Le dispositif d'« accès régulé à l'énergie nucléaire historique » institué par la loi NOME contraint l'entreprise EDF à vendre à ses principaux concurrents une partie de sa production nucléaire à un prix déterminé et pour un volume plafonné à 100 TWh par an. Dans la mesure où seul le nucléaire historique est concerné, le prix est calculé sur la production des centrales amorties, pas sur les centrales en construction comme l'EPR.
Pour en revenir aux coûts d'investissement, le lien entre les montants de dépenses que j'exposerai ci-après et le coût de production n'est ni direct ni immédiat.
Le poids des investissements dans le coût de production nucléaire s'est considérablement accru depuis quelques années pour trois raisons principales : la nécessité d'assurer la conformité des équipements des centrales et le déploiement d'un référentiel de sûreté toujours plus exigeant ; le remplacement des gros composants qui arrivent en fin de vie technique (générateurs de vapeur, alternateurs, transformateurs, etc.) ; l'obligation de mettre en oeuvre les prescriptions émises par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la suite de l'accident de Fukushima.
Premièrement, les investissements liés aux visites décennales et aux autres arrêts de tranche augmentent d'environ 10 % par an depuis 2007. Le contenu des visites se densifie du fait de l'augmentation des contraintes du référentiel de sûreté et la tendance devrait se poursuivre dans le futur, le référentiel de sûreté n'ayant pas vocation à s'alléger. En 2013, ces investissements représentent un montant de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. Ils devraient continuer d'augmenter d'environ 14 % par an, l'exploitant disposant de peu de marges de manoeuvre pour ces investissements de sûreté.
Deuxièmement, les investissements réalisés dans le cadre du programme de remplacement des gros composants du parc nucléaire ont augmenté de 30 % par an depuis 2007 ; ce programme devrait se poursuivre à un rythme soutenu dans les années à venir. À la fin de 2012, les générateurs de vapeur, principal poste de coût puisqu'ils représentent près des deux tiers de l'ensemble, ont été remplacés dans vingt-deux des cinquante-huit tranches nucléaires. Ces investissements s'élèvent, pour 2013, à 1,2 milliard d'euros. La CRE en anticipe une croissance tendancielle dans les prochaines années de l'ordre de 5 % par an, tendance qui peut cacher de fortes disparités d'une année sur l'autre et qui peut encore largement évoluer dès lors que de nouveaux arbitrages industriels seraient pris par EDF.
Troisièmement, les investissements consécutifs à l'accident nucléaire de Fukushima sont estimés à un peu plus de 10 milliards d'euros en valeur 2010 et devraient s'étaler sur les dix à quinze prochaines années. Les discussions entre EDF et l'ASN portant sur le calendrier de mise en oeuvre des préconisations de sûreté de cette dernière – en particulier la mise en place du diesel d'ultime secours et du centre de crise local – sont toujours en cours. Elles auront naturellement un impact sur le calendrier d'engagement des dépenses futures correspondantes. La CRE avait estimé dans son rapport de juin 2013 que ce poste d'investissement représenterait 650 millions d'euros au titre de l'année 2013 et anticipait une accélération de la hausse sur les trois prochaines années. Ce scénario pourrait toutefois se voir modifié en fonction du résultat des discussions avec l'ASN.
Enfin les autres investissements, liés notamment aux mesures de protection de l'environnement, de prévention des incendies et de constitution de pièces de rechange stratégiques, ont augmenté de 17 % par an depuis 2007. Ils représentent 1,2 milliard d'euros en 2013. Ce poste d'investissement comporte également les investissements de maintenance courante et de contrôles planifiés, ces derniers étant désormais immobilisés à compter de 2012 au lieu d'être comptabilisés comme des dépenses courantes.
Plus généralement, EDF a amorcé depuis 2012 un programme de requalification de certaines dépenses d'exploitation en dépenses d'investissement. Ce transfert ne modifie pas le montant total des dépenses annuelles, mais a un impact comptable puisqu'il améliore le résultat de l'entreprise.
