Je présenterai tout d'abord notre délégation : membre de la direction confédérale, Catherine Perret est chargée de la formation professionnelle. Administrateur de la CGT, Éric Lafont s'occupe notamment des questions de financement. Enfin, je suis moi-même membre du bureau confédéral, chargée de la démocratie sociale. Nous vous remercions de prendre le temps de nous auditionner au sein de cette commission.
Le projet de loi qui vous occupe aujourd'hui porte sur des sujets très divers, touchant très concrètement à la vie des salariés dans leur rapport au travail. La CGT considère l'emploi, la formation professionnelle et la démocratie sociale comme des enjeux majeurs. L'élévation du niveau de qualification des salariés nous paraît en effet nécessaire pour assurer le progrès social, la dynamique de l'emploi et le développement économique. Quant à la démocratie sociale, elle doit avoir pour objectif le progrès social et constituer un instrument de citoyenneté pour les salariés.
Le projet comprend trois titres : le premier porte sur la formation professionnelle et l'emploi, le deuxième sur la démocratie sociale et le troisième, sur la dimension régalienne de l'inspection et du contrôle des politiques de l'emploi, du travail et de la formation professionnelle. Derrière ces titres se profilent plusieurs questions majeures qui devraient faire l'objet de vos discussions concrètes : la qualification et la sécurisation des salariés dans leur parcours professionnel ; la représentation collective des salariés et notamment le droit pour tous les salariés à une instance représentative du personnel qui soit utile à leurs yeux ; la qualité des consultations démocratiques des salariés que sont les élections professionnelles et les élections prud'homales ; les conditions d'exercice du droit syndical et du financement des syndicats ; les missions et moyens du service public de l'Inspection du travail ; enfin, la production de normes sociales au niveau de la branche et au niveau interprofessionnel. Or, ce ne sont pas forcément ces enjeux qui ressortent le plus dans le débat public. Il nous faut d'ailleurs admettre que nos efforts pour permettre aux salariés de s'approprier pleinement les enjeux qui les concernent se heurtent à certaines limites – fait qui constitue déjà en soi un problème pour la démocratie sociale.
Quant à la méthode retenue pour élaborer ce projet de loi, elle a varié selon les thématiques abordées. Le volet relatif à la formation professionnelle fait suite à l'ANI de décembre 2013. Le fait que la CGT ne soit pas signataire de cet accord – qui amoindrit les obligations de formation des grandes entreprises et crée des droits virtuels sans prévoir les financements correspondants – ne remet nullement en cause son investissement dans cette négociation. Nous avons en effet défendu la nécessité de plus de formation, en reliant formation, qualification et salaire.
La lettre de cadrage du Gouvernement était extrêmement précise et contraignante : elle fixait le principe, les objectifs à atteindre et la durée de la négociation.
Nous sommes attachés à la consultation systématique des organisations syndicales sur toute réforme du droit du travail, considérant qu'il s'agit là d'une évolution logique de la démocratie sociale. Les organisations syndicales disposent en effet d'une expertise que rien ne remplace puisqu'elle s'appuie sur leurs adhérents, les élus dans les entreprises et leur rapport aux salariés. Ainsi notre participation permet-elle d'enrichir le débat républicain et démocratique. Nous contestons cependant l'idée que les accords nationaux interprofessionnels doivent être rigoureusement transcrits dans la loi, ce qui priverait le législateur de sa légitimité d'intervention. Ces accords entérinent en effet un compromis issu d'un rapport de forces entre des propositions contradictoires. Mais la loi, elle, est censée porter l'intérêt général, et elle doit viser à réduire les inégalités. Vous avez donc, à notre sens, un vrai rôle à jouer dans l'élaboration de ce titre premier.
Il en va d'ailleurs de même des autres volets du texte ayant fait l'objet d'une concertation avec le Gouvernement. Nous avons relevé que l'exposé des motifs qualifiait cette concertation de « large et approfondie ». Or, notre appréciation est sensiblement différente : certes, il y a eu concertation, mais l'on ne retrouve dans ce projet de loi que ce qui fait consensus entre les acteurs syndicaux et patronaux. Nous verrons en quoi cela affaiblit, selon nous, l'ambition d'une véritable démocratie sociale. Il est par ailleurs des thèmes, sur lesquels des désaccords mais aussi des propositions ont été exprimés, qui n'ont pas fait l'objet d'une véritable concertation : c'est notamment le cas de la représentativité patronale et des élections prud'homales.
Enfin, la procédure accélérée souhaitée par le Gouvernement, sur un projet de loi aussi large, nous paraît bien peu valorisante en matière de démocratie sociale.
