C'est peu par rapport aux 170 milliards d'euros de cotisations payés par les employeurs et même une goutte d'eau dans la somme des coûts de production des entreprises.
On a donc affaire à une politique de l'offre qui va renforcer les marges des entreprises plutôt qu'à une politique susceptible de créer un choc de compétitivité.
Parmi les arguments invoqués pour la suppression des cotisations sociales patronales, on relèvera celui, politique, de la cohérence du financement de la branche famille, selon lequel les prestations familiales ne sont pas réservées aux salariés, mais sont universelles et doivent donc être financées par l'impôt – est-il légitime, pour reprendre les termes de Michel Sapin, de faire financer la branche famille par les employeurs ? Selon un second argument, patronal, les entreprises françaises seraient écrasées par les charges – notamment familiales – comparativement à leurs voisines.
La théorie économique classique à la Ricardo, mais aussi, surtout, marxiste, s'est exprimée sur le premier point. Sur la reproduction de la force de travail, comme les théories classiques, le marxisme considère que le salaire permet d'assurer l'entretien et la reproduction du travailleur et de sa famille. Marx parle de la force de travail. Si on actualise cette théorie – comme le fait la CGT –, on peut dire que la cotisation employeur est un élément du salaire et qu'elle permet une socialisation de la reproduction de la force de travail, notamment par la politique familiale. De ce point de vue, il est bien légitime que les employeurs contribuent au financement de la politique familiale. Ils ont en effet intérêt à disposer d'une main-d'oeuvre abondante, jeune, éduquée, intérêt à la reproduction de la force de travail. Ils tirent bénéfice d'une forte fécondité, que la société investisse dans l'éducation et la formation des futurs travailleurs, bénéfice qui va bien au-delà du financement des politiques de conciliation entre travail et famille de leurs salariés.
Antoine Math s'est demandé si les employeurs contribuaient trop à la politique familiale. Les cotisations sociales employeur représentent bien 35 milliards d'euros, à savoir près des deux tiers des dépenses de la branche famille ; mais les dépenses d'éducation des enfants ne se limitent pas à ce chiffre : l'investissement de la nation en faveur des familles va bien au-delà – Antoine Math évoque 120 milliards d'euros en 2008, soit près de 6 % du PIB (selon le Haut Conseil de la famille). Dans cette perspective, les entreprises ne contribuent plus que pour un dixième à la politique familiale. Si l'on tient compte de l'ensemble des dépenses de consommation finale imputables à la production et à l'éducation des enfants, on arrive à 14 % du PIB. Si l'on valorise les soins procurés aux enfants au sein de la famille – il s'agit des tâches parentales –, on atteint 23 % du PIB. La contribution des employeurs à la reproduction sociale est donc en réalité bien moindre que les deux tiers susmentionnés. Antoine Math en conclut que cette contribution n'est pas excessive.
Pour ce qui est du second argument, en vertu duquel les entreprises seraient écrasées de charges en France, Antoine Math montre que l'évolution de la part des cotisations sociales employeur dans la valeur ajoutée n'a cessé de diminuer : elle était de 19 % dans les années 1980, 17,5 % dans les années 1990, pour tomber à 15,6 % en 2008 avant de remonter à 16,6 % en 2012. Le raisonnement reste valable si l'on ajoute les impôts payés par les sociétés. Aussi, conclut Antoine Math, en dépit du discours dominant, les entreprises ont été largement favorisées par les évolutions récentes. La baisse des cotisations sociales des employeurs peut difficilement se justifier par l'argument d'une pression fiscale trop élevée.
Venons-en à la comparaison entre les systèmes français et allemand. Les deux relèvent d'une logique bismarckienne : la cotisation contribue pour beaucoup au financement de la protection sociale même si l'on assiste, dans les deux pays, à une tendance à la fiscalisation.
Une note du Trésor montre un moindre effort de dépenses de protection sociale par rapport au PIB en Allemagne : 31 % contre 33 % en France. Le financement par cotisation rapporté au PIB est un peu inférieur outre-Rhin. Les cotisations sociales seraient, selon cette note, moins lourdes en Allemagne, mais les indicateurs fournis ne permettent pas de l'affirmer. J'ai en revanche trouvé que le taux de cotisation des entreprises en Allemagne, de 19 %, serait un peu plus élevé qu'en France, mais je n'en suis pas sûre.
Reste que si les taux de cotisation dans les deux pays sont comparables, la grande différence est qu'ils sont beaucoup plus progressifs en France : pour les salaires avoisinant le SMIC, ils sont très faibles, bien inférieurs à ce qu'ils sont en Allemagne. Pour les salaires plus élevés, en revanche, du fait de la progressivité, les taux sont plus élevés en France. Autre différence : il n'y a pas de cotisation famille en Allemagne parmi les cotisations sociales employeur, mais des cotisations maladie, vieillesse…
En outre, la politique familiale de l'Allemagne est bien différente et constitue un vrai point noir pour ce pays. Même si les structures collectives se sont développées depuis les années 1990 et surtout 2000, les jeunes enfants leur sont nettement moins confiés qu'en France. Dans la partie occidentale de l'Allemagne, on considère qu'il est bon pour l'enfant que sa mère reste avec lui à la maison. Aussi de nombreuses mères diplômées ont-elles renoncé à la maternité. On peut donc difficilement prendre exemple sur la politique familiale allemande et sur son financement, d'autant que la démographie y est en berne et que, s'il y a moins de chômage des jeunes qu'ici, c'est parce qu'il y a moins de jeunes. En outre, le financement du risque vieillesse et des retraites pose des problèmes d'une autre ampleur que ceux constatés en France.
La compétitivité allemande vient-elle de moindres cotisations sociales employeur ? Les coûts du travail ne sont pas l'explication puisqu'ils sont plus élevés en Allemagne, notamment dans les industries exportatrices et en particulier pour les biens d'équipement. C'est donc la compétitivité hors coût qu'il faut considérer. Guillaume Duval montre bien que, pendant la crise, les exportations se sont effondrées avant de rebondir. Il faut également tenir compte des retombées positives de la réunification allemande qui a ouvert les marchés de l'Europe de l'Est à l'Allemagne, laquelle a aussi misé sur des industries qui correspondent à la demande mondiale, comme le secteur des biens d'équipement pour les pays émergents.
Comment, ensuite, expliquer les récentes performances de l'Allemagne en matière d'emploi alors que, dans les années 2000, elle était considérée comme l'homme malade de l'Europe à cause d'un taux de chômage élevé, le PIB chutant même en 2009 de manière plus marquée qu'en France ? Si l'emploi a très bien résisté outre-Rhin, le chômage partiel y a augmenté plus fortement, contribuant à soutenir l'emploi industriel masculin. L'autre face du miracle de l'emploi est l'explosion des « mini-jobs » après les « réformes Schröder ». On compte environ 7,5 millions de ces emplois, essentiellement féminins et présents surtout dans les services, rémunérés à moins de 450 euros par mois. Ils ne sont pas exonérés de cotisations sociales des employeurs, mais de cotisations salariales, alors que la France a bien plus misé sur la baisse des cotisations sociales des employeurs.