Intervention de Michel Destot

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Destot, rapporteur de la Mission :

La question à laquelle j'essaie de répondre est celle de la place et du rôle de la France face à l'affirmation de la Chine, de la manière dont nous pouvons tirer au mieux notre épingle du jeu, sans être candides.

La réussite chinoise, pour époustouflante qu'elle soit, est arrivée à un moment charnière car on voit bien la complexité de la transformation du modèle économique. Elle doit à la fois opérer un rééquilibrage entre l'économique et le social et l'environnemental et déplacer le curseur de l'investissement et les exportations, vers la consommation intérieure. Pour augmenter la consommation, il faut augmenter les revenus des ménages, ce qui pèse sur la compétitivité. Il faut alors augmenter la productivité, mais cela pose un problème d'emploi, pour créer de l'emploi il faut de l'innovation etc. En outre, augmenter les revenus ne suffit pas en soi à stimuler la consommation, car les Chinois sont obligés d'épargner des sommes importantes pour faire face aux dépenses de retraite, de santé et d'éducation notamment. Décréter l'établissement d'une protection sociale ne suffit pas en soi à régler les problèmes, car il faut en déterminer les contours et trouver les financements.

Mais ce qui frappe tous ceux qui s'intéressent à la Chine, c'est l'efficacité du système, sa capacité à fixer des objectifs et à les atteindre ou les dépasser. Il ne faut pas sous-estimer cette force. L'expérience laisse penser que la Chine parviendra à accomplir les réformes qui ont été annoncées, notamment au Troisième Plénum.

Quelles conséquences en tirer pour nous ? La France est considérée comme un partenaire majeur sur le plan politique, mais elle apparaît trop faible sur le plan économique et insuffisamment organisée. Le partenaire économique, c'est l'Allemagne ! Même sur le plan du partenariat politique, la crise de 2008 a incontestablement laissé des traces, comme si l'on châtiait plus fort un ami. Nous pouvons nous appuyer sur le cinquantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le général de Gaulle pour reformuler une relation équilibrée, sans arrogance, ni servilité, ni naïveté.

Ce rapport de la Mission est ainsi une contribution à la définition d'une politique chinoise, avec l'idée que certaines propositions peuvent être généralisées, notamment concernant la structuration de notre offre économique. Une impulsion a été donnée avec la priorité à la diplomatie économique, mais comment ne pas être sceptique lorsque l'on apprécie la situation sur le terrain ?

Le rapport avance quarante-deux propositions, qui peuvent être regroupées autour de deux directions : être mieux organisés et plus offensifs dans nos rapports avec la Chine, d'une part, valoriser l'image de la France et cultiver des relations de proximité, d'autre part.

Concernant la nécessité d'être mieux organisés et plus offensifs, sur le plan politique d'abord, la répétition, le temps, sont essentiels en Chine. Il faut tenir sur le long terme l'engagement d'une rencontre annuelle des deux chefs d'État, car la régularité est importante, comme l'a compris Mme Merkel qui se rend régulièrement en Chine. Il faut aussi pérenniser l'existence d'un Représentant spécial, auparavant Jean-Pierre Raffarin, aujourd'hui Martine Aubry, car les résultats sont très positifs et c'est aux yeux des Chinois très important de disposer d'un tel interlocuteur.

Concernant les enjeux globaux, il convient d'accroître la concertation et une initiative commune sur le climat en vue de la COP 21 de 2015, serait une application concrète du renforcement du partenariat stratégique.

Par ailleurs, il est essentiel de parvenir à coordonner les visites effectuées en Chine, aux plans géographique, car il faut couvrir un panel de villes chinoises large et pas uniquement Pékin et Shanghai, et aussi politique. Énormément de personnes, de délégations, se rendent en Chine, de manière dispersée, sans aucune concertation en amont.

Enfin, la coopération décentralisée comme vecteur de rapprochement et enjeu de gouvernance, doit être soutenue et approfondie, dans une approche également mieux coordonnée. Des rencontres de maires existent déjà – la prochaine se tiendra à Lille les 12 au 14 juin 2014 – et des actions similaires pourraient se développer au niveau des régions.

Sur le plan strictement économique, notamment dans la perspective d'un rééquilibrage par le haut de la balance commerciale – notre déficit avec la Chine est de 26 milliards d'euros, l'augmentation de la consommation intérieure de même que l'exigence des populations en matière de qualité sont des atouts supplémentaires pour notre pays. Mais il nous faut être sélectifs, méthodiques et offensifs.

