Intervention de Jean-Pierre Thébault

Réunion du 14 janvier 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Pierre Thébault :

Je vais tenter de répondre à vos questions, mesdames et messieurs les députés, même si chacun des sujets que vous avez abordés mériterait à lui seul un débat de fond.

J'ai oublié de vous indiquer qu'en tant qu'ambassadeur je suis diplomate de carrière et qu'à ce titre j'ai été nommé par le Président de la République, mais mon rôle et ma mission sont définis à l'échelle interministérielle. Je dispose d'une lettre de mission signée conjointement par le ministre des affaires étrangères et le ministre en charge de l'environnement, de telle façon que les négociations soient bien menées en association avec l'ensemble des administrations compétentes. Je joue un rôle d'animateur d'équipes interministérielles, composées naturellement de représentants des ministères des affaires étrangères et de l'environnement, très souvent accompagnés de représentants des ministères de l'agriculture, des finances et de l'industrie.

Mon rôle est également d'assurer dans la durée la présence de la France au sein des multiples enceintes internationales où je suis le chef de la délégation et représente, en cas d'absence du ministre concerné, la voix politique de la France dans les négociations.

La création du poste d'ambassadeur délégué à l'environnement est un dispositif original. De rares pays l'ont repris, même s'ils sont généralement incapables de le mettre correctement en pratique car la nature de ses fonctions s'oppose à leur organisation sectorielle. De ce point de vue, la France est plutôt exemplaire.

J'en viens aux questions que vous m'avez posées.

Vous allez effectivement être saisis prochainement d'un projet de loi relatif à la biodiversité. Il s'agit d'un texte symbolique qui s'inscrit dans une dynamique que la France a la capacité d'encourager ou de bloquer, ce qui dépendra en partie de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, notamment du titre IV qui traite de la transcription en droit français de l'accord sur le partage des ressources (APA).

Sur les trois grandes conventions de Rio, celles sur la diversité biologique et sur les changements climatiques ont pris leur essor. La négociation de Nagoya a débouché sur un accord important dont le protocole APA est le point central. Ne pas le ratifier dans des délais raisonnables aurait un impact sur la crédibilité de l'Union européenne et le dynamisme des négociations sur la biodiversité.

L'accord sur le partage des ressources issues de la biodiversité doit être ratifié par 50 États pour entrer en vigueur. À ce jour, 28 États l'ont ratifié, dont quelques grands pays émergents. Une deuxième Conférence des parties est prévue en octobre en Corée pour évoquer un certain nombre de questions, en particulier celle du financement de la protection de la biodiversité au niveau international. Cette réunion sera, nous l'espérons, l'occasion de constater l'entrée en vigueur de l'accord APA, à condition que les 28 États membres de l'Union européenne l'aient ratifié, à la fois séparément et collectivement, même si un projet de règlement à effet immédiat règlera une partie des questions au niveau communautaire.

Ces difficultés illustrent le rôle important que jouent les Parlements nationaux quant à la crédibilité des négociations. Mais vous rencontrerez sans doute sur votre chemin des sujets difficiles. Ainsi le protocole APA aura un impact sur la réglementation de la propriété intellectuelle et créera des droits collectifs au profit des communautés indigènes et autochtones, ce que demandent un certain nombre d'États européens, dont la Suède et le Danemark. C'est donc un sujet éminemment sensible que nous devrons veiller à aborder dans les débats franco-français de manière apaisée. Il serait dommage que la France soit l'État qui empêche la ratification de l'accord par l'Union européenne.

La Conférence des parties qui se tiendra en Corée sera l'occasion de mettre en oeuvre une stratégie de financement international de la protection de la biodiversité. Sur ce point, la France et les États européens devront prouver le sérieux de leur position car nous avons pris à Hyderabad des engagements sur le doublement des financements dédiés à la protection de la biodiversité et nous avons demandé aux autres États de les prendre également.