J'en viens à l'appréciation que nous portons sur les différents titres du projet de loi.
En l'état actuel, le titre premier tend à traduire au niveau législatif les dispositions de l'ANI du 14 décembre 2013 et une partie des conclusions de la concertation relative au compte personnel de formation (CPF) et au conseil en évolution professionnelle. Ce faisant, il s'éloigne fortement des orientations annoncées dans le document remis par le ministre du travail aux organisations syndicales et patronales le 8 juillet 2013. L'ambition exprimée dans la lettre de cadrage a pour le moins été revue à la baisse avec un ANI a minima dont l'équilibre général interroge la première organisation syndicale que nous sommes et sur lequel – fait quasi inédit – une organisation patronale a refusé d'apposer sa signature. La question de l'accès des salariés issus des très petites entreprises (TPE) et des PME à une formation qualifiante reste ouverte. Sans réclamer une nouvelle négociation, la CGT souhaite toujours que le projet de loi permette des avancées en matière de sécurisation des parcours professionnels. Pour y parvenir, il faut que le Parlement joue tout son rôle en vue d'améliorer le projet de loi initial.
Nous partageons tous le diagnostic selon lequel ce qui rend une formation attrayante, c'est la promotion professionnelle qu'elle peut générer. Il convient donc que la loi tende à cette fin. Selon la CGT, le projet de loi doit rétablir un équilibre et notamment encadrer la définition des actions de formation à visée qualifiante entrant dans le périmètre du compte personnel de formation. Il convient de fonder ce nouveau dispositif – qui ne constitue pas un droit à formation mais seulement un droit d'initiative –, en affirmant de nouvelles garanties collectives qui permettent de le rendre opposable dans l'entreprise. Il faut pour cela rendre le plan de formation obligatoire et inscrire sa construction et son suivi dans le cadre d'une délibération sociale au sein de toutes les entreprises. On pourrait ainsi créer un droit d'alerte sur l'employabilité et donner corps à l'obligation de former en instituant une obligation formelle d'adaptation et de maintien de la capacité à occuper un emploi.
L'obligation légale de financement du compte personnel de formation doit s'élever au minimum à 0,2 % de la masse salariale annuelle brute de l'entreprise et être généralisée sous trois ans à l'ensemble des entreprises. Ce compte doit être en effet le même pour toute personne, quelle que soit la région ou l'entreprise dans laquelle elle travaille. C'est pourquoi la CGT réclame également que la gestion de ces 0,2 % soit assurée par une instance nationale interprofessionnelle paritaire telle que le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.
Le texte permet à une entreprise de se soustraire pour trois ans à la mutualisation du financement du CPF par accord d'entreprise, sur la base d'un raisonnement proche d'une logique d'assurance individuelle : toucher à hauteur de ce que l'on paie. Il s'agit là d'un fractionnement du financement du CPF qui, compte tenu de la faiblesse des obligations prévues, risque de ne même pas porter le nombre de CPF financés à la hauteur du volume des droits individuels à formation prioritaires (DIF) et des DIF portables constatés en 2012. La CGT est donc résolument opposée à cette échappatoire.
Nous reviendrons sur le détail des différents articles du texte au cours du débat si vous le souhaitez.
Consacré à la démocratie sociale, le titre II aurait dû traiter de la représentativité patronale, comme le revendiquait la CGT. En effet, ce sujet concerne au plus haut point les organisations syndicales de salariés puisque les critères de représentativité patronale conditionnent la production de droits et garanties collectives des salariés. La CGT regrette que ce projet de loi exclue la mesure de l'audience patronale par l'intermédiaire d'un vote des employeurs alors que plusieurs confédérations syndicales de salariés y sont favorables. D'autre part, les propositions formulées pour asseoir l'audience sur un vote des employeurs auraient mérité une concertation approfondie. Il est incompréhensible que la position commune rendue publique par trois organisations patronales constitue la source principale du texte – ainsi que le reconnaît le ministère dans l'exposé des motifs du projet de loi –, d'autant plus que les organisations patronales avaient, elles, participé en 2008 à la négociation relative à la représentativité syndicale et que la négociation collective est un droit constitutionnel des salariés et non du patronat.
Il est pour le moins curieux de faire reposer l'audience sur l'adhésion. Voilà qui pourrait s'apparenter à une forme de suffrage censitaire : pour pouvoir compter, il faut payer ! Ce faisant, le projet de loi ne garantit nullement la transparence nécessaire au contrôle de ce critère, tout particulièrement en ce qui concerne la multi-adhésion. En effet, dans ce cas, ce serait l'organisation de branche qui répartirait les voix entre les organisations nationales interprofessionnelles auxquelles elle est adhérente, ce qui ouvrirait la porte à des abus.
