Les membres d'une commission d'enquête étant désignés de façon à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques, vous imaginez bien que les défenseurs du nucléaire et ceux qui ne partagent pas cette cause n'étaient pas représentés à parité dans la nôtre. Si les conclusions du rapport ont montré la persistance de divergences, nous avons pu toutefois dégager entre nous quelques points de consensus.
Ainsi nous sommes tombés d'accord sur le fait que le prix du kilowattheure dans notre pays – aujourd'hui parmi les plus bas du monde, même si nos factures sont élevées du fait du niveau de consommation – serait appelé à augmenter en raison de la progression des coûts de production, de celle des dépenses nécessaires à l'entretien du réseau ainsi que de l'augmentation des taxes.
L'augmentation des coûts de production de l'énergie d'origine nucléaire est liée en particulier aux exigences toujours plus fortes en matière de sécurité. L'ASN nous a confirmé que chaque accident, où qu'il se produise dans le monde, l'amène à faire des recommandations qui se traduisent par des coûts supplémentaires. L'électricité d'origine thermique devient également plus chère en raison de la raréfaction du pétrole et du gaz. Et, en attendant que les coûts de l'éolien maritime et de l'énergie solaire baissent, ces deux ressources restent assez onéreuses.
L'entretien du réseau sera de plus en plus coûteux en raison, d'une part, de l'insuffisance des investissements consentis ces dernières années en faveur de la maintenance, et, d'autre part, de la nécessité de construire des interconnexions. Selon certains la substitution de nouvelles sources d'énergie au nucléaire pourrait en outre obliger à renforcer notre réseau. Quoi qu'il en soit, RTE comme ERDF nous ont confirmé que les coûts de transport et de distribution de l'énergie augmenteraient.
Il en sera de même des taxes, si l'on veut continuer à favoriser le développement des énergies renouvelables et à combattre la précarité énergétique.
Notre commission d'enquête a également été unanime pour donner la priorité aux économies d'énergie – mais développer ce point nous éloignerait du champ de vos investigations.
Nous avons ensuite cherché à déterminer les coûts de production pour l'ensemble des filières – nucléaire, éolienne, solaire et, malgré les nombreuses inconnues propres à ce dernier secteur, hydraulique. Puis, afin de tenir compte de la diversité des sensibilités au sein de la commission d'enquête, nous avons établi trois scénarios afin de déterminer le niveau des investissements nécessaires. Un premier scénario dit « de sobriété », qui avait évidemment ma préférence, prévoyait une diminution progressive et inexorable de la part du nucléaire. Un deuxième scénario dit « nucléaire nouvelle génération » considérait le nucléaire comme une filière d'avenir dans laquelle il fallait réinvestir pour franchir une nouvelle étape technologique. Le troisième scénario, intermédiaire, combinait développement des sources d'énergie renouvelables et maintien d'une part de nucléaire. Dans chacune des trois hypothèses, les investissements à prévoir se sont révélés être considérables, mais du même ordre de grandeur.
La commission d'enquête a également travaillé sur le stockage, élément déterminant pour arbitrer entre les différents moyens de production. Elle s'est aussi intéressée à la durée d'utilisation des centrales. Le prix du nucléaire est évidemment conditionné par la durée d'amortissement de celles-ci, mais il faut également prendre en compte les temps d'utilisation au cours de l'année. EDF calcule la rentabilité sur un temps d'utilisation global alors que le marché à court terme prend de plus en plus d'importance, de sorte que, certains jours de l'année, l'éolien peut à terme devenir plus compétitif que le nucléaire.
Ayant passé en revue les incertitudes, le prix de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), le coût courant économique calculé par la Cour des comptes et les travaux post-Fukushima, nous avons proposé un tableau en deux colonnes : celle de gauche présentait un prix minimal, celle de droite un prix maximal prenant en compte les incertitudes relatives au coût d'un démantèlement, aux provisions nécessaires, au traitement des déchets, aux assurances, au coût d'un accident… Évidemment, nous n'avons pas additionné les incertitudes, ce que les journalistes nous ont reproché, mais cette double approche a permis de donner satisfaction à tous les membres de la commission d'enquête, chacun privilégiant la colonne qui correspondait le mieux à ses convictions.
Nous nous sommes d'abord entendus sur un prix assez bas de 54,20 euros le mégawattheure (MWh), qui reste toutefois supérieur à celui élaboré selon les méthodes de calcul de coût courant économique de la Cour des comptes, notamment en raison des investissements rendus nécessaires par l'accident de Fukushima. Nous avons ensuite estimé les incertitudes, qui pouvaient avoir sur ce prix un impact considérable. Nous étions tous d'accord pour considérer que le coût de l'EPR serait encore plus élevé – le prix de vente à la Grande-Bretagne l'a montré. Cela dit, confrontés à de nombreuses incertitudes, nous n'avons pas été en mesure d'analyser finement le dérapage d'un coût de construction qui a tout de même doublé ou triplé.
La commission d'enquête a aussi travaillé sur les réseaux intelligents, se partageant entre partisans d'un déploiement immédiat du compteur Linky et partisans d'un délai, cet outil requérant selon eux d'être amélioré. Nous nous sommes également interrogés sur la décentralisation du service public de l'électricité, posant la question des entreprises locales de distribution. Quant à l'instauration d'un tarif progressif de l'électricité, elle nous a paru poser un problème difficile – et je pense que ce diagnostic reste d'actualité.