Intervention de Michel Destot

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Destot, rapporteur de la Mission :

Les Chinois veulent de la qualité, c'est indiscutable. Nous avons pu le voir sur place et c'est sur ce créneau qu'il faut se positionner. Mais ils attendent aussi une adaptation de nos produits à leurs habitudes. Nous retrouvons d'ailleurs ces deux besoins s'agissant de l'accueil des touristes : ils veulent du haut de gamme et une offre adaptée, par exemple qu'on leur serve de la soupe au petit déjeuner. Pour revenir aux entreprises françaises en Chine, puisque la filière automobile a été évoquée, l'exemple de PSA est très intéressant, car le groupe a développé une stratégie gagnante en adaptant ses modèles et en jouant le luxe. Ils ont su aussi trouver leurs partenaires. Nous avons pu voir le modèle de DS lancé en Chine encore sous bâche. Le groupe vend en Chine un million de véhicules par an et pense être en mesure de doubler ou de tripler ce chiffre prochainement. L'entreprise pourrait ainsi vendre plus de véhicules en Chine qu'en France. Dans le cas allemand, leur réussite tient aussi à d'autres facteurs que le positionnement : leur tissu industriel, fort de nombreuses ETI, et une culture des affaires dont nous ne disposons pas encore.

En matière de visas, le ministre Laurent Fabius devrait annoncer une mesure dans le cadre du cinquantenaire, mais il est évident qu'une fois mise en oeuvre, on imagine mal qu'elle ne puisse être pérennisée. Alors pourquoi l'annoncer d'abord pour un an ? Précisément pour l'inscrire dans le cadre de cette année particulière. Si les Chinois nous disent accorder de l'importance à la reconnaissance de la République populaire de Chine en 1964, alors appuyons nous sur cet anniversaire ; jouons le jeu. C'est en outre une mesure qui a une visibilité auprès de la population chinoise.

Concernant la relation avec les États-Unis, elle est empreinte de méfiance. La Chine défend la vision d'un monde multipolaire aussi pour ne pas être enfermée dans le G2. D'ailleurs, elle ne cherche pas à être à pied d'égalité avec les États-Unis. Si la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, elle n'a pas le même poids, n'endosse pas les mêmes responsabilités, au plan politique. Son rôle au Conseil de sécurité le montre bien. Lorsqu'elle est renvoyée à cette contradiction, la Chine répond qu'elle n'a pas à intervenir dans les affaires intérieures des autres pays et même en matière de régulation elle se présente encore comme un pays en développement qui demande des statuts spéciaux ou des adaptations. Nous devons nous prévaloir des principes de réciprocité et d'équilibre.

Il y a de très nombreuses et très fortes révoltes en Chine, essentiellement pour des problèmes sociaux, mais il n'y a pas de contexte révolutionnaire. La contestation n'est pas organisée. La question du Xinjiang pose pour les autorités celle de l'unité et de la stabilité du pays. Il est intéressant de souligner l'annonce de la création d'un conseil de sécurité, qui aurait vocation à englober enjeux de sécurité intérieure et extérieure.

Cela me permet de faire la transition avec la politique étrangère chinoise et le rôle que joue le développement intérieur du pays dans sa conduite. La mer de Chine représente un enjeu de sécurité majeur, car 80 % de l'approvisionnement chinois y transite. La Chine n'a pas de tradition de politique étrangère expansionniste – c'était l'empire du Milieu – et son armée n'est pas encore une très grande armée. Mais il est clair que les Chinois la développent et prennent aussi des positions plus offensives, afin d'assurer la sécurité de leurs approvisionnements, et avec une certaine agressivité en Asie. La question de Taïwan a été soulevée et effectivement, nous ne devons pas négliger nos relations avec elle, car la situation a beaucoup évolué. Les Chinois savent jouer de notre malaise.

Je partage évidemment ce qui a été dit sur l'importance du temps ; c'est la grande règle dans les rapports avec la Chine. Il faut agir dans le long terme et toujours dans une optique de réciprocité, en sachant comme au judo, jouer des actions et réactions.

Pour ce qui est des étudiants chinois en France, nous sommes en train de passer d'une mobilité « spontanée » – avec tout ce que cela peut entraîner – à une mobilité encadrée, plus organisée. L'accompagnement de ces étudiants doit être amélioré, mais les enquêtes montrent que 90 % des étudiants étrangers sont satisfaits de leur séjour et des liens qu'ils ont noués avec notre pays. Il faut que nous nous donnions les moyens de faire de ces anciens étudiants des ambassadeurs de notre pays en Chine. C'est à cet effet qu'un Club France a été créé il y a quelques années, car jusqu'alors nous n'avions ni recensement ni suivi de ces étudiants, et c'est une initiative qui va être dupliquée ailleurs.