L'instauration d'un droit d'opposition des organisations patronales à l'extension d'un accord, même si elle reste soumise à des conditions d'effectifs, porte atteinte à la procédure d'extension qui doit demeurer de la compétence de l'État. Elle affaiblit ainsi le droit constitutionnel des salariés à la participation et risque d'entraîner une diminution du nombre d'accords étendus.
Sur le volet de la représentativité syndicale, le projet de loi comporte des aménagements de nature à améliorer la mise en application de la loi de 2008. Ceux-ci sont le fruit du travail conséquent qui a été mené au sein du Haut conseil du dialogue social.
Nous saluons la reprise dans le projet de loi d'une disposition importante portée par trois organisations syndicales : les délégués syndicaux pourront à nouveau être désignés dans un périmètre moins important que celui des comités d'entreprise. Le MEDEF s'opposant à cette disposition, qui favorise une activité syndicale de proximité avec les salariés, nous vous invitons à rester vigilants dans le cadre du débat parlementaire.
Pour autant, le projet de loi manque d'ambition et ne permet pas de franchir le cap nécessaire en matière de démocratie sociale. La loi devrait en effet énoncer le principe de validation des accords sur la base d'accords collectifs majoritaires à au moins 50 %, d'autant que les dispositions actuelles, qui fixent cette majorité à 30 % en l'absence d'opposition d'une organisation ayant recueilli une majorité, avaient été conçues comme transitoires dans la position commune.
Le fait qu'il ne soit pas institué de représentants élus ni de commissions paritaires territoriales pour les salariés des TPE entache le volet démocratie sociale de ce projet de loi. Le Gouvernement s'est en effet contenté d'envisager dans l'exposé des motifs une concertation complémentaire au sein du Haut conseil du dialogue social et une éventuelle traduction législative d'ici 2017. Or, les 4,6 millions de salariés qui travaillent dans de très petites entreprises ne disposent pas, pour la majorité d'entre eux, de représentants élus ni d'instances représentatives dotées de compétences. Des propositions existent pour corriger ce défaut de démocratie sociale. Si la concertation a besoin d'être poursuivie, le législateur ne peut se contenter de maintenir le statu quo.
L'article 19 du projet de loi, qui concerne les juges prud'homaux, est inacceptable pour la CGT. La possibilité d'agir devant le conseil de prud'hommes est partie intégrante des garanties collectives dont disposent les salariés pour faire respecter leurs droits – 98 % des 200 000 affaires traitées chaque année par les prud'hommes sont à l'initiative des salariés. Les conseillers prud'hommes sont donc une force inestimable pour les salariés qui veulent obtenir réparation d'un préjudice subi. Leur légitimité ne peut être garantie que par l'élection au suffrage universel. Supprimer le vote prud'homal constituerait un déni de démocratie – ce serait supprimer la dernière élection sociale, qui plus est par ordonnance.
L'idée de désigner les conseillers prud'hommes sur le fondement de la représentativité ne résiste pas à l'analyse. Les salariés ne votent pas aux élections professionnelles pour élire des conseillers prud'hommes mais pour déterminer une représentativité syndicale donnant le pouvoir de négocier en leur nom des accords collectifs. Dès le lendemain du scrutin de 2008, la CGT a exprimé la volonté que soient étudiées les causes de l'abstention pour y porter remède. Or, la seule réponse fut la commande du rapport Richard qui, malgré notre demande, n'a nullement conduit à la création d'un groupe de travail. De plus, les personnes privées d'emploi seraient aussi privées de leur droit de vote, c'est-à-dire sans moyen de s'exprimer ! Autre argument avancé, le coût des élections serait trop important : mais on ne peut sacrifier une élection démocratique qui concerne 19 millions de personnes sous prétexte de faire des économies !
Commandé en 2010 par le précédent Gouvernement, le rapport Richard mettait en garde contre le risque d'inconstitutionnalité que présentait le mode de désignation retenu, compte tenu de l'impossibilité pour des citoyens, dans les conditions définies par la loi, de se présenter à l'élection des juges, dès lors que la représentativité imposerait le « filtre syndical ».
Rien n'oblige à adopter cet article couperet qui entacherait singulièrement la démocratie sociale. La CGT a formulé des propositions sur le sujet et reste disposée à participer à une réflexion qui viserait à conforter la juridiction prud'homale, notamment en instituant un vote dédié des salariés en faveur de leurs conseillers prud'homaux. Cela nécessite d'organiser les élections pour 2015.