Tous ces sujets sont doublement importants, d'une part pour les enjeux qu'ils représentent et parce qu'ils font apparaître la nécessité d'adopter un regard différent sur le développement économique. Ils font également apparaître que nous, Européens, sommes de moins en moins influents au niveau international, non seulement parce que nous sommes moins compétitifs mais également parce qu'un certain nombre de pays se sont aperçus que, contrairement à eux, nous n'avions pas de ressources naturelles. Cette réalité leur donne une nouvelle assurance. Ils considèrent que si nous insistons sur l'économie des ressources, c'est que nous n'en avons pas, et que si nous adoptons de nouveaux concepts comme l'économie verte et le changement des modes de production et de consommation, c'est pour essayer de prendre le contrôle de leurs propres ressources.

S'ils veulent conserver un certain niveau de consommation et trouver les voies d'une nouvelle compétitivité, les pays qui ne disposent pas de ressources naturelles doivent être capables d'inventer de nouveaux modes de production et de consommation crédibles. Si des affrontements surviennent entre les pays émergents, les pays pauvres et les pays anciennement riches sur ces différents sujets, nous savons tous qu'à un moment donné nous serons obligés collectivement d'inventer ces nouveaux modèles.

Les négociations internationales sont également, pour les pays comme le nôtre, l'occasion de comprendre cette nouvelle donne et d'en tirer les conséquences en termes d'éducation, de formation, de recherche et d'innovation opérationnelle.

Quelques pays émergents, comme le Brésil, dont le territoire est assez vaste pour accueillir une population plus importante et qui dispose de ressources sans limites, n'ont aucun intérêt à changer leur modèle de développement. Ils considèrent que si nous les y incitons, c'est pour les empêcher de profiter de notre modèle.

Les négociations mettent en lumière la nécessité pour nous d'inventer de nouveaux modes de production et de consommation et de faire de certaines d'entre eux des opportunités dans les domaines de l'industrie, de la recherche, de l'éducation afin de redevenir des pays compétitifs. Il ne faut pas croire que nos pays ont découvert l'environnement et le développement durable au détriment des autres pays du monde, qui l'ignorent mais pourraient se laisser tenter parce qu'ils sont pauvres ou qu'ils disposent d'importantes ressources. Aujourd'hui, de nombreux pays sont en train d'adopter ce raisonnement. C'est le cas du Brésil, où la chambre de commerce de Sao Paulo est très en pointe sur tous ces sujets : les Brésiliens se rendent compte que les modèles économiques évoluent et ils adoptent de nouvelles valeurs, en particulier la reconnaissance des services rendus par la nature, en vue de ce qui pourrait être la troisième révolution industrielle.

En bref, au-delà de leur intérêt spécifique et sectoriel, chacun de ces sujets nous invite à développer une nouvelle compétitivité et à adopter de nouvelles valeurs.

Monsieur le député, la probabilité de voir apparaître des conflits face à ces nouveaux enjeux est très forte, même en étant très optimiste… Ce qui pourrait provoquer le grand conflit du XXIème siècle, ce sont les OPA internationales qui permettent à des sociétés chinoises d'acheter des sociétés brésiliennes ou des filiales de sociétés canadiennes dans le domaine des ressources. La rareté affectera peut-être tout d'abord l'énergie, mais la liste des ressources minérales rares et non renouvelables s'allonge.

Le conflit est certes possible, mais il est en même temps inconcevable car il se produirait à une telle échelle qu'il ne pourrait conduire qu'à une forme d'annihilation. À cet égard, il est urgent de prévenir un tel risque.

Non, madame Geneviève Gaillard, la croissance démographique, même si son ampleur pourrait déclencher un conflit, n'est pas prise en compte dans les négociations internationales car nous ne pouvons évoquer cette question sans apparaître comme des malthusiens, ce qui a des résonances extrêmement négatives pour un certain nombre de pays. C'est d'ailleurs un sujet sur lequel nous ne sommes pas d'accord au sein même de l'Union européenne.

