvres, et la situation est encore plus grave dans les outre-mer. Même si, budgétairement, il ne peut exister d'affectation des recettes aux dépenses, il serait très nécessaire que le produit du relèvement de la fiscalité sur les hauts revenus et sur les grandes fortunes fût affecté par priorité à l'amélioration de la condition de ces personnes pauvres, notamment par un relèvement de ces minima sociaux ; cela s'appelle la solidarité.

Autre catégorie, certes moins démunie, qui devrait bénéficier d'un effort accru : les 2,6 millions de salariés payés au SMIC. Aucun coup de pouce n'a été donné au SMIC pendant le quinquennat précédent. Votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, a en revanche décidé d'en donner un en l'augmentant de 2 % le 1er juillet. C'est un premier progrès, mais un premier progrès limité, trop limité, car, hors inflation, l'augmentation réelle n'est que de 0,6 %. Ce coup de pouce ressemble donc à une sorte de pichenette, qui n'améliorera guère le quotidien des travailleurs concernés.

Certes, on ne peut méconnaître la situation économique des entreprises, surtout des PME, où travaillent 75 % des salariés payés au SMIC, mais nous souhaitons qu'il puisse en être différemment à l'avenir.

Enfin, une société de justice doit aussi garantir à chacun le droit à la santé et assurer l'égal accès de tous aux soins. Or, aujourd'hui, avec les franchises, le déremboursement des médicaments, la taxation des complémentaires santé et les dépassements d'honoraires, un Français sur quatre renonce à se soigner ou tarde à le faire pour des raisons financières. Nous vous demandons donc, en particulier, de soutenir l'hôpital public, qui connaît de graves difficultés, notamment en zone rurale.

Troisième point, auquel notre groupe sera attentif : le respect du pluralisme politique, en particulier dans notre assemblée, conformément à son règlement de 2009. La gauche française a toujours été une gauche pluraliste. Elle a toujours comporté plusieurs formations, dont chacune a son histoire, sa tradition particulières, son identité spécifique. Elle n'a jamais été une gauche monolithique, monocolore ou monocorde, qui aurait été incarnée par un seul parti. On ne peut donc envisager de faire passer le rouleau compresseur de l'uniformité sur ses diverses composantes. Mieux vaut au contraire reconnaître l'exercice du droit à la différence à l'intérieur de la majorité, celle-ci étant évidemment solidaire sur les grands choix.

En effet, ce pluralisme n'empêche nullement le partenariat entre partis de gauche. Au contraire, il l'enrichit en permettant de véritables dialogues, de vraies discussions en amont, bref, un débat préalable à la prise de décisions communes. C'est d'ailleurs comme cela qu'a fonctionné l'Assemblée nationale avec la gauche plurielle, de 1997 à 2002.

La présente législature compte aujourd'hui quatre groupes de gauche, au lieu de trois au cours de la législature dont je viens de parler. Cela fait, avec les groupes de l'opposition, un total de six groupes. Faut-il s'en alarmer ? Je ne le pense pas. D'abord, notre assemblée a déjà compté six groupes, dans les législatures issues des scrutins de 1962 et de 1976. Par ailleurs, elle en a compté cinq après les élections législatives de 1968, 1988 et 1997. Cela n'a nullement empêché son bon fonctionnement.

Ensuite, et surtout, le pluralisme ne peut pas être considéré comme une anomalie ou une déviance. En fait, cette diversité est un atout, parce qu'elle favorise les occasions de dialogue et de débat au sein de la majorité, pour parvenir ensemble aux meilleures décisions possibles, et je suis sensible aux propos que le président du groupe socialiste a bien voulu tenir tout à l'heure au sujet du respect des groupes dits minoritaires par la Constitution.

Dernier impératif sur lequel notre groupe veut insister : restaurer les valeurs républicaines dans notre société.

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