Intervention de Didier Migaud

Réunion du 16 janvier 2014 à 10h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter le rapport que votre Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques a demandé à la Cour le 6 novembre 2012, au titre de l'article L. 132-5 du code des juridictions financières. Ce rapport a pour objet « la mise en oeuvre par la France du paquet énergie-climat de 2008 ». Il constitue, avec le rapport sur le réseau culturel extérieur de la France, l'une des deux contributions que la Cour s'était engagée à apporter au CEC pour l'année 2013. Celle-ci se réjouit de travailler, pour l'année 2014, sur deux sujets : le développement des services à la personne et la politique de la douane en matière de lutte contre la fraude et les trafics.

L'expression « paquet énergie-climat » regroupe, vous le savez, un ensemble de textes européens adoptés en 2008 : un règlement, trois directives et une décision. Ces textes constituent la politique communautaire de lutte contre le réchauffement climatique qui crée ou modifie des dispositifs et financements européens, fixe des objectifs globaux mais, pour l'essentiel, laisse à chaque État membre la responsabilité de définir des objectifs et de fixer les moyens d'y parvenir. C'est la transposition de ces textes et la bonne mise en oeuvre nationale de cette politique que la Cour a cherché à analyser.

Le rapport qui vous est présenté aujourd'hui analyse l'efficience et l'efficacité des différents instruments de la politique de mise en oeuvre du paquet énergie-climat. Il aborde leurs résultats et leurs impacts, mais une évaluation complète de cette politique aurait supposé, sur un champ aussi large de dispositifs et de mesures, d'interroger toutes les parties prenantes, ce qui n'a pas été possible dans le temps imparti.

Ses conditions de préparation ont fait appel, autant que possible, à des méthodes de travail qui s'inspirent de certaines pratiques évaluatives, notamment la mise en place d'un comité d'experts indépendants, spécialistes des différents aspects du sujet et la réalisation de nombreuses et riches comparaisons internationales. Ce rapport complète la production de la Cour sur le sujet des énergies, avec des enquêtes menées à la demande du Gouvernement, comme celle de janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire ou celle d'octobre dernier sur les certificats d'économie d'énergie. La Cour a également publié un rapport d'évaluation, conduit à sa propre initiative, sur la politique d'aide aux biocarburants en janvier 2012. Enfin, l'analyse qui vous est livrée s'appuie sur un rapport public thématique présenté en juillet dernier sur la politique en faveur des énergies renouvelables.

Par ailleurs, je me réjouis une nouvelle fois de la méthode de travail qui a été retenue avec les parlementaires rapporteurs. Grâce à des rencontres régulières, MM. de Rugy et Guillet ont pu être tenus informés et faire part régulièrement de leurs réactions et demandes.

Pour vous présenter le rapport de la Cour, je suis entouré de M. Christian Descheemaeker, président de la formation interchambres qui a préparé cette évaluation, et de MM. Arnold Migus et Jacques Rigaudiat, conseillers maîtres et coordonnateurs de l'enquête. Je tiens à remercier ceux qui ont contribué à ce rapport et à ses riches annexes : M. Alain Resplandy-Bernard et M. Jean-Luc Tronco, conseillers référendaires, M. Loïc Batel, rapporteur, et Mme Quitterie Martin-Vidal, assistante. J'adresse également tous mes remerciements à M. Henri Paul, conseiller maître et contre-rapporteur.

Avant de répondre à vos questions, je vous présenterai les principaux constats et recommandations de ce rapport, sous la forme de quatre messages. Le premier est que la France s'est fixé des objectifs ambitieux, sans tenir assez compte de ses spécificités propres. La France est en effet l'une des économies les moins émettrices de carbone. Le secteur des transports y est le premier émetteur de carbone et l'agriculture la principale émettrice des autres gaz à effet de serre (GES).

Le deuxième message est que les instruments communautaires de réduction des gaz à effet de serre ont pour le moment échoué. Les mesures prises au niveau national sont quant à elles foisonnantes, insuffisamment évaluées et n'ont pas la cohérence nécessaire, y compris au sein de chaque filière. La Cour recommande de renforcer le pilotage de cette politique qui est interministérielle par nature.

