Intervention de Christophe de Margerie

Réunion du 15 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Christophe de Margerie, président-directeur général de Total :

La Grande-Bretagne a intérêt à relancer le débat en France, ce qu'elle fait non sans malice, car les Français ne sont pas les seuls qui aiment donner des leçons. Nos deux blocs d'exploitation étant réduits, il ne s'agira pas d'une opération très importante. D'ailleurs, nous ne l'avons pas annoncée. C'est la presse qui s'est chargée d'ébruiter l'affaire.

Il semble assez naturel que les Britanniques aient choisi Total pour exploiter les gaz de schiste. C'est leur premier partenaire en matière pétrolière, ainsi que le premier producteur en mer du Nord, du côté britannique. Il est logique qu'ils lui fassent confiance pour entrer dans un nouveau secteur risqué tant sur le plan technique qu'en matière d'image. Reste que nous préférerions être fiscalisés en France, car au Royaume-Uni, le taux d'imposition marginale sur le gaz et le pétrole atteint 80 %.

En France, Total, qui reste en retrait du débat sur le gaz de schiste, y participera le jour où les mesures prévues par la loi seront effectives. Faute d'avoir effectué un forage, on ignore toujours l'état de nos réserves. On ne sait donc même pas s'il y a lieu de se battre sur le sujet. Mieux vaudrait cependant éviter l'affrontement : évitons d'opposer de manière manichéenne les bons et les méchants.

De quoi la France a-t-elle besoin ? D'énergie, de croissance et de produits plus propres. Certains répètent à l'envi que l'exploitation du gaz de schiste est plus sale que celle du gaz naturel, du pétrole ou du charbon. « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage… » Mais dans les fibres de carbone, qui remportent tant de succès dans l'aéronautique et permettent à la région de Lacq et de Pau de se redynamiser grâce à des investisseurs japonais, il y a également du carbone sans qu'elles soient pointées du doigt pour autant.

Nous comprenons les inquiétudes que suscite la fracturation, mais il faut les dépasser. De même, quand nous avons installé un projet pilote d'injection de CO2 dans le sous-sol de Lacq, nous avons dû prouver aux viticulteurs de Mourenx que le procédé n'abîmerait pas leurs vignes. Sur certains sujets, nous devons parfois redoubler d'effort, compte tenu de notre image. Encore faut-il que le débat reste ouvert.

Il ne l'est pas dans le cas du gaz de schiste. C'est pourquoi je me tais. Le ministre du redressement productif a cru nous faire plaisir en nous proposant son aide. Il ne s'agit ni de nous aider ni de nous faire plaisir. C'est l'intérêt de la France qu'il faut prendre en compte. M. Montebourg nous a également demandé de prouver que nous pourrions d'emblée construire un pilote sans fracturation hydraulique. C'est impossible. On n'y parviendra qu'en avançant pas à pas avec les experts. Il serait stupide de prétendre le contraire, comme il est absurde de soutenir qu'un seul puits pourrait détériorer la nappe phréatique. Commençons par des tests.

À tout prendre, je comprends mieux certaines oppositions très fortes. L'hostilité d'un écologiste non à l'exploitation du gaz de schiste mais à celle de tous les gaz me semble parfaitement claire. J'admets plus difficilement qu'on charge la fracturation de tous les maux.

Récemment, le Château s'est ému parce qu'un article de Newsweek s'est attaqué à des bizarreries françaises. Nous sommes bien malades si un seul article suffit à créer une affaire d'État. D'ailleurs, quand nous sommes-nous privés de critiquer les Allemands ou les Anglais ? J'entends dire continuellement qu'Obama est un pourri pour laisser produire autant de gaz de schiste ou que les Britanniques sont des cochons. Quant aux Polonais, ils pollueraient moins s'ils produisaient plus de gaz au lieu de miser sur le charbon, ce que font aussi les Allemands qui, dans ce domaine, se paient notre tête.

Avant d'agir, discutons et comparons les chiffres. C'est au législateur et à l'exécutif de décider, mais ils ne pourront le faire qu'au vu de tous les éléments du problème et non du seul point de vue qui les intéresse. Je conviens que si l'on ne veut pas entendre parler du carbone, il ne faut pas développer le gaz de schiste, mais renoncera-t-on également à exploiter le gaz, le charbon et le pétrole, qui sont aussi des hydrocarbures ? Bien sûr que non !

Le plus simple est de réduire les émissions de CO2 sans prendre de mesures catégoriques. On ne gagne rien à adopter une position trop tranchée. Les hydrocarbures sont nécessaires même pour produire des panneaux solaires, domaine dans lequel Total arrive, selon les classements, en première ou en troisième position. Nous avons racheté une société américaine de la Silicon Valley dont les produits sont reconnus et offrent le meilleur rendement par unité.

Nous sommes donc très impliqués dans ce dossier. Nous avons fait des projets de 700 mégawatts aux États-Unis, alors que, par comparaison, celui d'Abu Dhabi n'est que de 100 mégawatts. Celui que nous avons réalisé au Chili est directement connecté au réseau électrique. Il est donc en concurrence directe avec les autres sources d'énergie locale. Nous n'avons même pas eu besoin de demander de subventions sans lesquelles un particulier qui produit de l'énergie solaire ne pourrait pas être concurrentiel face à EDF. Cependant, soyons conscients que le solaire n'a pas sa place partout. Il sera toujours plus compétitif en Californie, dans le Sud de l'Europe ou en Afrique, que sous nos climats. Peu importe que ces installations soient loin de l'Hexagone, puisque la réduction de l'émission de CO2 doit être mondiale.

En France, il n'est pas question d'accorder au propriétaire du terrain la propriété du sous-sol, selon le système en place aux États-Unis, qui a sans doute contribué à faire accepter l'exploitation. En revanche, nos législateurs pourraient s'inspirer des Britanniques, qui ont permis aux communes de lever directement des impôts sur les sociétés exploitantes, et accepté, pour nous permettre de démarrer, de nous soumettre à l'imposition de droit commun au lieu du régime des pétroliers. Autant dire que nous serons traités comme une entreprise normale et non – n'en déplaise aux auteurs de certains articles – comme une entreprise subventionnée.

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