Il faut d'abord poursuivre la démarche d'organisation de l'offre française en familles ou filières, mettant l'accent sur la santé, l'agro-alimentaire et le développement durable, sans exclure des secteurs en phase avec les évolutions de la Chine comme le tourisme et les loisirs.

Ensuite, il faut insister sur la sélectivité du marché chinois, la taille et les ressources constituant de bons critères de sélection. Il ne faut pas inciter toutes nos PME à partir sur le marché chinois, car c'est suicidaire. Le marché chinois est devenu hyperconcurrentiel, et la PME qui a ses chances, soit est sur une niche – et encore faut-il qu'elle puisse supporter les délais très longs de lancement d'une affaire en Chine – soit est « embarquée » par un grand groupe. Or les grands groupes ne jouent pas le jeu dans leur majorité. La Mission en déduit qu'il faut : valoriser les initiatives de grands groupes chefs de file, comme Pacte PME, regrouper les entreprises en vue de promouvoir collectivement leurs intérêts, comme cela se fait désormais avec le Club Santé ou comme le permettrait la création d'un GIE biscuiteries, confiseries et chocolaterie, désigner des interlocuteurs uniques pour des pools de PME, et enfin promouvoir des solutions intégrées, à même de permettre aux PME de niche de remporter des marchés, comme les éco-quartiers ou le projet de ville nouvelle à Wuhan.

Enfin, en termes d'accompagnement il est indispensable d'assurer aussi une sélectivité en amont et de renforcer l'efficacité de notre organisation en Chine. Il ne faut pas se disperser mais agir pour la mise en cohérence des actions et la lisibilité. Il faut ainsi optimiser le dispositif de sélection des entreprises en région et assurer la lisibilité du dispositif général avec des acteurs de l'export regroupés sous une bannière commune. Il faut aussi assurer la cohérence et la complémentarité des différents services d'accompagnement des entreprises en Chine, avec en ligne de mire l'existence d'un dispositif d'accueil unifié et efficient au regard des objectifs de notre diplomatie économique : couverture territoriale, ciblage des filières prioritaires avec une déclinaison locale pertinente, coopération avec les collectivités, incubateurs… Il y a des marges de progression énormes !

De manière complémentaire à cette approche politique et économique, le rapport pose la question des répercussions de l'importance de la Chine dans les relations avec les partenaires et aboutit à plusieurs constats.

La France doit soutenir l'échelon européen chaque fois que cela lui permet d'avancer. C'est le cas aujourd'hui pour la négociation d'un accord sino-européen sur les investissements, incluant un meilleur accès au marché chinois et pour marteler le principe de réciprocité. Il faut toujours plaider pour l'union des Européens car les chinois jouent des divisions.

Mais l'affaire des panneaux solaires sonne comme une mise en garde cinglante contre une naïveté désolante, je le dis comme je le pense. Dans l'Union, il faut bien choisir ses combats, mesurer le rapport de forces et veiller à ses intérêts. Il faut promouvoir les initiatives communes en phase avec la stratégie et les atouts français, comme par exemple la ville européenne durable. Pas seulement en Chine, l'urbanisation accélérée est mal maîtrisée et pose des problèmes environnementaux, sociaux, d'organisation… Nous détenons avec nos villes européennes un atout majeur.

Au vu du fonctionnement actuel, on gagnerait à inscrire la Chine à l'agenda des relations franco-allemandes, pour parvenir sur un certain nombre de sujets à une vision commune et des actions concertées, car le comportement de l'Allemagne nous est particulièrement défavorable.

Le rapport traite aussi de la présence chinoise en Afrique, qui pose des difficultés, et révèle en creux notre singulière absence. Il faut réfléchir de manière pragmatique et prudente, à la mise en oeuvre de coopérations tripartites en Afrique, accompagnées d'un dialogue nourri sur les pratiques d'aide.

La deuxième grande orientation du rapport concerne la valorisation de l'image de la France et les moyens de cultiver des relations de proximité.

La France est un pays dont les Chinois ont une bonne image ; un pays romantique, dont ils aiment la culture et la littérature en particulier. Mais ce discours sur la France « romantique », c'est le terme récurrent employé en Chine, pour positif qu'il soit, n'est pas très utile pour développer un commerce de technologies ! En outre, notre société ne bénéficie pas toujours d'une image positive ; elle apparaît parfois suspicieuse, fermée, craintive. Un travail permettant d'améliorer l'image de la France en Chine doit être conduit avec deux axes : l'enrichissement par une meilleure valorisation de nos atouts dans la compétition mondiale, le développement d'une plus grande ouverture de notre société envers les Chinois.