Le troisième message est que les premiers résultats sont positifs, mais ambivalents, car liés en partie à une dégradation de la situation économique. Les objectifs pour 2020 sont atteignables, mais difficilement car ils supposent des investissements massifs, une priorité donnée aux économies d'énergie, et une réorientation des outils pour impliquer davantage les transports et l'agriculture. Ces efforts ne seront pas sans impact sur nos modes de vie.

Le dernier message est qu'il apparaît préférable, afin de limiter le réchauffement climatique, que les pays de l'Union européenne se fixent un objectif de réduction de leur empreinte écologique plutôt que de leurs émissions nationales.

Je reviens sur le premier message : les objectifs du paquet énergie-climat attribués à la France ne tiennent pas assez compte de ses caractéristiques propres.

La lutte contre le changement climatique a d'abord relevé d'engagements internationaux. Ceux de la conférence de Rio de Janeiro de 1992, précisés par le protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005, visent à stabiliser les émissions à leur niveau de 1990 – objectif largement atteint pour la France. Depuis 2009, la négociation internationale a échoué à fixer des objectifs contraignants pour les États. Mais, dans un contexte qui n'était pas encore marqué par la crise économique, l'UE, dont les émissions ne représentent actuellement que 8 % du total mondial, a fait le choix de définir une politique ambitieuse et contraignante qui s'est traduite par l'adoption du paquet énergie-climat en 2008. Les différentes composantes de ce paquet forment un ensemble hétérogène visant, à horizon 2020, un triple objectif, décliné dans chaque État de façon différente : le premier est de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 – et non simplement les stabiliser. Au niveau national est évoqué un objectif plus ambitieux de diviser par quatre les émissions, à un horizon plus lointain, fixé à 2050. Le deuxième objectif européen est de faire progresser, d'ici à 2020, la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale – électricité et chaleur – pour qu'elle atteigne la proportion de 20 % – la France a accepté un objectif de 23 %. Enfin, le troisième objectif pour 2020 consiste à augmenter l'efficacité énergétique de 20 %. Ce dernier objectif est mentionné sans qu'un texte vienne le rendre contraignant pour les États. La France s'est engagée à communiquer la cible d'efficacité énergétique qu'elle vise en 2014.

La poursuite de chacun de ces trois objectifs n'est pas indépendante de celle des autres. Ces objectifs se confortent le plus souvent, par exemple lorsqu'il s'agit de faire progresser le rendement énergétique des moyens de chauffage, mais ils peuvent parfois se contrarier. Les sources renouvelables solaires et éoliennes produisent de l'électricité de façon irrégulière selon les conditions climatiques. Cette intermittence désorganise la production et la distribution d'électricité. Le développement des énergies renouvelables en Allemagne n'a pas été accompagné d'une réflexion suffisante sur cette intermittence. Pour y faire face, et en l'absence pour le moment de moyens de stockage massif de cette énergie, il est nécessaire, à certains moments, d'avoir recours à un complément de production électrique issu de centrales thermiques au charbon ou au gaz, ou à des importations. C'est toute l'ambivalence de la politique allemande qui a, certes, fait le choix d'un développement ambitieux des énergies renouvelables, dont la production a été multipliée par six en quinze ans, en remplacement de ses capacités nucléaires, mais au prix d'une recarbonisation de son électricité.

J'en viens à la situation particulière de la France. L'émission de gaz à effet de serre peut se mesurer en termes absolus. Pour la France, on peut relever une réduction progressive dans le temps. Mais il est plus pertinent de rapporter ces émissions à la production, mesurée par le PIB. On parle alors d'intensité des émissions. Celle de la France, de 227 tonnes d'équivalent CO2 par million d'euros de PIB, est l'une des plus faibles d'Europe : elle représente les deux tiers de la moyenne. L'économie française est donc l'une des moins carbonées d'Europe.

