J'ai été nommé dans cette fonction par M. Arnaud Montebourg à la suite de la circulaire du 14 juin 2012. Je suis le seul commissaire au redressement productif dont le corps d'origine est la direction du budget, en l'occurrence la direction des finances publiques. Environ la moitié des commissaires au redressement productif provient des Directions générales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (les DIRECCTE), en général du pôle « entreprises », l'autre moitié du corps préfectoral.
Compte tenu de mon expérience des relations entre créanciers publics et entreprises en difficulté, j'ai rédigé une note à l'intention du cabinet de M. Montebourg sur la non-application des dispositions de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 relative aux remises de dettes par les créanciers publics en procédure collective.
La survie d'entreprises en difficulté confrontées aux procédures judiciaires de conciliation, de sauvegarde ou de redressement peut être facilitée par des remises de dettes accordées par les créanciers publics. Cette faculté s'exerce très rarement alors qu'elle constitue le moyen de ne pas aboutir à un plan de sauvegarde de l'emploi.
En Haute-Normandie, j'étais le principal collaborateur du TPG, devenu maintenant le directeur des finances publiques, sur l'accueil des entreprises en difficulté. Je présidais la commission des chefs de services financiers qui octroyait des délais et éventuellement des remises.
J'ai constaté que le dispositif était très peu mis en oeuvre en Haute-Normandie comme ailleurs. À titre d'exemple, en 2011, en Haute-Normandie, sur 1 178 ouvertures de procédures collectives par les tribunaux de commerce (dont 410 sauvegardes ou redressements judiciaires – hors conciliations), 44, soit 3,7 % seulement, ont donné lieu à saisine du Comité des créanciers publics. Cinq dossiers ont été menés à leur terme et examinés en commission, et un seul a donné lieu à une remise.
En 2012, au plan national, selon les données du ministère du budget (DGFIP), seules 69 remises sur 61 000 procédures collectives ouvertes ont été accordées pour un total de 20,8 millions d'euros, soit une moyenne de 301 k€ par dossier. La procédure continue à ne pas être utilisée pour différentes raisons qu'il convient d'examiner.
L'article L. 626-6 du code de commerce prévoit que les créanciers publics, en cas de procédures de conciliation, de sauvegarde ou de redressement judiciaire, peuvent procéder à la remise de tout ou partie de leurs créances. Cet article est généralement celui qui est cité, mais en réalité divers articles du code sont applicables selon les procédures retenues.
Le principe est qu'une entreprise qui est soumise à une procédure judiciaire de conciliation, de sauvegarde ou de redressement judiciaire, peut bénéficier de la remise de tout ou partie de ses créances publiques (essentiellement l'Urssaf) sous trois conditions :
– Les remises qui auparavant ne pouvaient porter que sur l'accessoire peuvent maintenant porter sur le principal,
– Les demandes de remises doivent être faites dans les deux mois de l'ouverture de la procédure collective. Or ce délai de deux mois est trop court pour les administrateurs judiciaires compte tenu des autres délais de procédure et notamment des délais nécessaires à l'obtention des documents dont ils ont besoin,
– Les créanciers publics doivent se prononcer dans les deux mois de la constitution complète du dossier. À défaut, la demande est réputée rejetée.
Il existe une deuxième possibilité d'obtenir des remises de la part des créanciers publics : en cours d'exécution d'un plan d'apurement du passif, sa révision peut être demandée au tribunal si une modification dite « substantielle » est intervenue. Cette possibilité semble n'être jamais utilisée.
Le délai de deux mois est trop court pour les administrateurs d'autant que le nombre de dossiers augmente régulièrement à effectif constant d'administrateurs. La constitution du dossier en plusieurs étapes ne facilite pas non plus les choses. Dans de nombreux cas, l'administrateur dépose dans les deux mois une demande incomplète. Les créanciers publics l'acceptent même si elle n'est pas rigoureusement conforme aux exigences de la loi. Pour différents motifs le dossier complet n'est jamais constitué et ne donnera pas lieu à l'attribution de remises par les créanciers publics. C'est réellement dommage parce que des entreprises auraient pu être sauvées ou reprendre une activité dans de bien meilleures conditions si elles avaient pu bénéficier de ces remises.
J'ai rencontré beaucoup d'entreprises depuis que j'ai pris mes fonctions de commissaire au redressement productif. Certains entrepreneurs n'avaient que des dettes publiques, notamment auprès de l'Urssaf et ne savaient pas qu'il existait des possibilités de remises. D'autres avaient des plans d'apurement de dettes très lourds qui auraient pu être considérablement allégés par des remises, ne serait-ce que de 20 ou 30 % sur leurs créances publiques. Ils auraient pu rebondir, investir et avoir d'autres ambitions que leur seule survie.
Je pense que la loi pourrait être améliorée si on allongeait le délai de deux mois à quatre ou six mois ou si on autorisait le dépôt de la demande de remise pendant toute la période d'observation, c'est-à-dire toute la période pendant laquelle le tribunal de commerce analyse la situation de l'entreprise pour savoir si elle peut ou non survivre compte tenu de ses capacités financières.
Si un délai fixe devait être maintenu, il faudrait créer une possibilité de relevé de forclusion pour rouvrir les dossiers, notamment quand le commissaire au redressement productif apprend qu'une entreprise aurait pu être aidée par des remises qui n'ont pas été faites.
Si des entreprises sont placées en liquidation judiciaire dès leur arrivée au tribunal de commerce, d'autres le sont quand elles ont un plan de redressement qui n'est pas respecté. Il est dommage qu'un plan de redressement avec essentiellement des dettes publiques ne puisse faire l'objet d'aménagements.
Sur le montant des remises :
Comme je vous l'ai dit, avant la loi de sauvegarde, les commissions de chefs de services financiers pouvaient octroyer des remises sur la totalité des pénalités et majorations mais aucune remise ne pouvait être faite sur le principal.
La loi de sauvegarde a introduit la possibilité de faire des remises sur le principal, à l'exception des impôts indirects (TVA). Dans les faits, la principale dette publique qui peut faire l'objet d'une remise est celle de l'Urssaf, souvent assez significative. Quand une entreprise dépose le bilan, le dernier mois de salaire n'est pas payé et l'Urssaf ne l'est pas non plus.
La pratique des remises a un impact très limité pour le budget de l'État. Elles portent sur des créances privilégiées, mais pas superprivilégiées. En procédure de redressement, les créances salariales sont assez importantes et l'Urssaf est loin d'être désintéressé.
L'attribution de remises allège le plan de redressement et évite à des entreprises de se retrouver en situation de liquidation judiciaire.