Ma réponse ne saurait être exhaustive, compte tenu du nombre de questions posées, et je vous prie de m'en excuser.
Vous l'avez compris, la sécurisation des parcours professionnels est une préoccupation majeure de la CGT. Nous défendons l'idée d'une sécurité sociale professionnelle et nous revendiquons la paternité du droit individuel à la formation (DIF) mis en place en 2003.
Nous portons une appréciation négative sur l'accord national interprofessionnel et le projet de loi car on manque l'occasion de mener une réforme de fond permettant la création d'un véritable droit à la formation. Le compte personnel de formation ne constitue pas un droit à la formation. Il donne au salarié un droit d'initiative mais les contraintes auxquelles il est soumis ne permettront pas d'améliorer l'accès à la formation. Aujourd'hui 6 à 7 % seulement des salariés bénéficient d'un DIF. Ce n'est pas suffisant.
Si un diagnostic partagé a permis de remplacer le DIF par le CPF, le projet de loi n'apporte pas les remèdes appropriés, qu'il s'agisse d'augmenter le nombre de bénéficiaires ou de faciliter l'accès pour les salariés, en activité ou non, qui en ont le plus besoin. À cet égard, nous avons souligné le décalage entre l'ANI et la lettre de cadrage du ministre qui relevait les difficultés d'accès des salariés les plus fragiles aux formations qualifiantes. Cela concerne les salariés les moins qualifiés ou ceux travaillant dans les entreprises les plus petites – les cadres des TPE sont ainsi moins formés que ceux des grandes entreprises. Le projet de loi en l'état ne répond pas à ce problème alors que la concertation quadripartite avait permis des avancées. Les éléments positifs du CPF sont d'ailleurs le fruit de cette concertation.
L'universalité du CPF, que nous appelons de nos voeux, exige d'améliorer notablement le projet. Elle suppose de s'intéresser aux salariés du secteur privé mais aussi à tous les autres, le « hors champ » – 5 millions de salariés –, le secteur public ou les travailleurs indépendants, ce que le projet de loi ne fait pas. Les travaux parlementaires devront y remédier.
Nous sommes déçus car notre ambition était plus grande. Le contexte économique exige des efforts importants de la Nation en faveur de la formation. Les attentes fortes des salariés seront déçues car le financement du CPF ne permettra pas l'accès à la formation qu'on leur fait miroiter.
Nous suggérons donc plusieurs modifications.
L'ANI est éloigné de nos propositions en matière de financement. Au cours de la négociation, notre position sur la contribution des entreprises a évolué. Mais nous souhaitions instituer un garde-fou consistant, pour les entreprises, à passer de l'obligation de dépenser à l'obligation de former. Nous avions proposé d'abaisser la cotisation obligatoire mais parallèlement d'obliger toutes les entreprises à établir un plan de formation et à mettre en place un suivi de celui-ci. Conscients des contraintes des petites et moyennes entreprises, nous avions envisagé une mise en place progressive de l'obligation, accompagnée d'un soutien aux plus petites entreprises par le biais des organismes paritaires collecteurs agréés. Cette obligation devait s'inscrire dans le cadre d'une réflexion approfondie en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) territoriale afin de prendre en compte les spécificités régionales et de bassin. Nous n'avons pas eu gain de cause sur ce dispositif, qui aurait conféré au salarié un droit d'initiative opposable. Il me semble important d'y revenir.
Concernant les listes, nous proposions que soient déterminées dans le cadre de la délibération sociale de l'entreprise des formations prioritaires répondant aux besoins des salariés comme à ceux de l'entreprise. Grâce au compte personnel de formation, le salarié aurait un accès prioritaire à ces formations afin d'évoluer et de se reconvertir. La CGT tient également à ce que le CPF se traduise par un droit à l'évolution et à la promotion professionnelle dans l'entreprise et, au-delà, dans la branche. L'attractivité des formations est liée à la reconnaissance accordée au salarié par l'entreprise ou la branche pour l'effort qu'il a consenti afin d'obtenir une nouvelle qualification. Cette reconnaissance peut s'inscrire dans le cadre de la GPEC. Le projet de loi est loin d'octroyer les garanties collectives que nous attendons.