La principale explication est que les sources thermiques fossiles d'énergie électrique ne représentent que 9,6 % de la production électrique, dont plus de 90 % proviennent donc de sources non carbonées, nucléaires et renouvelables. La production d'électricité est entre cinq et six fois moins émettrice de carbone que celle de l'Allemagne ou des Pays-Bas, et de l'ordre de dix fois moins que celle de la Pologne ou de la Chine. Cette caractéristique, qui fait jouer à la production d'énergie un rôle d'émetteur de gaz à effet de serre bien plus faible que dans d'autres pays, a des conséquences majeures. Elle explique la moindre intensité des émissions en niveau absolu dans l'économie française, et la place plus importante que représentent, au sein de celles-ci, les émissions des autres secteurs.

Il s'agit en premier lieu des émissions dues aux transports, qui représentent 27,9 % des émissions totales et sont liées dans leur quasi-totalité au transport routier. Ces émissions se sont nettement accrues entre 1990 et 2004, et la baisse qui peut être observée depuis n'a pas encore fait revenir leur niveau à celui de 1990.

Les émissions de l'industrie – 22 % des émissions totales – se sont réduites sans qu'on puisse actuellement faire la part entre ce qui relève respectivement de l'amélioration des techniques de production, de la moindre production industrielle ou des délocalisations de celle-ci. Une lourde incertitude existe donc quant à l'effet de la reprise économique sur les émissions du secteur industriel.

L'agriculture représente 21,2 % des émissions nationales, contre 9 % au niveau européen. Ce n'est pas le dioxyde de carbone qui en est principalement responsable ; ce sont le protoxyde d'azote et le méthane, issus de la fertilisation des sols pour le premier et de l'élevage pour le second. Les émissions du secteur agricole français se sont réduites à un rythme deux fois moindre que la moyenne de l'Union, malgré le niveau de départ dont partait la France, sensiblement plus élevé que la moyenne européenne.

Le dernier secteur est le bâtiment résidentiel et tertiaire où les émissions françaises sont stables alors que nos voisins parviennent à les réduire. La tendance à l'amélioration de l'efficacité énergétique des logements est perceptible, mais ses effets sont contrebalancés par l'augmentation des surfaces dans le parc de logements, elle-même alimentée par une vitalité démographique qui est l'une des deux plus vives d'Europe, avec l'Irlande.

Ainsi, la France présente certaines caractéristiques dont il faut tenir compte pour fixer ses objectifs. Puisque son niveau de départ en termes d'intensité d'émissions est plus faible, la fixation d'objectifs en termes de pourcentage de réduction lui impose une contrainte plus forte, en comparaison avec la fixation d'un niveau d'intensité d'émissions commun à atteindre pour les pays européens. Ensuite, les différences de dynamisme démographique auraient pu être prises en compte au niveau européen.

Ces caractéristiques ont des conséquences sur la nature des mesures à mettre en oeuvre pour réduire significativement les émissions de notre économie. Au regard de leur potentiel, les transports et l'agriculture devraient contribuer de façon beaucoup plus importante aux efforts de réduction des émissions. Paradoxalement, ce sont eux qui ont été les moins ciblés par les mesures prises au niveau national. C'est le deuxième message : les mesures sont foisonnantes mais n'ont pas la cohérence nécessaire, y compris au sein de chaque filière.

J'évoquerai en premier lieu les instruments communautaires, en m'appuyant notamment sur les analyses faites par la Cour des comptes européenne. Le système d'échange de quotas européens n'est pas parvenu, pour le moment, à faire émerger un prix du carbone à la hauteur des objectifs de réduction des émissions qui sont visés. La dégradation de la conjoncture a rendu les quotas surabondants et fait presque disparaître le signal prix. Le système des quotas, malgré sa lourdeur, n'a donc joué qu'un rôle très marginal. Des défaillances doivent être relevées : la fraude massive à la TVA, qui a privé l'État français d'1,6 milliard d'euros de recettes, et des erreurs de calibrage des quotas attribués aux entreprises nouvelles entrantes dans le système, qui ont contraint l'État à dépenser 207 millions d'euros d'achat sur les marchés.

Les financements européens en faveur de l'efficacité énergétique ont été peu sollicités par la France : celle-ci n'a bénéficié, entre 2007 et 2013, que de 5,7 % de l'enveloppe communautaire disponible, soit 48 millions d'euros par an. Ces crédits n'ont contribué à financer en moyenne qu'1,3 % des investissements réalisés en France sur la période. La part de la France dans les financements européens est en régression par rapport à la période allant de 2000 à 2006 où elle atteignait 8,4 %. La Cour des comptes européenne émet un jugement critique sur les projets retenus dans les pays qu'elle a examinés, principaux bénéficiaires de ces financements : la République tchèque, l'Italie et la Lituanie.

