Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 25 juin 2013 à 10h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Nous entrons effectivement dans une nouvelle phase, qui suppose un nouveau souffle et une nouvelle manière d'envisager les choses, par exemple pour ce qui concerne les relations entre la Guadeloupe et les îles du Sud.

Si l'on veut aboutir, ces problèmes doivent en effet être traités au niveau du président de la République et du Premier ministre, et l'interpellation du chef de l'État – qui a déjà pris des engagements à ce sujet – par les présidents des deux délégations parlementaires à l'outre-mer ne peut avoir qu'un effet bénéfique. Je rappelle que la négociation précédant la substitution de l'article 299-2 du Traité d'Amsterdam à l'ancien article 227-2 du Traité de Rome avait été conduite par Aimé Césaire et Camille Darsières. Ils avaient rencontré le président François Mitterrand et mobilisé l'Espagne et le Portugal pour faire évoluer la conception des aides spécifiques.

À titre personnel, je pencherai en faveur d'une loi-cadre pour les régions ultrapériphériques comportant un volet « développement économique » très dense. Cela suppose de saisir le chef de l'État sans tarder car nous ne pouvons manquer cette nouvelle phase ; or le cadre financier pluriannuel 2014–2020 est en négociation et, à ce jour, la Commission européenne n'est disposée à changer ni de braquet ni de système. Un tel texte tiendrait compte des spécificités de chacun des territoires considérés pour traiter des filières de croissance, de la fiscalité, du financement de l'investissement productif, de l'orientation de la commercialisation, de la validation des processus de normes, de recherche et développement, d'infrastructures, d'exportations, de valorisation des filières essentielles, de diversification du secteur agricole...

La gouvernance de l'Union européenne présente des aspects surprenants : alors que les régions ultrapériphériques et l'exécutif français, qui demandaient depuis vingt ans un POSEI totalement diversifié en matière agricole, se voyaient opposer un refus obstiné, le commissaire à l'agriculture Dacian Cioloş décide subitement, seul, qu'il est temps d'élargir le POSEI à la diversification agricole, et formule à ce sujet des propositions remarquables. Le commissaire Cioloş décide et tout le monde semble le suivre ; c'est que, dans l'intervalle, il n'y a pas eu d'initiative nationale percutante – aucune stratégie globale n'a été proposée à la Commission. Si les présidents des délégations parlementaires à l'outre-mer demandent l'élaboration d'une loi-cadre relative au développement économique des régions ultrapériphériques, c'est sur le volet européen de cette loi que la négociation s'engagera entre la France et la Commission européenne sur la manière d'asseoir plus solidement la base juridique de l'article 349. Nous devrons quant à nous prendre la mesure de notre capacité à définir une stratégie de développement économique créatrice d'emplois dans les régions ultrapériphériques.

Sa dernière phrase mise à part, l'article 349 est bien écrit, et il me semblerait hasardeux de reprendre la définition du handicap, qui a permis en l'état l'application d'une politique de rattrapage. Il reste à entrer dans un processus de valorisation de nos atouts.

Il faut définir des stratégies locales de développement, j'en suis entièrement d'accord. La politique européenne à l'égard des régions ultrapériphériques ne peut se limiter à des financements ; il faut aussi tenir compte des conditions de vie et prendre en considération, en effet, l'indice de développement humain. On ne peut avoir une société à deux vitesses ; or, 60 % des jeunes âgés de moins de 25 ans sont au chômage à La Réunion, et 52% à la Martinique. La situation est trop grave pour que l'on ne trouve pas une solution.

Il est vrai, même si le rapport ne s'y attarde pas, que les îles du Sud vivent une double peine.

Les critères d'octroi des fonds européens au titre de l'objectif de convergence peuvent conduire à des paradoxes difficiles à admettre : comment se satisfaire que ces aides cessent mécaniquement lorsque la convergence est tenue pour acquise dans une région ultrapériphérique donnée, au moment où le PIB par habitant atteint 75 % de la moyenne communautaire, alors que le taux de chômage s'y établit à 30 % ?

On ne peut plus accepter la persistance d'une économie amorphe fondée sur des importations massives, et des voix s'élèvent pour que ce système change. La France doit demander l'application, pendant cinq ans, d'une clause de sauvegarde destinée à protéger une liste de productions. Actuellement, un capitalisme prédateur perdure, mais sommes-nous disposés à changer de modèle économique ? Bien des prés carrés subsistent, et bien des gens veulent que rien ne change.

Donnant suite aux préconisations de la Chambre de commerce de la Martinique, nous proposons de créer un statut des entreprises ultramarines, qui les protégerait mieux, sachant que 90 % d'entre elles ne comptent qu'un ou deux salariés et que 70 % ont pour seul salarié l'entrepreneur lui-même.

Mayotte, qui a fait un choix politique courageux, doit être accompagnée sans faux-semblant. Les présidents des deux délégations parlementaires à l'outre-mer doivent peser de tout leur poids, qui est réel, pour sensibiliser les plus hautes autorités de l'État à la situation de à Mayotte ; si rien n'est fait, on va vers de très graves problèmes.

Le Parlement devra harmoniser les normes au niveau national – ce qui représente un travail considérable – et des négociations devront avoir lieu avec les instances communautaires sur les directives cadre en matière d'environnement et de questions sanitaires.

La représentation permanente à Bruxelles de l'Union régionale Antilles Guyane a été rejointe, au sein d'un bureau de lobbying commun, par les représentants de La Réunion et de Saint-Martin ; Mayotte a annoncé son intention de se joindre à nous.

La Martinique et la Guadeloupe siègent en qualité de membres associés à l'Organisation des États de la Caraïbe orientale, à la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes – une des cinq commissions régionales de l'Organisation des Nations Unies – ainsi qu'à l'Association des États de la Caraïbe, et nous entrons à la Communauté caribéenne (CARICOM). La Réunion devrait tendre à des participations de cette nature pour ce qui a trait à la pêche, car la négociation de la diplomatie économique territoriale devient ainsi réalité. Siéger dans des instances de ce type permet d'agir avec plus d'efficacité que si la négociation se fait exclusivement sous l'ombrelle du ministère des affaires étrangères, et l'on peut ainsi parvenir à la signature d'accords commerciaux.

La question des règles de passation des marchés publics est compliquée. Faut-il envisager un Small business Act par zone ? Avant d'être communautaire, le problème est national. Sommes-nous capables de définir des co-investissements en partenariat avec des pays tiers ? Étant donné l'ampleur du déficit public, c'est l'avenir, mais toutes sortes de problèmes techniques, fiscaux, juridiques et administratifs restent à résoudre et toute une ingénierie du développement doit se tisser. Il faudra faciliter les co-financements et les co-investissements. C'est dire l'importance d'une loi-cadre relative à l'Outre-mer, dont l'objet déborderait évidemment très largement la seule question de la défiscalisation honnie par M. Philippe Marini, président de la commission des finances du Sénat.

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