Toutefois, la croissance démographique se dessine en creux dans les négociations. Le calcul, pour réduire le risque potentiel de conflit, consiste à rechercher les nouveaux modes de production et de consommation qui permettront de produire des quantités extrêmement plus importantes qu'aujourd'hui avec des ressources beaucoup plus rares. Il consiste à permettre à une fraction de plus en plus grande de la population mondiale de sortir de la pauvreté et d'amorcer la transition démographique. Si, dans les 10 à 20 ans qui viennent, ces négociations aboutissent, nous n'éviterons pas les 9 milliards d'habitants prévus en 2050 mais nous éviterons peut-être les 11 milliards en 2100.

Il reste que certaines réalités sont perturbantes. En termes de production agricole, nous avons suffisamment sur la planète de quoi nourrir 11 milliards d'habitants, voire plus. Mais nous ne savons pas mettre fin au fait que 50 % des productions agricoles sont détruites – environ 25 % avant leur mise sur le marché et 25 % après leur mise sur le marché.

Comment agir et avec qui ? Je ne peux que vous encourager, mesdames et messieurs les parlementaires, à utiliser tous les canaux, comme Globe International – que la France, malheureusement, a laissé aux mains des Anglo-saxons, ce qui en fait un outil peu francophone –, mais il en existe d'autres. Globe sera un succès lorsqu'il sera franco-britannique ou anglo-français et qu'il permettra de travailler dans les deux langues car il est regrettable que 50 à 60 pays francophones soient de facto exclus des négociations internationales.

La France souhaite que les négociations ne se limitent pas aux États et que la société civile – parlementaires, ONG, entreprises, collectivités locales, syndicats – y soit associée. Cette proposition provoque les réticences de nombreux pays comme la Chine, la Russie, sans parler de la Syrie ou du Soudan. Cela dit, notre voix est de plus en plus entendue par des populations qui prennent conscience des enjeux de ces négociations.

La situation de la francophonie est un drame permanent. Quels que soient nos efforts pour y remédier, notre langue nous exclut car nous avons, nous Français, des difficultés à parler l'anglais qui est devenue la langue standard des négociations. L'anglais exclut encore plus les pays francophones en voie de développement. Alors que la Namibie joue un rôle de coordonnateur dans les négociations sur la biodiversité du G77, l'ensemble des pays africains francophones en sont totalement exclus. C'est une vraie difficulté que nous ne savons pas traiter.

Vous évoquez les forêts, madame Sophie Errante, sous l'angle de REDD+. C'est dommage, car cet objectif est l'antithèse de ce qui devrait être fait. En effet, les forêts y sont traitées non pas en tant que telles mais sous l'angle des puits de carbone. Lors du Sommet de Rio en 1992, nous étions nombreux à souhaiter une convention sur les forêts, mais un certain nombre de pays, dont le Brésil, s'y sont opposés.

Il existe plusieurs sortes de forêts. La définition de la FAO est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire puisqu'elle définit les forêts uniquement sous l'angle de leur densité et de leur hauteur. Or il n'y a aucun point commun entre une forêt primaire et une forêt subarctique, ni entre les forêts du pourtour sahélien et la forêt du Congo.

Comment progresser sur cette question ? Sachant que certains pays s'opposent à la création d'un instrument général pour les forêts, est-il possible de mettre en place des instruments spécifiques ? C'est ce que nous tentons de faire, d'ailleurs en juin une réunion se tiendra en Europe pour évoquer la possibilité d'un premier accord légalement contraignant sur la forêt européenne.

La protection des forêts, pourtant essentielle, est inexistante. Et lorsqu'on demande aux États africains ce qu'ils pensent des grandes négociations internationales, en particulier de la REDD+, ils répondent qu'ils ne sont pas concernés puisqu'ils n'ont jamais reçu le moindre financement… Ils n'ont pas totalement tort. Plus un État déboise et ce faisant attire l'attention de l'opinion internationale, plus il reçoit de financements. La plus grande forêt primaire intacte, qui se trouve sur le bassin du Congo, reçoit beaucoup moins d'aides que d'autres grands bassins, et les ministres de l'environnement de ce pays ont du mal à expliquer à leur chef de Gouvernement que le palmier à huile n'est pas une bonne solution…

Les problèmes liés à la forêt sont multiples et très complexes ; la gestion du foncier génère des réactions contradictoires au sein d'un même gouvernement, sans parler de la politique soutenue par cette célèbre organisation internationale qui commissionne des études sur le potentiel agricole des territoires couverts par les forêts tropicales. Nous ne traitons pas la question des gaspillages des productions agricoles et nous créons de nouvelles terres agricoles, mais nous ne faisons rien pour faire cesser la désertification. Nous savons pourtant que les terres pauvres ont une durée de vie très courte.

