Je voudrais apporter un témoignage. J'ai participé à la négociation de l'accord de promotion et de garantie des investissements en tant que conseiller juridique avec mon ami Jean-Claude Trichet. Nous avons réalisé un certain nombre d'aller-retour entre la France et la Chine. Je retire de cette expérience plusieurs choses. D'abord, il ne faut pas parler au niveau des États français et chinois d'amitié. Les Chinois servent un discours compassé mais cela ne correspond à rien en terme de relation d'État à État : ce sont des matérialistes. Bien sûr, ils nous rappellent le Général de Gaulle, mais c'est tout simplement pour nous faire plaisir. Il ne faut pas tomber dans ce piège.
Ensuite, en matière de politique industrielle, la copie et la contrefaçon sont évidentes. Lors d'un récent voyage en Chine dans le cadre d'un rapport sur la politique industrielle, avec Jérôme Lambert, nous nous sommes rendus compte de l'ampleur du phénomène. Je ne suis pas certain que Siemens ne se fasse pas copier. Le TGV construit entre Pékin et Tianjin est en train d'être dupliqué ailleurs. Il y a donc un réel risque et je partage l'avis de Pierre Lellouche.
Autre élément, il faut comprendre la manière suivant laquelle les Chinois travaillent. Le long terme est le seul objectif qui vaut. Quand nous avons ouvert les négociations en 1984-1985 sur l'accord de promotion et de garantie des investissements, j'ai eu en face de moi un jeune étudiant chinois qu'ils avaient envoyé à Rouen quatre ans avant la décision de l'annonce de l'ouverture des négociations avec nous. C'est-à-dire qu'ils avaient présupposé qu'ils allaient ouvrir des négociations, ils avaient envoyé un étudiant s'informer sur tous les accords que nous avions déjà signés. Je dois dire qu'il connaissait extrêmement bien ses dossiers. D'autre part, il y a eu un moment où les négociateurs posaient toujours les mêmes questions et où la négociation tirait en longueur. Je me souviens d'un incident qui s'est déroulé rue de Rivoli où Jean-Claude Trichet me disait qu'ils nous faisaient perdre notre temps. Je lui ai répondu qu'il avait tort de raisonner ainsi : la France est éternelle et la Chine est millénaire. La notion de temps pour eux est très particulière dans leur diplomatie et leurs actions. Il faut garder cette idée en tête et ne pas jouer aux hommes pressés. Les Chinois comprennent aussi très bien la réciprocité.
Enfin, les Chinois avaient accepté dans l'accord de promotion et de protection des investissements une clause CIRDI, issue du traité de Washington : l'arbitrage entre l'État et l'investisseur privé, ce que les Soviétiques à l'époque refusaient. Accepter de porter à l'arbitrage CIRDI était pour moi un signe d'ouverture de la Chine. Quand je suis retourné en Chine, j'ai demandé s'il y avait eu une application de cette clause CIRDI. Une entreprise française s'était plainte et avait commencé des démarches pour mettre en oeuvre un arbitrage CIRDI. Les Chinois ont expulsé l'entreprise et ne sont jamais allés devant le CIRDI… Entre l'affichage et la réalité dure des relations commerciales et d'investissement, il y a donc un monde. Les Chinois sont extrêmement durs en affaire et ne changeront pas, à mon avis.
Par ailleurs, les autorités chinoises ont aujourd'hui une grande crainte de la théorie du chaos. C'est une société duale : à quelques dizaines de kilomètres de Tianjin ou de Pékin, c'est la Chine comme Godard l'avait décrite. Il y a un réel problème de cohésion interne avec les paysans chinois qui viennent travailler en ville et qui se font véritablement exploiter.