Intervention de Daniel Lenoir

Réunion du 16 janvier 2014 à 9h30
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF :

Il va de soi que le regard du directeur général, qui est chargé d'ordonnancer la dépense, diffère de celui du président du conseil d'administration.

Tout le monde sait que le montant des économies que la branche famille est susceptible de réaliser ne suffira pas à couvrir la perte de recettes attendue, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la ministre a dit très clairement hier soir qu'elle serait intégralement compensée, comme l'a été la perte de 0,15 point de cotisation patronale. Voyons cependant ce qui peut être fait en matière de réduction des dépenses, puisque le Président de la République a également évoqué cette piste.

Les prestations légales constituant l'essentiel des charges de la branche, un plan d'économies suppose nécessairement leur moindre revalorisation : c'est mathématique, d'autant que l'amélioration de l'accès aux droits est un des objectifs que nous assigne la convention d'objectifs et de gestion (COG) qui nous lie à l'État, ce qui signifie une augmentation du nombre des prestations distribuées.

Dès ma prise de fonctions, j'ai fait de la lutte contre les abus et les fraudes aux prestations une de mes priorités, non pas tant en raison de leur coût financier, comme je l'ai encore répété la semaine dernière devant votre commission des affaires sociales, que parce que toute fraude, aussi minime soit-elle, est un « coup de canif » dans le principe de solidarité et nuit gravement au consentement à la solidarité. Grâce à une amélioration considérable de nos capacités de détection, nous avons augmenté le montant des fraudes détectées de 20 % entre 2011 et 2012, pour parvenir à 120 millions d'euros. À mon avis, il est possible d'atteindre, voire de dépasser l'objectif de 100 millions d'euros supplémentaires fixé par la COG, le montant estimé des fraudes étant de l'ordre de 700 millions d'euros. Mais, quand bien même ces objectifs seraient atteints, ces montants ne sont pas à la mesure de l'enjeu.

Quant aux indus, ils représentent un coût de 2 milliards au total, dont nous récupérons une grande partie. Le nombre de ceux qui trouvent leur origine dans des erreurs internes est appelé à diminuer, la gestion de la branche ayant beaucoup progressé. Mais la plupart sont générés par la réglementation elle-même. J'avais proposé à ce propos que le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) se penche sur la question de la date d'effet des droits. J'espère que cette question sera examinée par le CIMAP qui doit se réunir en juin. Reste que, là encore, les marges d'économie sont faibles à l'échelle des milliards d'euros dont la perte devra être compensée.

On ne peut pas non plus rogner beaucoup les dépenses d'action sociale, surtout que la COG nous fixe des objectifs ambitieux en la matière, qui sont des objectifs de politique publique. De telles politiques ne recèlent pas des gisements d'économies comme il en existe dans la branche maladie, où on sait qu'il y a des dépenses inutiles. Il s'agit là de dépenses nécessaires. Je voudrais vous en citer trois exemples.

On connaît l'ampleur des besoins en matière d'accueil de la petite enfance, qui souffre d'immenses inégalités territoriales et sociales, et l'essentiel des 2 milliards d'euros supplémentaires prévus par la COG sera affecté au financement des dispositifs d'accueil de la petite enfance. On ne peut pas rogner sur cette dépense sans remettre en cause cette politique. En dépit de tous nos efforts pour maintenir un niveau de prestation suffisant, on sait que le reste à charge est important, notamment pour les familles les plus modestes.

Autre exemple, la CNAF finance des dispositifs d'accompagnement de la réforme des rythmes scolaires sur la partie « activités périscolaires ». Il ne nous est déjà pas possible de satisfaire à toutes les demandes des communes, notamment pour des raisons financières.

La COG nous fixe également des objectifs ambitieux en matière d'aide à la parentalité, via notamment la médiation familiale. Dans le même temps, l'État se désengage de cette action en supprimant les crédits du programme 106 qui y étaient affectés, contraignant la branche famille à prendre le relais. On sait que les besoins sont considérables, ce dispositif apprécié étant paradoxalement beaucoup moins développé dans notre pays que dans les autres pays européens. Dans le cadre de la préparation du projet de loi « famille » Mme Bertinotti, ministre déléguée à la famille, nous a fait savoir sa volonté de généraliser ce dispositif. Tout cela a un coût.

Ces exemples vous permettent de mesurer qu'on ne peut pas réaliser d'économies significatives sur les fonds destinés à l'action sociale, qui représentent désormais 10 % des dépenses de la branche famille.

Il reste les frais de gestion. Notre COG impose à la branche famille de réaliser des efforts de productivité et d'efficience. Cela se traduit notamment par le non-remplacement de départs en retraite dans les caisses, alors que celles-ci subissent une demande croissante des allocataires du fait de l'augmentation de la précarité. Cet engagement sera tenu, mais on ne pourra aller plus loin que si le chantier de la simplification avance très vite. En tout état de cause, le coût total des frais de gestion représentant moins de 2 milliards d'euros, le montant des économies réalisables est faible.

S'agissant des ressources, je n'ai pas à m'exprimer sur la pertinence de tel ou tel prélèvement. Ce qui me semble important, c'est d'assurer à la branche famille un financement stable et lisible. De ce point de vue, je préfère nettement la solution des ressources affectées plutôt que celle de la dotation budgétaire, soumise au principe d'annualité.

Supprimer la part patronale des cotisations familiales n'exonère pas d'une réflexion sur la forme que pourrait prendre la participation des entreprises au financement de la branche famille, eu égard aux effets bénéfiques de l'action de celle-ci pour la vie économique et des entreprises, que la Cour des comptes évalue entre 12 et 14 milliards d'euros. Ce principe de mutualisation des bénéfices ne nuit pas à la compétitivité, au contraire.

Je pense, comme Jean-Louis Deroussen, que la branche famille doit bénéficier d'une ressource dynamique. Surtout, le mode de financement de la branche doit avoir du sens, car, comme le consentement à l'impôt, le consentement à la solidarité suppose que le citoyen comprenne pour quoi il paie. Affecter le produit d'une taxe sur l'alcool à l'assurance maladie, cela a du sens : on accepte de contribuer aux dépenses qu'entraîne notre consommation. Selon ce principe, l'affectation de la CSG à la branche famille se justifie, car elle a un rapport direct avec la famille, ce qui n'est pas le cas de la taxe sur les véhicules de société. C'est une question de démocratie : le prélèvement doit favoriser le consentement à la solidarité.

S'agissant de la gouvernance de la branche famille, il me semble important de maintenir à la tête des caisses un conseil d'administration paritaire, afin de permettre aux parties prenantes dans chaque département, échelon des politiques sociales, de participer à la gestion de ces politiques : c'est ce qui donne du poids et de la pertinence aux politiques des CAF. Il est très important par exemple que les schémas territoriaux prévus en matière de développement des structures d'accueil de la petite enfance puissent être élaborés en concertation avec l'ensemble des parties prenantes.

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