J'en viens à l'état des sols, qui est un véritable drame. Entre 1,5 et 2 milliards de personnes dans le monde dépendent directement de sols pauvres qui nourrissaient les populations depuis plusieurs milliers d'années mais ont été surexploités – ce que l'on appelle la pression anthropique. Pourtant amender les sols ne coûte pas cher. Mieux, un sol devenu stérile pendant quelques années conserve la capacité de se régénérer. Il y a des exemples très intéressants, en Afrique notamment, de communautés villageoises, souvent des associations de femmes, qui amendent les sols devenus stériles au profit des agriculteurs qui les exploiteront. Hélas, cette politique ne bénéficie d'aucun financement : c'est une vérité terrible car ces populations, parmi les plus pauvres du globe, devraient bénéficier de la solidarité internationale. La Convention sur la lutte contre la désertification et la prévention de la dégradation des sols, soutenue par la France à Rio en 1992, à la demande des pays africains, a été poursuivie pendant quelques années, mais c'est vraiment la convention des pauvres, créée par les pauvres et pour les pauvres…

L'Observatoire du Sahara et du Sahel, créé par la France, associe l'ensemble des États du pourtour saharien, 25 dont le Kenya, la Somalie, le Burkina Faso, l'Algérie. On peut parler d'une remarquable réussite, mais les moyens de l'Observatoire, déjà faibles, ne cessent de décroître. Il est regrettable que nous nous intéressions peu à cette Convention car elle ne coûte pas cher et pourrait avoir un impact considérable. La France a un atout en la matière : la nouvelle secrétaire exécutive de la Convention est une Française – il s'agit de Monique Barbut, ancienne directrice générale du Fonds pour l'environnement mondial (FEM).

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le climat : je ne suis pas compétent en la matière, mais je puis vous dire que nous réussirons les négociations non seulement parce qu'il devient nécessaire de trouver un accord mais aussi parce que notre diplomatie se mobilise pour y parvenir, et je peux porter témoignage de l'engagement de l'État, en particulier du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Mais pour gagner un accord sur le climat, il nous faudra accepter de traiter la question sous tous ses aspects, à savoir les sols, les forêts et les océans, et nous montrer très dynamiques lors des négociations relatives à la biodiversité.

Nous devons être conscients du fait que les financements dont nous parlons aujourd'hui sont essentiellement consacrés à l'évolution climatique, au détriment des autres conventions. La Convention sur la désertification reçoit un budget de 20 millions, le programme des Nations Unies pour l'environnement un budget de 200 millions, tandis que la Convention climat en reçoit cinq fois plus. À cet égard, nous avons peut-être mis tous nos oeufs dans le même panier, ce qui est quelque peu antithétique avec les notions de développement durable et d'écosystème.

Quant à la hiérarchie des priorités, elle nous amène à diriger notre effort là où nous pouvons réussir, mais la priorité n'est pas la même pour chaque État. En la matière, la diplomatie nous oblige à adopter une vision transversale et une attitude ambitieuse.

La France est-elle, monsieur Martial Saddier, un bon ou un mauvais élève ? Elle est à la fois l'un et l'autre. Elle n'est pas un mauvais élève par volonté mais plutôt par manque de moyens, parce que les arbitrages n'ont pas été faits ou que les politiques menées ne sont pas dans sa tradition. Nous essayons d'être de bons élèves, mais ce n'est pas aisé. À Nagoya, Chantal Jouanno avait exprimé le souhait que la France augmente significativement les financements au profit de la biodiversité. Elle pensait avoir obtenu les engagements nécessaires mais elle a appris par la suite que ce n'était pas envisageable car la direction du Trésor n'avait pas été consultée. Pendant ce temps-là, l'Allemagne engageait cinq fois plus de moyens en faveur de la biodiversité.