L'article 17, qui concerne le financement des organisations syndicales et patronales, met en place un fonds paritaire de centralisation et de répartition des subventions publiques et contributions existantes – la définition des méthodes concrètes de détermination du niveau de ces financements étant renvoyée à des décrets en Conseil d'État et à une négociation nationale interprofessionnelle encadrée par décret. Quelques remarques sur cet article : si la création d'un tel fonds fait partie de nos revendications, il ne s'agit pas selon nous de substituer de nouveaux financements à ceux existants mais de permettre le financement de la mise à disposition de salariés pour l'activité syndicale. Le fonds serait assis sur une cotisation de toutes les entreprises permettant de rembourser la rémunération totale des syndiqués mis à disposition aux entreprises maintenant leur salaire. Or, le fonds institué par le projet de loi ne répond pas à cette revendication. Pour cela, il conviendrait d'instituer un droit des organisations syndicales à la mise à disposition de salariés de toute entreprise ; intégrer le remboursement de la rémunération des salariés mis à disposition parmi les missions du fonds ; et enfin, intégrer ce financement dans la cotisation patronale minimale dont un décret en Conseil d'État déterminerait le niveau.
Deux autres questions importantes ne sont pas traitées dans le projet de loi. Il s'agit, d'une part, du droit des confédérations syndicales de salariés de justifier de l'utilisation de subventions et contributions de façon totalement interprofessionnelle, c'est-à-dire pour les salariés du public comme du privé. On sait que ce droit est nié par la Cour de Comptes. Et d'autre part, du droit à l'hébergement syndical des unions territoriales interprofessionnelles des confédérations.
Question essentielle, la détermination du niveau du fonds concerne tant la cotisation des entreprises que la contribution des institutions paritaires autres que celles de la formation professionnelle et la subvention de l'État. S'agissant de la répartition, il est injuste que l'audience des organisations syndicales ne soit pas prise en considération dans la répartition de la part de la subvention publique. En effet, la répartition forfaitaire des subventions crée d'importantes inégalités dans le financement des confédérations. Alors que les ressources de celles qui ont le plus d'adhérents, c'est-à-dire les plus représentatives, reposent majoritairement sur les cotisations, le financement de celles qui ont peu d'adhérents dépend majoritairement des subventions. Une telle situation est intolérable car elle risque d'alimenter des campagnes médiatiques de dénigrement du syndicalisme amalgamant toutes les organisations.
Le titre III du projet de loi porte sur l'Inspection du travail, service public essentiel à la protection des salariés contre les abus du patronat. Son autorité repose sur trois critères essentiels : son indépendance, assurée par la convention 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT) ; sa fonction généraliste, qui lui permet une présence dans toutes les entreprises ; et son maillage territorial de proximité qui la rend accessible à tous. Or en l'état actuel, le projet de loi remet en cause ces critères et, s'il était adopté tel quel, il provoquerait immanquablement un bouleversement parmi le personnel et porterait dangereusement atteinte à la protection des salariés. De fait, le texte remet en question l'indépendance du corps de l'Inspection du travail, transforme ses missions en amoindrissant les contrôles dans les entreprises, et en particulier dans les TPE, et désorganise son maillage territorial. Et, sous couvert d'une évolution de carrière d'une partie des agents, une vraie menace continue de peser sur les effectifs de contrôle et des autres personnels. Or, ce dont a besoin l'Inspection du travail, c'est de moyens humains pour assurer ses missions de contrôle, d'un doublement de ses sections pour pouvoir être encore plus proche des salariés, et de la reconnaissance du travail des agents de contrôle, fondée notamment sur un véritable déroulement de carrière pour les catégories C, B et A. Il convient aussi de permettre aux inspecteurs du travail de constater la situation de travail des salariés, en particulier s'ils sont en situation de vulnérabilité, pour les aider à s'en sortir, et de recevoir localement et directement tout salarié qui le demande.
Si la concertation prévue au niveau départemental en vue de développer les échanges et le partage d'expérience peut constituer une bonne idée, elle ne saurait être confondue avec une subordination des inspecteurs.
Enfin, la lutte contre le travail non déclaré doit pouvoir se construire entre l'inspecteur du travail « local », les organisations syndicales et les représentants du personnel, mieux à même d'être efficaces que n'importe quel « groupe national d'intervention ».
Voilà notre appréciation d'ensemble de ce texte, mais nous répondrons volontiers à vos observations.