Enfin, l'échelon communautaire a été privilégié pour développer des projets de captage et de stockage du carbone. La faible rentabilité des projets compte tenu de la faible valorisation sur les marchés des quotas carbone, et les incertitudes techniques importantes qui demeurent, ont conduit à un échec des appels à projets lancés.

J'en viens à la France. Les mesures mises en place sont très diverses et font appel à toute la panoplie des actions publiques : incitations fiscales, subventions et réglementation. Elles ont un coût qui a été évalué par le Gouvernement, de manière approximative, à 19,8 milliards d'euros, dont 3,6 milliards d'euros de crédits budgétaires de l'État. La Cour observe, au demeurant, que le document de politique transversale consacré à la lutte contre le changement climatique, annexé à la loi de finances, reste très lacunaire et gagnerait à livrer une information plus complète et plus fiable.

L'impact des divers dispositifs publics sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre n'est pas toujours évalué. Lorsque c'est le cas, l'efficience des mesures apparaît très variable. Ainsi, le crédit d'impôt développement durable finance indifféremment toute une diversité de travaux dans les logements. Le dispositif peut être efficient, lorsqu'il soutient des travaux d'isolation des toits et des murs, avec un coût public de la tonne de CO2 évitée de 21 euros. Mais lorsque le crédit d'impôt soutient des travaux de production d'énergie solaire thermique, la dépense fiscale est très peu efficiente, avec un coût de la tonne de CO2 évitée de 432 euros, soit vingt fois plus cher que l'isolation. La Cour a constaté que d'autres mesures sur le logement, comme l'éco-prêt à taux zéro, manquaient d'efficacité. Les diagnostics de performance énergétique dans les logements ont une fiabilité insuffisante. Le fonds chaleur vise à stimuler le recours à des sources de chaleur d'origine renouvelable dans les logements, par exemple le chauffage au bois ou la géothermie. Compte tenu du retard de la France dans la chaleur renouvelable, par rapport à l'électricité, les moyens dont dispose ce fonds sont insuffisants. Le soutien aux énergies électriques renouvelables repose sur des tarifs d'achat, dont le consommateur est le financeur final via la contribution au service public de l'électricité. Les tarifs d'achat ont été mal ajustés, entraînant, vous le savez, une bulle dans l'énergie photovoltaïque. La filière éolienne a vu son développement freiné par la rigidité du cadre réglementaire. La géothermie, quant à elle, demeure soumise aujourd'hui à la lourdeur du code minier, dans l'attente de textes d'application des récents assouplissements que vous avez votés dans la loi du 22 mars 2012 de simplification du droit et d'allégement des procédures administratives.

Les mesures concernant le secteur agricole sont très peu nombreuses et ne font pas l'objet d'évaluation. Elles sont concentrées sur les émissions de CO2 des exploitations, laissant de côté le protoxyde d'azote et le méthane qui représentent 92 % des émissions du secteur agricole. Au mieux, les quelques mesures ont concerné une exploitation sur cent. Au contraire, en Allemagne, les exploitations ont beaucoup bénéficié du soutien aux énergies renouvelables. Le regain de compétitivité des exploitations porcines allemandes doit beaucoup à l'installation de panneaux photovoltaïques bénéficiant d'un tarif de rachat d'électricité généreux.

Les dispositions touchant au secteur des transports sont onéreuses et faiblement efficientes. Ainsi, les investissements prévus dans le Schéma national des infrastructures de transport – routes, lignes ferroviaires, canaux – ont un coût pour la tonne de CO2 évitée qui dépasse le millier d'euros. La diminution de la consommation des véhicules s'est trop reposée sur les annonces a priori des constructeurs, les mesures réalisées ultérieurement affichant une consommation réelle supérieure.

La politique de l'État exemplaire en matière d'émissions a achoppé jusqu'ici sur le manque de moyens pour engager les travaux d'efficacité énergétique nécessaires dans ses bâtiments.