La CGT a obtenu l'instauration d'un entretien sur la formation professionnelle. Le projet de loi est néanmoins mal rédigé sur ce point. Il importe de préciser que cet entretien doit être distinct des autres entretiens et qu'il n'est pas un entretien d'évaluation. La systématisation de l'entretien de formation professionnelle, ainsi que le plan de formation professionnel délibéré, sont de nature à favoriser une meilleure égalité d'accès à la formation dans l'entreprise. Vous avez encore la possibilité de densifier cette partie.
L'ouverture et la fermeture des droits au CPF sont un autre sujet de débat. Pour créer un CPF universel, l'ouverture doit être possible dès 15 ou 16 ans, quelle que soit l'activité de la personne et sans lien avec l'entrée sur le marché du travail ou une inscription à Pôle emploi. Dans le cas contraire, on réduit l'universalité du CPF. Il faut également tenir compte du cas des femmes. Parce que nous croyons à un droit à la formation équivalent à la sécurité sociale, nous avions proposé que le CPF soit géré par une branche de la sécurité sociale.
Quant à la fermeture des droits, il semble injuste qu'elle intervienne lors de la liquidation de la retraite. Il faut vous interroger sur l'utilité sociale des retraités. Il pourrait être judicieux de conserver les droits à formation non consommés aux retraités qui s'engagent dans le monde associatif ou dans des missions intérêt général. La CGT propose que les droits soient maintenus pendant un an après la liquidation des pensions afin d'inciter les retraités à se former.
Il importe également que le salarié conserve dans le cadre du CPF le droit d'initiative qui avait été acté dans le DIF. La décision d'utiliser le CPF doit appartenir entièrement au salarié, qu'il soit en activité ou privé d'emploi. Cela vaut particulièrement pour les chômeurs signataires d'un contrat de sécurisation professionnelle dont les droits issus du CPF pourraient être siphonnés par leur adhésion à un parcours de sécurisation. Le projet de loi n'est pas suffisamment précis sur ce point. En outre, il convient de bien distinguer le congé individuel de formation et le CPF.
La CGT a plaidé pour un passage du plafond d'heures de formation à 150 heures car, depuis la mise en place du DIF, le nombre d'heures nécessaires à la professionnalisation a augmenté. Il a été décidé que ces 150 heures pourront être utilisées sur neuf ans au lieu des six ans que nous demandions. Ce choix présente un risque de lissage. En l'état, le projet de loi ne préserve pas d'un risque de régression par rapport au droit existant.
Quant au financement, la CGT avait évalué au plus bas à 0,4 % la part de la contribution obligatoire devant être dédiée au CPF pour réussir à cibler les publics les plus fragilisés. Avec 0,2 %, on est loin du compte…
Autre problème majeur, le fonds dédié au CPF n'est pas sécurisé. L'ANI prévoit que les entreprises peuvent s'en affranchir en cas d'accord de branche ou d'accord d'entreprise. Le projet de loi limite cette possibilité à l'accord d'entreprise. Selon nous, il faut la supprimer et obliger toutes les entreprises à dédier 0,2 % de leur masse salariale au CPF. L'existence d'un tel fonds serait un gage d'égalité pour les salariés sur l'ensemble du territoire. Sans cette garantie, le niveau de financement du CPF sera différent d'une région à une autre. Vous risquez de mettre en place une « assurance formation ». Nous demandons donc une généralisation de la contribution dédiée à 0,2 % avec l'espoir d'une montée en puissance qui nous semble inévitable.
La gouvernance a fait l'objet d'un travail approfondi dans le cadre de la concertation quadripartite. Nous approuvons l'instauration de deux niveaux de gouvernance. En revanche, reste posée la question de l'établissement de listes prioritaires. Nous souhaitons que soient définies des listes nationales issues du répertoire national des certifications professionnelles, à même de garantir l'égalité des salariés, la mobilité, la péréquation, etc. Nous ne sommes évidemment pas opposés à la détermination, en complément et par la concertation, de listes répondant aux besoins régionaux et locaux, voire de listes issues d'accords d'entreprise.