En conclusion, en termes de dépenses d'investissement, la hausse moyenne observée sur la période 2007-2012 a été de l'ordre de 16 % par an, traduisant une reprise massive des investissements après une assez longue période de baisse de la fin des années 1990 au milieu des années 2000.
Avant d'aborder la question des coûts d'exploitation, il est nécessaire de dire quelques mots des volumes de production, qui constituent une importante source de variation du coût unitaire. Les années 2000-2010 ont vu se multiplier des avaries génériques sur certains gros composants, comme les générateurs de vapeur ou les turboalternateurs, consécutives d'une baisse sensible des investissements que je viens d'évoquer. Ces avaries ont eu pour conséquence une baisse significative de la production du parc nucléaire et, par voie de conséquence, de sa rentabilité.
Cette situation s'est nettement redressée en 2011 et 2012. Les investissements de maintenance, qui ont repris à un rythme soutenu, commencent à porter leurs fruits et devraient se maintenir à l'avenir compte tenu des niveaux d'investissement que l'entreprise envisage de consentir pour le maintien en condition opérationnelle de son outil de production.
En revanche, c'est désormais l'ampleur des travaux à conduire lors des arrêts de tranche dans le cadre des opérations de grand carénage – avec la poursuite des opérations de remplacement de gros composants, le renforcement des référentiels de sûreté et le déploiement des mesures faisant suite à l'accident nucléaire de Fukushima – qui devrait devenir à l'avenir le facteur limitant de la disponibilité du parc.
Je rappelle qu'une baisse de 5 TWh de la production nucléaire occasionne une augmentation des coûts de l'ordre de 50 centimes d'euro par MWh.
J'en viens maintenant aux coûts d'exploitation.
Les charges d'exploitation sont inhérentes à la production. Elles correspondent aux charges auxquelles l'entreprise doit faire face chaque année et comportent plusieurs composantes que je vais successivement examiner.
La composante « coût du combustible », tout d'abord, recouvre plusieurs éléments.
D'abord le coût du combustible lui-même, consommé pour produire les TWh de l'année. Il est valorisé au coût moyen du stock de combustible et reflète la stratégie pluriannuelle d'approvisionnement en uranium d'EDF, avec un décalage dans le temps compte tenu du temps de passage du combustible en réacteur. La période 2010-2012 a vu arriver à échéance un certain nombre de contrats d'approvisionnement à des prix inférieurs aux prix de marché, avec des conséquences à la hausse sur le coût amont du combustible. Cette tendance va vraisemblablement se poursuivre dans le futur étant donné la hausse des coûts d'approvisionnement d'uranium.
Ensuite le coût de traitement aval, qui correspond aux dotations aux provisions pour les prestations de l'aval du cycle. Une révision des coûts de stockage ou de démantèlement – par exemple la révision du devis du stockage profond de Bure – aurait des répercussions sur ce poste.
Au total, le coût du combustible, qui a été de l'ordre de 5 euros par MWh en 2013, devrait vraisemblablement avoisiner les 7 euros par MWh en 2015. Pour donner un ordre de grandeur, je rappelle que le prix de l'ARENH est aujourd'hui de 42 euros par MWh.
La composante « charges de personnel » est en forte augmentation – près de 6 % par an sur les cinq dernières années –, sous l'action combinée, d'une part, du renforcement et de la densification du programme de maintenance, qui entraîne une augmentation structurelle des embauches pour absorber la charge de travail, et, d'autre part, du renouvellement des compétences : les pyramides des âges de l'industrie nucléaire sont actuellement très déséquilibrées, avec un départ en inactivité massif d'un personnel essentiellement recruté dans les années 1970-1980. Afin de maintenir un niveau de compétence compatible avec les exigences de l'Autorité de sûreté, et compte tenu des durées de formation très longues dans les métiers du nucléaire, il est nécessaire de procéder à une anticipation du tuilage avec du personnel jeune sur une longue durée.