Ainsi, les mesures ne forment pas un ensemble cohérent. Elles se concentrent sur le logement et le tertiaire, qui ne sont pas les principaux émetteurs, traitent les transports par des mesures coûteuses mais peu efficaces, et font presque l'impasse sur l'agriculture, qui contribue de façon importante aux émissions dans notre pays. Enfin, les dispositifs publics souffrent de contradictions, avec par exemple le soutien, au même moment, des véhicules électriques et du diesel. Il paraît nécessaire de procéder à une remise en ordre en privilégiant les dispositifs les plus utiles et concentrés dans les secteurs les plus émetteurs.

Pour cela, le pilotage par l'État doit être renforcé. Il repose avant tout sur une direction d'administration centrale du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, la direction générale de l'énergie et du climat. Mais celle-ci ne joue qu'un rôle de coordination et de centralisation de l'information. La Cour estime que le caractère interministériel de cette politique devrait être plus affirmé, en donnant un rôle plus important au comité interministériel du développement durable, assisté par un secrétariat permanent relevant de la direction générale de l'énergie et du climat.

Concernant le troisième message, les premiers résultats sont positifs : les émissions de gaz à effet de serre se sont repliées de 13 % en France depuis 2005. Les résultats sont contrastés selon les secteurs – j'ai déjà évoqué la faible contribution des transports et de l'agriculture, qui sont pourtant fortement émetteurs. La crise économique a beaucoup joué dans la réduction des émissions industrielles. Les objectifs pour 2020 sont atteignables, même si la Cour considère que les projections retenues reposent sur des hypothèses souvent volontaristes et parfois irréalistes en matière de construction de logements neufs ou de rénovation thermique. Une reprise de la croissance pourrait fragiliser la réalisation des objectifs – c'est toute l'ambivalence des premiers résultats obtenus. Pour éclairer les choix, et mieux informer le débat sur la transition énergétique, les outils de modélisation et de simulation doivent être rendus plus performants. Ces outils doivent prendre en compte l'interaction entre les mesures prises et la situation macroéconomique.

La production d'énergies renouvelables a connu de sensibles progrès : celles-ci représentent 13,1 % de la production d'énergie contre 9,6 % en 2005. Ces progrès ont, pour l'essentiel, porté sur l'électricité renouvelable plutôt que sur les sources de chaleur d'origine renouvelable. Mais l'objectif fixé pour 2020, plus ambitieux que l'obligation européenne moyenne de 20 %, sera très difficile à atteindre. Au cours des sept prochaines années, il rendrait nécessaire, pour l'électricité renouvelable, un effort d'accroissement de la production six fois plus important qu'entre 2005 et 2011, et sept fois plus pour la chaleur renouvelable. Cette évolution s'accompagnerait d'un accroissement très fort de la contribution au service public de l'électricité pour financer les investissements nécessaires.

Parmi ces investissements, il faut compter l'adaptation du réseau de distribution à une production moins centralisée et plus intermittente, et l'effort de recherche sur les moyens de stockage de la production doit être accentué, afin de prendre en compte le risque accru que fait porter cette intermittence sur la sécurité électrique. Ces coûts systémiques doivent être intégrés dans celui des nouveaux investissements de production électrique. L'atteinte des objectifs en matière d'énergie renouvelable suppose donc des investissements massifs.

Plus généralement, la France consacre chaque année de l'ordre de 37 milliards d'euros d'argent public ou privé aux investissements énergétiques, pour des projets aussi divers que l'installation d'une pompe à chaleur chez un particulier ou la construction de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse. Pour assurer la transition écologique, ce rythme d'investissements devra s'accroître d'un tiers, voire doubler chaque année jusqu'en 2050. Il faut, par ailleurs, souligner qu'investir n'entraîne pas mécaniquement la structuration de filières industrielles durables au niveau national ou européen, créatrices d'emploi. L'exemple du développement de l'énergie photovoltaïque en atteste. Une politique d'investissements accrus devra s'accompagner d'une stabilité des règles et des incitations et d'une concurrence internationale loyale.

