Intervention de Jean-Marc Thébault

Réunion du 14 janvier 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Marc Thébault, ambassadeur délégué à l'environnement :

Je vous remercie, monsieur le président, et vous adresse, ainsi qu'aux membres de la Commission du développement durable, mes meilleurs voeux durables pour la nouvelle année.

Qu'est-ce qu'un ambassadeur délégué à l'environnement ? Ce poste a été créé par les autorités françaises, en 2000, suite à un rapport qui visait à tirer les conclusions de la nouvelle donne internationale après les négociations du premier Sommet de la terre de Rio et l'adoption d'un certain nombre de grandes conventions internationales. Ces négociations, de par leur multiplicité et la transversalité des sujets abordés – la notion de développement durable nécessite de traiter simultanément des sujets environnementaux, mais également économiques et sociaux – posaient à la France un certain nombre de difficultés. J'ai pris mes fonctions en juin 2010 en tant que cinquième titulaire du poste.

Que recouvre le champ d'action de l'ambassadeur délégué à l'environnement ? Tout ce qui a trait à l'environnement et au développement durable, hors climat, dans le cadre des négociations internationales, même si, au fil du temps, pour des raisons liées à la politique interne ou à la dynamique des négociations, les autorités ont autonomisé certaines négociations.

Ce fut le cas d'abord des négociations liées aux pôles, pour lesquelles un ambassadeur spécifique a été désigné – il s'agit de l'ancien Premier ministre Michel Rocard – puis, en 2007, des négociations climatiques internationales, qui ont été séparées du champ global de l'environnement lors de la création d'un grand ministère de l'environnement, du développement durable, de l'énergie, du logement et de la mer.

Il reste à l'ambassadeur délégué à l'environnement tout ce qui concerne la planète, à l'exception des pôles, donc, et de l'atmosphère. Il participe ainsi aux négociations relatives aux sols – prévention de la désertification et de la dégradation des sols, forêts, biodiversité – aux océans et aux mers, aux produits chimiques. Il suit en outre les instruments financiers internationaux liés à ces sujets, notamment le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), et les institutions internationales en charge de ces sujets, en particulier le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Il s'intéresse à l'ensemble des sujets transversaux relevant du développement durable, tout particulièrement au sein des institutions new-yorkaises comme le Forum politique de haut niveau pour le développement durable, et enfin il participe aux négociations transversales comme le Sommet de la terre – j'étais le chef de la délégation française lors de la Conférence dite « Rio+20 » qui s'est achevée il y a deux ans.

Maintenant que je vous ai présenté l'essentiel de ma mission, je voudrais insister sur trois points.

Je veux avant tout vous dire que tous ces sujets finiront devant vous, parlementaires, à un moment où à un autre, qu'il s'agisse de traités internationaux devant être ratifiés ou de projets de loi portant mise en oeuvre d'engagements internationaux.

Vous aurez à connaître de ces sujets à travers les conséquences de ces textes. Les négociations sur tous ces sujets ayant un aspect transversal – à la fois environnemental, social et économique – elles ont un impact sur les règles internationales dans les domaines des échanges, de la propriété intellectuelle, de l'industrie et du développement économique, social et environnemental.

Ce sont enfin des sujets en forte croissance, dont l'importance, en termes de conséquences et de décisions prises, est de plus en plus grande. Il ne s'agit plus de déclarations de principe, mais de textes susceptibles d'une mise en oeuvre concrète. En outre, les enceintes internationales s'emparent de nouveaux sujets qui finissent par s'ancrer – je pense au changement des modes de production et de consommation, qui fait l'objet d'objectifs définis au niveau international pour développer l'économie circulaire, consommer autrement et faire face aux défis de la planète de manière soutenable – pour l'ensemble des pays, des économies et des populations.

Telles sont les raisons pour lesquelles ces sujets sont importants et méritent toute votre attention.

Ces sujets ne sont pas optionnels. Que nous le voulions ou non, ils s'imposent à nous. Car nous partageons une planète unique, et la population est passée de 5 milliards d'individus il y a une trentaine d'années à 7 milliards. La terre comptera 9 milliards d'habitants en 2050 et probablement 11 milliards en 2100. Or notre planète ne dispose pas, en l'état actuel des modes de production et de consommation, des ressources suffisantes pour faire face aux besoins légitimes d'une population sans cesse croissante.

L'enjeu auquel sont confrontés l'ensemble des États, individuellement et collectivement, sachant que les ressources renouvelables sont minoritaires, est de faire face aux besoins de populations comme la nôtre, qui souhaitent vivre mieux, ce qui suppose consommer plus, et de populations qui vivent actuellement sous le seuil de pauvreté ou accèdent à peine au confort et qui souhaitent également consommer plus. C'est un point que nous abordons dans le cadre de nos discussions sur l'économie circulaire.

