Intervention de Patrice Martin-Lalande

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Martin-Lalande, président de la Mission :

Je souhaiterais indiquer dans quel état d'esprit, avec quels objectifs et selon quelle méthode la Mission d'information sur la Chine a travaillé pendant une année.

Nous avons d'abord souhaité aborder le sujet de la Chine d'une manière complète et équilibrée pour appréhender ce pays dans sa complexité et en restituer une image la plus fidèle possible. La Mission a choisi de ne pas restreindre son champ d'étude. Tous les sujets sont abordés dans le rapport, même si tous ne sont pas approfondis. Par exemple, la relation sino-russe ou sino-indienne est traitée essentiellement au travers de la question du groupe des BRICS, les rapports complexes entre les niveaux de collectivités en Chine sont évoqués en rapport avec des enjeux particuliers, comme la mise en place de la protection sociale. Le choix a été fait d'insister sur les aspects économiques car c'est là avant tout que la France doit mieux se positionner, peut mieux faire valoir ses atouts.

Ensuite, la Mission a inscrit ses travaux dans la perspective d'un moment particulier : le cinquantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle. Le souvenir de cette reconnaissance est important et bien réel. Son cinquantenaire constitue une opportunité pour marquer la volonté commune d'un nouvel élan dans la relation diplomatique à inscrire dans le long terme.

Dans cette optique, le souci a été celui d'une démarche positive et constructive. Sans dénier la dure réalité des rapports de forces et sans abandonner la lucidité dont nous devons être armés, il est important de rechercher les points de convergence pour les élargir, dans la relation politique comme économique. Nous ne devons pas rejeter sur la Chine les faiblesses de notre offre économique et commerciale. Nous avons aussi essayé de déconstruire certaines idées reçues, notamment sur l'effet supposé systématiquement négatif pour la France de la présence de nos entreprises sur le marché chinois. Ce marché est très difficile, en termes d'accès, de concurrence, de propriété intellectuelle, mais les entreprises y sont parce qu'il faut rechercher la croissance où elle est. La taille du marché, les perspectives ouvertes par l'augmentation de la consommation intérieure, la capacité à rester concurrentiel au plan mondial, sont autant de facteurs qui font que l'avenir de nombreuses entreprises se joue assez largement sur le marché chinois. Nous avons rencontré de nombreux représentants d'entreprises et effectué plusieurs visites de sites qui démontrent qu'il y a désormais peu de délocalisations pures et des effets positifs : des exportations, des retours financiers et de la recherche-développement maintenue en France, avec des exemples concrets dans le rapport.

Pour toutes ces raisons, la mission a multiplié les rencontres pendant toute une année. Elle a effectué une trentaine d'auditions à Paris, dont plusieurs auditions conjointes, afin de couvrir le plus large spectre possible, aussi bien de thématiques que de manières d'appréhender la Chine avec les points de vue de grands connaisseurs de la Chine et de la relation franco-chinoise, comme Alain Mérieux ou Jean-Pierre Raffarin. S'y ajoutent les auditions organisées par la commission des Affaires étrangères sur ce thème dès novembre 2012, notamment celle de Martine Aubry en juin dernier. Pour donner une idée de la variété des auditions, la mission a entendu ministres et anciens ministres, diplomates, spécialistes de politique étrangère chinoise, économistes, démographes, politologues, administrations centrales, opérateurs (Institut français, Campus France), organisations internationales (Organisation mondiale du commerce, Organisation pour la coopération et le développement économique), services économiques (Trésor, Ubifrance, Agence française des investissements internationaux, Chambres de commerces), grands chefs d'entreprises évidemment, Caisse des dépôts et consignation, gérants de fonds, consultants, associations dans le domaine des droits et libertés…