Pour amplifier la trajectoire de réduction des émissions, dans une économie déjà peu carbonée, l'effort devra porter avant tout sur les économies d'énergie plutôt que sur la décarbonisation de la production d'énergie. Les outils devront être réorientés pour toucher davantage les secteurs les plus émetteurs et qui ont le moins contribué jusqu'ici aux réductions. Il s'agit, dans l'ordre, des transports, de l'agriculture et du bâtiment résidentiel et tertiaire. Les mesures à prendre ne seront pas sans impact sur les modes de vie, avec une nouvelle organisation de la mobilité, de l'aménagement de l'espace et du bâti, un raccourcissement des circuits reliant les lieux de production et de consommation. Ce sont bien ces évolutions qu'implique avant tout la transition énergétique, bien davantage que la dégradation de la compétitivité des économies européennes souvent invoquée.

Je terminerai cette présentation par le quatrième message : il apparaît préférable que, pour l'avenir de la lutte contre le réchauffement climatique, l'Europe et la France se fixent un objectif de réduction de l'empreinte écologique plutôt que des émissions nationales.

La fixation d'objectifs de réduction des émissions sur le territoire d'un pays peut inciter le secteur industriel, volontairement ou non, à délocaliser des productions intenses en carbone vers des pays plus tolérants aux émissions de gaz à effet de serre. Plus le coût du carbone est élevé dans le pays d'origine, plus ces « fuites de carbone » s'amplifient. Se concentrer sur les seules émissions sur un territoire, c'est prendre le risque que ces effets s'amplifient. Cela peut conduire à des paradoxes. Ainsi, l'installation de panneaux photovoltaïques a été soutenue par les politiques nationales mais, selon les calculs menés par la Cour, lorsque les plaques de silicium qui composent ces installations sont importées de Chine, et lorsque les émissions de carbone comprises dans ces importations sont prises en compte, le bilan carbone global du panneau photovoltaïque sur son cycle de vie devient négatif.

Pour éviter de tels effets pervers, les gaz à effet de serre liés aux importations gagneraient à être mieux pris en compte. C'est ce que permet le raisonnement sur l'empreinte carbone de la consommation. Le calcul de cette empreinte comprend les émissions liées à la production nationale, et leur ajoute le solde net des émissions liées au commerce extérieur. Dans le cas de la France, ce solde est positif et important : l'empreinte carbone du pays est sensiblement supérieure aux émissions sur son sol.

Surtout, l'empreinte carbone par personne a augmenté de 5 % de 1990 à 2007 – autrement dit notre consommation est plus intense en carbone qu'avant – alors que nos émissions se réduisaient de 15 %.

Ce constat montre que, pour prendre en compte l'impact réel de nos économies et de nos comportements sur le réchauffement climatique, l'Europe et la France devraient accorder plus de place à la notion d'empreinte carbone. Une telle évolution aurait également incité à modifier davantage les comportements de consommation. La Cour estime que, dans les négociations communautaires, l'objectif de réduction de l'empreinte carbone de la consommation devrait prendre le pas sur celui de réduction des émissions. Cela éloignerait la possibilité que puissent se produire à l'avenir des délocalisations motivées par un coût du carbone croissant.

En conclusion, la transition énergétique suppose de fixer des objectifs plus adaptés aux enjeux de la lutte contre le réchauffement et aux spécificités de notre pays. Les dispositifs publics devraient être mieux évalués, revus et hiérarchisés selon leur niveau d'efficacité. La contribution des différents secteurs devrait être mieux proportionnée à leurs émissions et aux efforts qu'ils peuvent fournir. Des investissements massifs doivent être conduits avec discernement, en tenant compte d'un contexte en rapide évolution. Plutôt que de soutenir des filières de production ou des techniques insuffisamment matures, l'effort de recherche doit être privilégié, car la réussite de la transition énergétique suppose des technologies de rupture dont on ne peut présumer ni l'apparition ni le rendement énergétique. Il ne suffit pas de vouloir décarboniser la production d'énergie, il faudra également mieux maîtriser la consommation. Cela nécessite le concours de chaque citoyen, les comportements et les modes de vie devant inévitablement évoluer. Un débat large et éclairé est donc nécessaire, afin d'examiner une pluralité de scénarii pour l'avenir, en fonction des objectifs et des mesures envisagées pour les atteindre.

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