Je veux souligner l'importance, pour l'influence française, des réseaux, particulièrement en Chine et notamment pour développer nos échanges économiques. Il y a le décloisonnement de notre dispositif pour intégrer culture, économie et tourisme, l'animation du Club France et, de manière plus générale, le rôle que peuvent jouer tous les biculturels et bilingues.

À cet égard, concernant la langue française, il y a environ 100 000 Chinois qui apprennent le français, ce qui est très peu par rapport à la population mais en progression constante. Une demande existe et le rapport comporte un encadré spécifique sur cette question des langues. S'agissant de notre audiovisuel extérieur, RFI ne peut plus diffuser en Chine, France 24 n'est pas autorisée et TV5 Monde a une diffusion assez réduite. Il y a là des avancées à obtenir de la part des autorités chinoises.

Pouvons-nous mettre la Chine à l'agenda franco-allemand ? C'est une proposition que nous formulons, sans faire preuve néanmoins de naïveté sur le rapport de force avec les Allemands et la concurrence qui s'exerce sur le plan économique. Le dialogue avec l'Allemagne est indispensable pour définir des positions communes et des actions concertées là où c'est possible, où nous pourrions faire avancer nos intérêts ensemble. Il faudrait aussi mettre les Allemands devant leurs contradictions. Pourquoi pas, comme Pierre Lellouche l'a suggéré, imaginer dès lors des collaborations des patronats des deux pays ?

J'en viens à la question des transferts de technologie et des délocalisations. Il est clair qu'il n'y a pas d'avenir dans le milieu de gamme pour notre commerce avec la Chine et que cela comporte des risques. Mais nous ne devons pas renoncer à développer nos échanges pour autant. On peut aussi être malin. Je connais Jean-Pascal Tricoire, qui dirige Schneider Electric : certes, le groupe emploie 30 000 personnes en Chine suite à leur implantation à Hong Kong, mais l'emploi a aussi progressé dans ses centres de R&D de la région de Grenoble pendant la même période. Une vigilance est exercée par les grands groupes sur les éléments transférés, y compris lorsque l'on observe les activités localisées dans les pôles de technologies chinois. L'accompagnement des entreprises est important.

L'enjeu du tourisme chinois a été abordé à plusieurs reprises. En 2012, 1,4 millions de touristes chinois ont visité notre pays. Or, 90 millions de Chinois ont voyagé à l'extérieur cette même année. Nous en recevons donc une proportion relativement faible, même si nous sommes le premier pays européen visité. En outre, les flux de touristes vont fortement augmenter dans les années à venir. Nous pouvons faire un calcul simple. Un touriste chinois dépense en moyenne 1600 euros lors de son séjour en France. Cela représente 2,240 milliards d'euros au total en 2012. Si on multipliait le nombre de Chinois en visite en France par trois, on aurait 7 milliards d'euros de dépenses, soit un supplément de 5 milliards d'euros. Le déficit commercial est de 26 milliards. Tout est dit. Si on multiplie le nombre de touristes par cinq, on arrive à compenser le tiers de notre déficit avec le seul tourisme.

En ce qui concerne la coopération décentralisée, je suis d'accord avec tout ce qui a été dit et qui rejoint les développements consacrés à ce sujet dans le rapport. J'ajoute que les coopérations ne doivent pas se développer uniquement avec Shanghai. Quelle erreur de penser qu'il n'y a que cette ville en Chine ! L'urbanisation est un enjeu majeur pour tous les pays émergents. Ce qui sera mis en place pour la Chine servira ailleurs. Le rôle des collectivités territoriales est essentiel en ce domaine et, s'il faut coordonner l'action des régions, il ne faut pas oublier les grands pôles urbains. Il vaut mieux que ce soit le maire d'une grande ville qui aille vendre un métro plutôt que le président de région.

Concernant les inégalités sociales, la situation des migrants ruraux a été soulevée. Ils quittent les campagnes pour les villes sans que leur enregistrement à l'état civil ne soit modifié, c'est-à-dire qu'ils demeurent rattachés à leur lieu d'origine, ce qui emporte toute une série de conséquences pour l'accès aux prestations sociales, aux soins et à l'éducation notamment. On estime ainsi que, sur les 52 % de Chinois vivant en ville, 17 % sont des migrants sans titre. Ce sont des sans-papiers en situation de grande précarité, souvent victimes d'exploitation. Des aménagements ont été apportés dans certaines villes, avec des changements de statut ou la création de statuts intermédiaires, mais pour le moment, la grande réforme n'a pas eu lieu. On est face une situation très choquante.

Pour finir, j'insisterai moi aussi sur l'importance de la continuité, de la coordination, sur l'agroalimentaire entre autres, et des investissements chinois en France, dans une optique « gagnant-gagnant ». Le suivi parlementaire de la présence française en Chine à la suite de ce rapport serait je crois vraiment utile ; nous pourrions par exemple être associés aux travaux de la grande Commission France Chine.

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