La Mission a aussi effectué plusieurs déplacements. Elle s'est rendue à Bruxelles (DG concurrence, DG industrie, SEAE, et un entretien commun – format semble-t-il inédit – des RP française et allemande) pour prendre le pouls d'une relation sino-européenne un peu bancale et surtout déterminer ce que l'on peut attendre de l'échelon européen, comment on peut y faire valoir nos intérêts. Nous avons aussi été à la rencontre de la Communauté chinoise d'Aubervilliers, communauté d'affaires importante en Europe, très organisée, car la carte de la diaspora ne doit pas être sous-estimée. Enfin, une délégation a effectué un déplacement en Chine en septembre 2013, dans les villes de Pékin, Chengdu, Shanghai et Suzhou, avec un programme extrêmement dense : rendez-vous institutionnels de haut niveau, volet universitaire à Shanghai à Suzhou, entrevue avec les membres du Club France ayant étudié en France, rencontres économiques (visites de plusieurs entreprises dans des domaines variés, des table-rondes thématiques à Pékin et Shanghai, soit plus d'une vingtaine d'entreprises en tout, et rencontres avec une trentaine de conseillers du commerce extérieur), visite du centre des visas, chercheurs chinois sur différentes problématiques sociales et politiques et représentants actifs de la société civile (blogueurs, journalistes, juristes, membres d'associations, dont les noms ne figurent d'ailleurs pas dans le rapport).

Avant de passer la parole à Michel Destot qui présentera le résultat des travaux et de l'analyse de cette masse conséquente d'informations pour ce qui concerne directement notre pays, je voudrais brosser à grands traits le portrait de la Chine d'aujourd'hui. Je précise que tous les défis que je vais citer sont parfaitement identifiés par les autorités chinoises et qu'elles s'attèlent à les relever, de manière prudente au vu du nombre de paramètres qui interagissent, comme le démontre encore le Plénum du mois dernier.

On assiste en Chine à une mutation accélérée. La Chine est une immense civilisation, un pays multimillénaire et qui a la mémoire de son histoire, élément important. Son histoire moderne a été tourmentée : Traités inégaux, fin de l'Empire, échecs de la première République, rivalité entre le parti communiste et le Guomindang, invasion japonaise, expériences tragiques de la RPC, avec la famine du « grand bond en avant » (30 millions de morts), et les dérives de la révolution culturelle (on estime à 4 millions le nombre de victimes et un adulte sur deux aurait durant cette période subi de graves sévices).

La renaissance chinoise a commencé à partir du choix de la politique d'ouverture de Deng Xiaoping : le PIB chinois par habitant n'atteignait que 2 % du PIB américain en 1978 alors qu'il dépasse aujourd'hui les 10 %, alors que la population a atteint 1,35 milliard d'habitants, l'espérance de vie y est passée de 45 ans en 1940 à 75 ans en 2011, des centaines de millions de personnes sont sorties de la misère, même si 220 millions de personnes vivent encore aujourd'hui avec moins de 2 dollars par jour.

La réussite économique aujourd'hui est frappante. La Chine a connu une croissance moyenne au cours de ces trente dernières années de l'ordre de 10 % et encore 7,8 % en 2012. Elle est devenue le premier exportateur mondial devant l'Allemagne en 2009 et la deuxième puissance économique mondiale en 2010 avec un PIB dépassant les 7000 milliards de dollars. C'est le premier partenaire commercial au monde et le premier détenteur de réserves de change avec 3400 milliards de dollars de réserve au premier trimestre 2013, soit 30 % des réserves mondiales. La Chine est le troisième investisseur en flux d'investissements directs étrangers (IDE) avec 87,8 milliards de dollars en 2012. Le pays a changé. Pour donner un exemple, il existe désormais plus de 50 villes de plus de deux millions d'habitants.

Nous le savons, le modèle économique chinois montre des limites. Les défis à relever sont notamment ceux du vieillissement, du renchérissement du coût du travail et la hausse du coût de la vie, une dépendance en volume et en structure aux exportations et poids excessif de l'État par rapport au marché qui aboutit à une allocation déficiente des ressources se traduisant notamment par des surcapacités.