Il est essentiel de travailler à diffuser l'image d'une France moderne, à la pointe, et de la marque France. Cela signifie que nous devons capitaliser sur l'atout culturel et déployer une présence culturelle forte et diversifiée, appréhendée dans une stratégie globale d'influence. Ensuite, il faut véhiculer, c'est essentiel, la marque France comme gage d'une extrême qualité, mêlant raffinement et excellence, pour les industries à connotation culturelle certes (le luxe, la mode, les cosmétiques, etc.), mais aussi les filières technologiques, comme les secteurs soumis à des contraintes de sécurité particulières (sécurité alimentaire, nucléaire, santé…). Notre pays doit intensifier la coopération scientifique et technologique, élargir le cercle des organismes conjoints jouissant d'une réputation d'excellence et repérer et faire venir les entreprises innovantes françaises en Chine.

Il est indispensable aussi d'améliorer la promotion des réussites françaises en Chine et des produits français présents sur le marché chinois, y compris par l'utilisation d'Internet et des réseaux sociaux, pour ancrer l'image d'une France innovante, créative et à la pointe du progrès. La visibilité de la présence française en Chine est faible.

Assurer la qualité et la densité des relations bilatérales dépend avant tout des liens que nos deux sociétés sauront construire à tous les niveaux de la société. Il faut éveiller la bienveillance à l'égard des Chinois, démontrer que la France est un pays ouvert et accueillant. Cela commence par le souci de conforter les assouplissements opérés en matière de délivrance des visas, qui a longtemps été défaillante, tant dans le traitement des demandes que dans l'octroi de facilités à certaines catégories de demandeurs.

Ensuite il faut savoir recevoir les touristes, ne serait-ce que pour compenser le déficit commercial car ces touristes dépensent plus en France que les Français en Chine. On peut fixer un objectif de 5 millions de touristes chinois annuels d'ici dix ans avec des milliards d'euros de rentrées de devises supplémentaires chaque année. Pour cela, il faut assurer la sécurité, adapter notre offre pour tenir compte des habitudes des Chinois, leur proposer le haut de gamme et un panel de séjours diversifié en jouant les thèmes et les territoires.

Il faut aussi porter une attention particulière aux étudiants chinois : en encourageant la création d'instituts franco-chinois et de consortiums d'universités françaises en Chine, en poursuivant la politique d'accueil, en développant la mobilité encadrée et en confirmant la priorité aux niveaux masters et doctorats, en encourageant une première expérience professionnelle en France des étudiants chinois et la création de filières de formation cohérentes avec les besoins de nos entreprises et en confortant Club France et les initiatives complémentaires de constitution, d'animation et de mobilisation des réseaux d'anciens étudiants.

Enfin, les investissements chinois en France constituent un enjeu majeur. On ne dénombre aujourd'hui que 92 groupes chinois implantés en France, moins que de groupes américains à Grenoble. Ils emploient 11 000 personnes. Pour enclencher une vraie dynamique, il est important de créer des réussites chinoises et de les valoriser, car c'est par l'exemple que l'on développera l'attractivité de notre territoire. Il faut aussi organiser des rencontres d'investisseurs chinois et conforter le rôle de l'AFII.

Je crois avoir restitué l'essentiel des propositions du rapport. En cohérence avec elles, le rapport soutient aussi cinq propositions pour les célébrations du cinquantenaire de la relation diplomatique : un forum de responsables territoriaux français et chinois, des visites de sites technologiques pour montrer la France innovante, la tenue d'un forum des investisseurs franco-chinois reçu au plus haut niveau de l'État, un moment réunissant des jeunes français et chinois étudiant en France, une opération de facilitation des conditions de délivrance des visas, pour tous les Chinois qui voudraient, en cette année particulière, venir et que nous accueillerons avec soin.

Le rapport s'achève sur une allusion à Alain Peyrefitte. La Chine s'est éveillée et il est temps que la France s'éveille à la Chine. Je dirais même qu'il est temps qu'elle se réveille, pour, je cite Jean Cocteau, « passer d'un regard qui dévisage à un regard qui envisage ». Je souhaiterais proposer à la Présidente que nous puissions, au-delà de ce rapport, une fois par an, faire un point sur l'application des propositions qu'il contient, les ajuster éventuellement, et ainsi assurer un suivi de l'efficacité de notre diplomatie notamment économique avec ce grand pays.

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