Le rapport rendu par la Cour des comptes en 2012 marque un progrès notable en matière de transparence. Comme vient de nous le confirmer la Commission de régulation de l'énergie (CRE), il montre que nous sommes dans une période de croissance significative des coûts de la technologie nucléaire, ce qui ne vient pas forcément à l'esprit des gens lorsqu'on leur dit que le parc est censé être amorti. Et les coûts du nucléaire nouveau connaissent, avec l'EPR, une hausse plus importante encore.
Vous avez souligné un point important pour les responsables politiques : il est urgent de prendre des décisions compte tenu de l'âge moyen du parc et des délais nécessaires au remplacement des centrales par d'autres centrales – quoi qu'on en pense par ailleurs –, à la prolongation de leur durée de vie ou à la mise en place d'autres moyens de production. Ce sera d'ailleurs l'objet de la loi sur la transition énergétique.
J'en viens à mes questions.
La Cour met en évidence que l'industrie nucléaire s'est développée en France avec un fort soutien public. Selon ses chiffres, le coût de construction du parc actuellement en exploitation s'élève à environ 96 milliards d'euros, pour un investissement total dans la filière de 188 milliards d'euros, soit du double. Entrent dans ce dernier montant les 55 milliards consacrés à la recherche publique, financée donc par le contribuable, ainsi que la prise en compte des coûts en cas d'accident. Cependant, le coût de la gestion des déchets et des démantèlements apparaît, lui, sinon sous-évalué, du moins insuffisamment évalué.
La Cour ne le relève pas, mais le réseau de transport d'électricité en France s'est structuré en fonction d'un système de production extrêmement centralisé. Lorsqu'on affirme que la transition énergétique entraînera des coûts considérables sur ce poste, on omet de dire que ce réseau a été conçu pour un mode de production bien particulier.
Il s'agit là d'autant d'avantages publics accordés pour le développement de l'industrie nucléaire. Je ne suis pas choqué sur le principe, mais ne conviendrait-il pas, pour comparer les différents modes de production d'électricité, de distinguer pour chacun d'entre eux non seulement son coût de fonctionnement, mais aussi ce qu'il coûte en soutiens publics ? Il faudrait alors, pour comparer le prix des énergies renouvelables à celui du nucléaire, prendre en compte toutes les aides publiques accordées à celui-ci et à celles-là, en plus du coût de production du MWh.
Vous avez fait état d'un coût de 55 milliards d'euros pour les opérations de « grand carénage » en y incluant les évaluations complémentaires de sûreté (ECS). Au moment de l'élaboration du rapport, les informations à ce sujet étaient peu nombreuses. Disposez-vous d'éléments plus précis sur ce que recouvrent ces chiffres ? Le travail que vous mènerez cette année comprendra-t-il une expertise plus approfondie ? Nous avons été un peu surpris d'entendre EDF affirmer, presque au lendemain de la publication de ses préconisations par l'ASN, que les ECS étaient déjà prises en compte et que, sur les dix milliards qu'elles exigeraient, cinq étaient couverts par les investissements déjà prévus, de sorte que la facture totale s'établirait à 55 milliards. Nous en sommes restés à ces chiffres sans disposer de la moindre expertise. La commission d'enquête aura à se pencher sur le sujet mais l'éclairage de la Cour lui serait utile.
Qu'en sera-t-il, par ailleurs, des coûts potentiels à la charge de la collectivité ? Dans un rapport récent consacré au recensement et à la comptabilisation des engagements hors bilan de l'État, la Cour recommande d'inscrire dans le hors bilan des comptes de la France le coût des risques d'accident nucléaire assumé par l'État à la place de l'exploitant. Pourriez-vous nous en dire plus, sachant que les parlementaires peuvent prendre des initiatives en la matière ?
Commentant ce qui s'est passé au Japon, la Cour relève à quel point l'impréparation législative en matière d'indemnisation et de prise en compte des coûts peut être handicapante lorsque se produit une situation d'urgence et qu'on a autre chose à faire qu'élaborer des lois ! Un pays qui compte un aussi grand nombre d'installations nucléaires que le nôtre se doit donc de mieux anticiper.
Le rapport retient l'évaluation de 70 milliards d'euros pour le coût de ce que vous appelez, dans un quasi-oxymore, une « catastrophe moyenne », mais il cite aussi l'estimation avancée par l'IRSN du coût des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima : entre 600 et 1 000 milliards d'euros, soit le décuple – depuis, cet organisme a publié d'autres chiffres.