L'augmentation des salaires – due à la hausse du salaire de base et à la professionnalisation croissante des effectifs – et l'évolution des charges sociales ont également joué un rôle significatif dans l'augmentation de ce poste de coût, qui représente en 2013 un peu moins de 7,50 euros par MWh.
La tendance haussière devrait se poursuivre jusqu'en 2015, pour se stabiliser ensuite, une fois résorbée la problématique du renouvellement des compétences.
La composante « achat de prestations de maintenance » concerne à la fois les dépenses d'exploitation, de maintenance des centrales et de déconstruction. Une part significative de ces dépenses a été requalifiée en investissement, comme je l'ai indiqué. Toutefois, pour des raisons de compréhension et de cohérence avec les données historiques, les éléments d'appréciation que je donne ici ne tiennent pas compte de cet effet comptable.
La composante hors déconstruction, qui représente 2,4 milliards d'euros en 2013, est essentiellement composée de dépenses de prestations de main-d'oeuvre et constitue donc une approximation des dépenses de sous-traitance. Elle a significativement augmenté depuis 2007, de 6,5 % par an, sous le double effet de l'augmentation du volume de maintenance en lien avec l'augmentation des investissements dans le parc nucléaire – pour deux tiers de la hausse – et du prix des prestations – pour le tiers restant. Cette hausse devrait vraisemblablement se poursuivre à l'avenir dans les mêmes proportions, même si une partie de la dépense vient désormais augmenter l'enveloppe de dépenses d'investissement.
Au total, hors requalification comptable, ce poste pèse environ 7 euros par MWh.
Le dernier poste du coût d'exploitation, sur lequel je ne m'étendrai pas, recouvre les impôts et taxes, dont le poids est de l'ordre de 3 à 4 euros par MWh.
Bien que la CRE n'ait pas de compétence particulière en la matière, je veux également aborder la question des coûts de démantèlement, de retraitement et de stockage à long terme des déchets
L'article 20 de la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs impose à tout exploitant d'une installation nucléaire de base l'obligation de couvrir les charges futures nucléaires par un portefeuille d'actifs dédiés. Le niveau des actifs est donc directement lié au montant actualisé des charges futures, soit le niveau provisionné au bilan de l'exploitant. Le temps vient affecter, dans un régime normal, les provisions et les actifs dédiés en augmentant le niveau des charges futures chaque année par le jeu de la désactualisation, tout en augmentant en parallèle le niveau des actifs dédiés par leur propre rendement. Le niveau du taux d'actualisation est réglementé pour en assurer une estimation prudente. L'opérateur constitue son portefeuille d'actifs dédiés pour que le taux de rendement attendu corresponde au taux d'actualisation, dans le respect des textes réglementaires.
Le calage du niveau légal des actifs dédiés sur le niveau des provisions a donc pour effet de répercuter toute modification du niveau des provisions sur le niveau des actifs dédiés à constituer. En d'autres termes, toute révision du devis de démantèlement aura pour conséquence l'obligation pour EDF de constituer des actifs dédiés supplémentaires.
À ce jour, sur la base du devis actuel, le niveau des actifs dédiés spécifié par la loi a été atteint par EDF, notamment par l'intégration à ce portefeuille de la moitié du capital de RTE (Réseau de transport d'électricité) et de la créance d'État concernant la CSPE (contribution au service public de l'électricité).
La Cour des comptes s'étant livrée dans son rapport à une analyse très détaillée des dépenses liées au démantèlement et à la gestion à long terme des déchets nucléaires, je n'irai pas plus loin sur ce sujet.
Enfin, si l'on appliquait la méthode que nous avions proposée dans le cadre de notre avis de mai 2011 – et sans préjuger des décisions du Gouvernement dans le décret à venir définissant les modalités de calcul de l'ARENH –, le montant de l'ARENH serait supérieur d'environ 10 % à celui qui est en vigueur aujourd'hui.