Les négociations internationales, dont le point de départ semble environnemental, ne se comprennent donc que dans une perspective globale de développement durable et s'appuient sur la prise en compte de l'écosystème planétaire et de sa relation avec les populations. Elles portent essentiellement sur la question environnementale, mais elles ont des impacts sociaux et économiques, et relèvent de la diplomatie car c'est bien des relations entre les pays, les peuples, voire les communautés, que dépendra le règlement pacifique de ces contradictions.

L'exemple du Sahel est la parfaite démonstration de cette continuité. Cette région, qui il y a 30 ans comptait 200 millions d'habitants, en compte aujourd'hui près de 500 , et en comptera bientôt un milliard. Au Sahel, 90 % de la population est rurale et tente de survivre en exploitant de plus en plus intensivement des terres qui, par ailleurs, pour de nombreuses raisons, sont de moins en moins étendues. Pour cette population, la variable d'ajustement est l'émigration, d'abord des campagnes vers les villes, puis des villes vers l'extérieur, ce qui a de lourdes conséquences. Ce peut être aussi la concurrence pour l'usage des sols, qui commence entre les nomades et les agriculteurs, notamment au Soudan et au Mali, et la concurrence entre les peuples, ce qui exacerbe les différences ethniques, religieuses et nationales. Depuis 10 ou 15 ans, la désertification et la dégradation des sols sont devenues des éléments de paix et de sécurité qui relèvent des affaires étrangères.

Si nous observons l'extension des zones arides ou en voie de désertification et les lieux où sont apparus des phénomènes terroristes au cours des 20 dernières années, nous constatons une parfaite adéquation. Nous pourrions presque déterminer où auront lieu les prochains phénomènes de déstabilisation.

J'insiste sur la dégradation des sols car, bien que mal connu, ce problème affecte entre un et deux milliards de personnes dans le monde. La France a beaucoup agi dans ce domaine par le passé et pourrait encore le faire.

La dégradation des sols n'est pas seulement un phénomène rural, elle a des conséquences extrêmement importantes sur le climat. Les scientifiques estiment que les terres dégradées ou désertifiées contribuent à l'effet de serre à un niveau égal à celui de la déforestation, lui-même égal à l'effet produit par les transports routiers. Ce n'est donc pas un sujet mineur, d'autant moins que la dégradation des sols est le domaine dans lequel l'euro investi est le plus rentable puisqu'il permet non seulement de prévenir l'évolution du changement climatique mais aussi de maintenir les surfaces agricoles, ce qui a un impact social, économique et politique dans les régions concernées.

J'en viens au calendrier des manifestations.

Les grandes conventions internationales sont rythmées par des Conférences des parties (COP) annuelles ou biannuelles. L'année 2014 sera marquée par la douzième Conférence des parties (COP 12) de la Convention sur la diversité biologique, et par une Convention sur les produits chimiques dangereux et le traitement des déchets. L'année 2015 sera chargée avec une Conférence sur les changements climatiques (COP 21), la Conférence des parties sur la Convention sur la lutte contre la désertification, et la Conférence internationale sur les forêts au cours de laquelle sera négociée la création d'un instrument spécifique pour les forêts.

Parallèlement, des négociations sur la désertification sont en cours et devraient aboutir en 2014 ou en 2015. Il s'agit tout d'abord, dans le cadre de l'Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), de faire de la zone saharo-sahélienne un exemple de coopération internationale en matière de prévention de la dégradation des sols. La France est très engagée dans ce dispositif intergouvernemental. Par ailleurs, une négociation très importante est en cours aux Nations Unies à propos de la création, très attendue, dans le cadre du traité sur le droit de la mer, d'un statut juridique pour les aires marines protégées en haute mer. Cet enjeu, soutenu par la France, permettrait de revivifier le traité du droit de la mer et de concrétiser la prise en compte des enjeux environnementaux en haute mer.

Les années 2014 et 2015 seront enfin marquées par des négociations sur plusieurs sujets qui ont fait l'objet de conclusions lors de la Conférence de Rio, notamment la définition d'objectifs de développement durable qui devraient compléter les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et faire du développement durable un objectif universel.

Enfin, en juin 2014 se tiendra à Nairobi la première assemblée des Nations Unies pour l'environnement. Le programme des Nations Unies pour l'environnement sera défini également dans le courant de l'année. Ce sera l'occasion pour la France de défendre concrètement la mise en oeuvre des engagements pris à Rio, notamment en ce qui concerne le renforcement de la place du développement durable et la participation active de la société civile aux négociations environnementales internationales.

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