L'articulation avec l'Union européenne, qu'il s'agisse de la Commission ou de la Présidence, est permanente. Mais nous conservons toujours – et c'est mon rôle – une marge de manoeuvre nationale, à travers des contacts privilégiés. Nous avons aussi, parfois, une meilleure analyse de certaines situations.

Nous sommes d'autant plus influents que nous sommes exemplaires et que nos parlementaires, nos ONG, nos collectivités locales sont engagés. Même si ces acteurs savent se montrer extrêmement dynamiques, l'influence majoritaire au sein des négociations reste anglo-saxonne. C'est l'un de nos problèmes.

L'affichage environnemental des produits est un outil intéressant en ce qu'il contribue au changement des modes de production et de consommation, qui donnera de la France et de l'Europe une image dynamique. Ce n'est pas une politique facile à défendre, même si un certain nombre de pays non européens nous suivent sur ce point. J'ai moi-même animé à New York un atelier sur ce thème dans le cadre de la Commission du développement durable de l'ONU, en présence d'une entreprise chilienne qui avait accepté de participer à l'expérimentation française.

La vision planétaire que vous appelez de vos voeux, monsieur François-MichelLambert, n'existe pas. C'était tout l'intérêt du Sommet de la terre, dont je regrette beaucoup qu'il n'ait pas suscité une participation plus large, notamment de la part des faiseurs d'opinion que vous êtes. Outre les personnes intéressantes que nous y avons rencontrées, il était fascinant de voir à quel point la vision du monde est très différente selon le pays où l'on vit, que ce soit au Brésil, en Chine ou en Inde, dont les représentants nous ont opposé des arguments qui ne sont pas dénués de bon sens.

Nous avons appris que les messages que nous avions diffusés avaient eu un écho, en particulier l'engagement du Gouvernement français de mettre en place de nouveaux indicateurs de richesse, le « PNB+ » mais la France semble s'être détournée de cet objectif, ce qui suscite une certaine déception au niveau international. À l'exception du Brésil, l'Amérique Latine s'oppose à nous sur les nouveaux modèles de développement qui prônent le « bien vivre » au détriment du « consommer plus ». Il n'est pas inintéressant de le savoir, car cela peut nous permettre d'expliquer à nos chefs d'entreprise et aux différents relais d'opinion comment conquérir ces marchés.

Ces sujets ne feront pas la différence lors de la COP de 2015, mais ils auront une influence et nous ne devrons pas les délaisser au cours des deux ans qui viennent. Nous parlerons beaucoup de climat et engagerons d'importants moyens, mais le succès peut venir des autres compartiments de la négociation internationale. N'oublions pas la leçon de Durban. Après le Sommet de Copenhague, si les renégociations ont repris, c'est grâce au soutien de l'Afrique et des petits États insulaires qui a permis à l'Union européenne de contraindre les grands États émergents à revenir autour de la table des négociations.

Pour être entendu par les pays d'Afrique, il faut parler des forêts et de la désertification, mais pour être entendu par les petits États insulaires, il faut parler des océans. C'est pourquoi nous devons suivre avec la plus grande attention la négociation du troisième protocole de mise en oeuvre de la Convention de Montego Bay sur la protection environnementale en haute mer ainsi que les conventions régionales. Nous disposons d'instruments très intéressants sur les plans politique, économique, social et environnemental en Méditerranée, en Atlantique Nord-Est, dans l'Océan Indien et dans les Caraïbes, et nous sommes très influents, même si ces instruments manquent de visibilité et de moyens au niveau français.