Une mutation vers une croissance fondée sur la consommation intérieure a été entamée, avec déjà des signes forts de changement, comme la poursuite de l'ouverture, la priorité donnée au marché, élément essentiel décidé par le Troisième Plénum, la mise en place d'une protection sociale, certes encore embryonnaire, des objectifs ambitieux sur le plan environnemental, une réforme annoncée de la propriété foncière, un nouvel assouplissement de la politique de l'enfant unique, la création d'une zone de libre-échange. Il faut également noter que la Chine possède des marges de croissance encore élevées, y compris pour ses exportations, et relever l'effort massif et continu dans la recherche et l'innovation.

Les questions sociales, environnementales et politiques sont évidemment des enjeux essentiels pour l'avenir de la Chine. L'impact environnemental de la croissance est dramatique (pollution de l'air et des eaux, problèmes sanitaires majeurs, insécurité alimentaire). Les inégalités sociales sont très élevées, notamment entre les villes et les campagnes, avec la question des droits des migrants du fait du système du Hukou, l'enregistrement à l'état civil, sans parler de la corruption et de la concentration des richesses. Des transformations sociales importantes sont en cours. Le pourcentage d'urbains atteint déjà 52 %, la progression du niveau d'éducation, la politique universitaire ambitieuse, l'ouverture sur l'étranger, l'ébullition autour d'Internet et des réseaux sociaux façonnent une nouvelle société chinoise qui est aussi plus individualiste et cela a des effets politiques.

Le régime politique est fondé sur la puissance du parti (80 millions de membres), qui est loin d'être monolithique, mais qui cherche à maîtriser son évolution avec les deux lignes rouges que sont l'unité et la stabilité du pays et l'autorité du parti. On constate des améliorations réelles, une liberté d'expression plus grande, un droit du travail étoffé, des progrès de l'information, une possible évolution de l'institution judiciaire. Des contestations débouchent sur des résultats, mais il s'agit dans l'ensemble de mouvements spontanés, pas organisés. Les atteintes aux droits perdurent. La situation est toujours préoccupante au Tibet et au Xinjiang avec des centaines de morts. Un contrôle fort s'exerce sur l'exercice des libertés collectives. La réglementation appliquée à Internet a été durcie et les « activistes » et les professionnels du droit sont sous surveillance, sans parler des prisonniers politiques comme le prix Nobel de la paix Liu Xiabao. Pour le moment, la priorité a été au renforcement de l'autorité du parti, à travers la lutte contre la corruption (s'attaquant aux « tigres » et aux « mouches ») et la mise à profit du procès de l'ancienne étoile montante Bo Xilai qui a défrayé la chronique. Le pari chinois aura été celui du développement de la Chine par la « ligne bleue », avec la conviction que la seule structure capable de transformer la Chine est le parti, ce qu'il a fait, mais le parti saura-t-il se transformer à mesure que la Chine change ?

Concernant enfin l'affirmation de la puissance chinoise sur la scène internationale, la politique étrangère chinoise est essentiellement motivée par sa stabilité et son développement intérieur alors que la puissance globale appelle la responsabilité globale. Culturellement, la Chine n'est pas un pays expansionniste, mais il y a enchainement mécanique, notamment au regard des besoins d'approvisionnement, avec deux limites très visibles aux discours pacifistes : un comportement en Asie relativement agressif et un effort militaire conséquent, notamment en faveur de la marine. Par ailleurs, la Chine est très active en Amérique latine et en Afrique, avec des pratiques parfois dénoncées comme parfois néo-colonialistes. On observe une insertion et une responsabilité accrue sur les questions économiques, commerciales et monétaires, avec par exemple la demande de présider le G20 en 2016 et l'internationalisation du yuan en cours. La responsabilité est en revanche inégalement assumée dans les crises.

Ce tour d'horizon des problématiques abordées dans la première partie du rapport reflète notre vision de la Chine et permet de poser les enjeux pour notre pays, que va développer Michel Destot.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion