Comme M. Jean-Yves Le Déaut l'avait précisé lors de l'audition publique que nous avons organisée le 13 juin 2013 sur les perspectives de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), notre rapport répond bien à une attente même si de très nombreuses études l'ont précédé au cours ces trente dernières années.
En effet, la question de la diffusion de la CSTI est confrontée à un paradoxe récurrent. D'un côté, elle apparaît comme une idée neuve notamment chez certains scientifiques que nous avons rencontrés.
De l'autre côté – et c'est probablement l'une des raisons pour lesquelles persiste l'impression de l'absence de progrès –, si la diffusion de la CSTI est certes considérée comme un enjeu de politique publique, qu'illustre par exemple l'inscription d'une dotation de 100 millions d'euros dans le programme des investissements d'avenir, cet enjeu ne semble toujours pas considéré à la hauteur de ce qu'il devrait être, à savoir une priorité nationale.
Or, certains faits – tels que les résultats des élèves français révélés par la dernière enquête PISA – mettent en évidence les défaillances de notre système éducatif, censé pourtant être l'un des principaux acteurs de la diffusion de la CSTI.
Devant ces constats, auxquels nous avons été confrontés tout au long de nos travaux, notre démarche, tout en étant modeste, a souhaité être efficace. Modeste, parce que, par souci de pragmatisme, nous proposons des recommandations pouvant s'inscrire dans un budget que nous savons contraint, tant pour l'État, les collectivités territoriales que pour tous les acteurs publics et privés impliqués dans la CSTI. Pour autant, nous n'avons pas renoncé à exprimer nos convictions et à formuler des propositions qui soient les plus concrètes possibles.
La première de ces convictions est qu'il importe désormais de parler au pluriel des cultures scientifique, technique et industrielle, à la fois pour marquer leurs spécificités respectives et mieux mettre en évidence qu'elles sont des composantes à part entière de la culture et non plus seulement des appendices des cultures littéraire et artistique.
La deuxième conviction est qu'à la notion traditionnelle de diffusion – qui renvoie à un mode de transmission verticale des connaissances des sachants vers les non-sachants – il convient de substituer celle, plus appropriée, de partage, laquelle figure d'ailleurs dans la loi de programme du 18 avril 2006 pour la recherche et a été reprise par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Il y a là une exigence politique de démocratisation du savoir et un objectif de cohésion sociale.
Dans la première partie de notre rapport, nous montrons que cette exigence et cet objectif ont inspiré les actions des différents protagonistes.
Dans une seconde partie, nous insistons sur l'urgence qu'il y a à donner une nouvelle impulsion aux politiques de CSTI.
Tant en France que dans les pays étrangers, les politiques de CSTI ont souhaité répondre à une double exigence : l'une qui vise à faciliter l'accès du plus grand nombre au savoir ; l'autre érige la CSTI en instrument de politique économique et sociale, et même en levier de la compétitivité, à l'exemple du rapport Gallois.
L'accès du plus grand nombre au savoir mobilise différentes catégories d'acteurs et de dispositifs, dont le rôle a été profondément modifié par la révolution numérique.
Il s'agit d'abord des acteurs de l'éducation dite informelle, c'est-à-dire celle dispensée en dehors des institutions scolaires et universitaires.
Malgré les difficultés financières auxquelles ces acteurs sont confrontés, notamment du fait du désengagement progressif de l'État, ils font néanmoins preuve d'une réelle vitalité et diversifient leurs sources de financement.
S'agissant des musées, qui sont les acteurs les plus anciens de la CSTI, le directeur du Musée d'histoire naturelle de Toulouse a souligné, lors de l'audition publique, que les musées avaient parfaitement su moderniser leur offre culturelle en y intégrant les problématiques d'actualité, telles que la biodiversité ou les changements climatiques.
Quant aux associations, le très dense maillage territorial que les plus grandes d'entre elles – comme les Petits Débrouillards, Planète Sciences ou le CIRASTI – sont parvenues à tisser, leur a permis de s'imposer comme des acteurs majeurs de la diffusion des CSTI. Ne se bornant pas à apporter un complément à l'éducation formelle, elles ont aussi contribué à la cohésion sociale, par exemple, en intervenant dans les quartiers défavorisés.
Enfin, les médias, qui constituent des outils de diffusion du savoir, sont sûrement sous-mobilisés, les cultures scientifique, technique et industrielle faisant souvent défaut à la formation des journalistes. D'où, comme les rapporteurs l'ont constaté lors de leurs auditions, la tendance à la frilosité à consacrer du temps aux sciences dans les médias, et la tentation du sensationnalisme.
Parmi les acteurs, les centres de culture scientifique, technique et industrielle sont représentatifs de certaines particularités qui ont marqué le développement des cultures scientifique, technique et industrielle en France. Comme les associations, ces centres ont contribué à l'ancrage territorial de ces cultures grâce, dans plusieurs régions, aux efforts conjugués du monde académique et des collectivités territoriales. Pour autant, il existe d'importantes inégalités entre ces centres qui, malgré leurs efforts, restent parfois inconnus du public.
Dans ce contexte, la création d'Universcience a été un facteur supplémentaire de déséquilibre et de tiraillements entre cette entité et les autres centres régionaux. Né de la fusion entre le Palais de la Découverte et la Cité des Sciences et de l'Industrie, décision prise dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, Universcience, par ses missions, est un acteur essentiel, en lien avec les acteurs de terrain, les systèmes éducatif et universitaire, la recherche, les médias et le monde industriel. Malgré certains résultats flatteurs – Universcience est le premier centre de science européen –, son statut et son rôle dans la gouvernance des CSTI ont été critiqués par plusieurs personnalités que vos rapporteurs ont auditionnées, notamment parce que, en tant que Centre de science et distributeur des crédits, la structure était considérée comme juge et partie. Au demeurant, la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche met fin à ce malentendu en transférant désormais aux régions la gestion de ces crédits, qui s'élèvent à 3,6 millions d'euros.
La révolution numérique a bouleversé le cadre dans lequel ces différents acteurs agissaient jusqu'à présent aux plans quantitatif et qualitatif.
Grâce à Internet, le public n'a jamais disposé d'autant d'informations aussi rapidement et gratuitement, à tel point que certains sociologues parlent d'un déluge informationnel.
Quant aux Massive Online Open Courses - cours en ligne ouverts et massifs, dits MOOCs qui permettent de mettre gratuitement à disposition sur Internet les cours des meilleures universités, l'un de leurs principaux avantages est de toucher plusieurs centaines de milliers, et même des millions, d'étudiants.
Sur le plan qualitatif, les exemples de Wikipédia ou de la biologie de garage montrent que, grâce à la révolution numérique, le public a la possibilité et le sentiment de participer à l'élaboration du savoir. Pour autant, cette révolution s'accompagne de fractures générationnelle, sociale et culturelle, lesquelles font obstacle à l'accès à ces ressources.
Pour ce qui est du système d'éducation formelle, la révolution numérique n'a pas manqué de bouleverser les rapports pédagogiques traditionnels en érodant le monopole du savoir que détenaient les enseignants, même si la valeur cognitive des technologies numériques s'avère limitée
En ce qui concerne les MOOCs, la première plateforme de cours en ligne (France Université numérique) est ouverte depuis fin octobre 2013 et les cours commenceront au début de l'année 2014.
L'institution d'un service public du numérique éducatif par la loi sur la refondation de l'école est un des aspects de l'adaptation du système éducatif à la révolution numérique.
Si celle-ci lui a imposé de l'extérieur des mutations, l'Éducation nationale a également procédé à une rénovation interne concernant l'apprentissage des sciences à travers l'expérimentation – dont La Main à la Pâte a été l'exemple emblématique –, et le développement du goût des sciences et de la technologie. L'éducation nationale s'est ainsi ouverte davantage sur l'extérieur à travers des partenariats en direction du milieu de la recherche, des industriels mais aussi des acteurs de terrain de la CSTI.
La démocratisation du savoir passe enfin par l'instauration d'un dialogue entre la science et la société, en vue de débats publics sereins. Même si cet objectif est loin d'être atteint, il n'en demeure pas moins la clé de la réussite du partage des savoirs, comme l'illustrent, au cours de ces dernières années, le développement par les instituts de recherche de leur communication sur leurs activités ou encore la multiplication des interfaces entre la science et la société, allant de la création de l'OPECST à celle du Haut conseil des biotechnologies, à l'instauration des conférences de citoyens ou encore au développement des sciences dites participatives, qu'encourage la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.