La taxe internationale sur les transactions financières est aujourd'hui la seule source additionnelle de financement que nous ayons pu identifier. Elle sera utile dans le cadre des grandes négociations, nous permettra de travailler ensemble sur les nouveaux modes de production et de consommation et de soutenir l'innovation et l'éducation dans le domaine du développement durable.

Nous avons le sentiment, madame Sophie Errante, que la prise en compte des services rendus par la nature a attiré l'attention d'un certain nombre de pays, mais la crise nous a détournés de cet objectif. C'est dommage car les pays qui y ont cru se retrouvent un peu orphelins… Quoi qu'il en soit, même si certaines idées ne peuvent être incarnées dans l'immédiat, il ne faut pas cesser d'enfoncer le clou.

Enfin, la Convention de Montego Bay est un traité admirable qui avait déjà raison en 1980, mais il est un peu dépassé. Nous y sommes néanmoins toujours attachés, car il a permis de résoudre des contentieux très lourds. Nous ne souhaitons pas le remettre en cause, mais au contraire le fortifier. Encore faut-il prendre en compte les nouvelles problématiques et en particulier celles de la haute mer, qui couvre les deux tiers de la surface de la planète et est devenue pour la diplomatie internationale l'une des nouvelles frontières. Or aujourd'hui, au-delà des zones sous juridiction, ne sont applicables que des réglementations minimales et sectorielles : celle de l'OMI, quelques réglementations sur les déchets. Le principe général qui s'applique est celui de la liberté. Cela pose un problème car la perspective de l'épuisement des ressources remet en question l'exploitation des ressources de la haute mer, et les grandes catastrophes ont montré que ce qui se passe en dehors des zones sous juridiction a des conséquences sur ces dernières. Il nous faut donc trouver un modus vivendi sur la gestion de la haute mer.

Aujourd'hui, nous pouvons simplement espérer la mise en place d'un statut juridique international qui permette de créer des aires marines protégées. Certes, ce statut ne correspondra qu'à une partie infime de la haute mer, mais il démontrera que toutes les institutions concernées peuvent travailler ensemble pour atteindre un objectif commun.

La France est très en avance sur ce sujet, qu'elle avait défendu à Rio et qu'elle souhaite voir aboutir avant la fin de la prochaine assemblée générale des Nations Unies qui s'achèvera en 2015. Réussirons-nous ? Ce sera difficile, mais nous n'abandonnerons pas. L'Europe a pris une position forte sur ce point, initiée par la France, mais nous faisons face aux fortes réticences de pays comme les États-Unis, le Canada, le Japon, la Russie, ce qui amène d'autres pays comme le Brésil, la Chine ou l'Indonésie à les croire justifiées.

Pour résumer, les pessimistes considèrent que toutes ces négociations sont comme le tonneau des Danaïdes, que l'on remplit avec des crédits et de bonnes intentions, mais qui se vide continuellement. C'est ce qui se passe lorsque l'on n'investit peu. La France, sur ces questions, a une légitimité historique et politique et à plusieurs reprises, quelle que soit la majorité qui se trouvait aux responsabilités, elle a initié des projets qui ont aidé à faire progresser les choses. À l'inverse, notre pays a une faiblesse due à l'insuffisance des moyens qu'il engage dans ces négociations, à l'exception de la négociation climat, et il ne peut se prévaloir d'une continuité dans l'action. On ne peut songer sans regret au fait que des pays comme la Suède, le Danemark, la Norvège et la Finlande ont la réputation d'être des pays en pointe sur ces sujets, alors qu'ils n'oublient jamais leurs intérêts économiques. La France est capable d'innovation et de créativité, mais elle n'a pas cette image qui aiderait nos entreprises à réussir sur le plan international.

En tant que diplomate chargé des négociations environnementales internationales, je n'ai aucun problème à parler d'économie, de compétitivité ou de marché. C'est la règle du jeu. Ces négociations sont une excellente occasion de promouvoir ce que nous savons faire.

Ces défis s'imposent à nous. Ils s'imposeront moins si la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale s'empare de ces sujets et élabore une position parlementaire propre à inciter l'État à suivre ces sujets dans la durée et de manière cohérente.

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