Intervention de Christophe de Margerie

Réunion du 15 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Christophe de Margerie, président-directeur général de Total :

Voilà encore des questions auxquelles on ne peut répondre trop vite. C'est un des problèmes du débat sur l'énergie : il faut laisser aux gens qui connaissent le sujet le temps de s'exprimer.

Nous sommes incapables de réduire autant que nous le souhaiterions la part des énergies fossiles – hydrocarbures et charbon – dans le mix énergétique. En 2030-2035, nous parviendrons à l'abaisser de 81 % à 74 %, pour citer un chiffre repris par l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Puisque nul ne sait faire mieux, et c'est déjà un effort colossal, ne nous fixons pas d'objectifs inatteignables – ou acceptons de parler du négawatt en sachant qu'il aura un impact sur notre manière de vivre et qu'il imposera une approche différente de notre système économique et politique.

La seule certitude est qu'il sera impossible de passer à une économie verte dès 2030, d'autant qu'en 2050, la population mondiale aura augmenté de 2 milliards d'habitants, pour atteindre le chiffre de 9 milliards. On dit trop peu que le coût de l'énergie verte est très élevé. Certains s'imaginent que nos superprofits pourraient servir cette cause, mais ceux-ci doivent avant tout nous permettre de chercher le pétrole dans les pays qui en ont.

Nous ne sommes pas assez avancés, en termes de technologie et de recherches, pour envisager un passage total à la chimie verte. Ainsi, les verres en polymère d'acide lactique (PLA), qui ne sont plus à base de pétrole mais de biomasse, fondent à partir d'une certaine température. Même si l'on inscrit dessus la mention « À n'utiliser qu'avec un liquide froid », nous serons tout de même responsables si quelqu'un se brûle parce qu'il y aura versé de l'eau chaude. C'est du moins ce que prévoient les lois que vous avez votées, et dont nul ne conteste la pertinence. Peut-être faudrait-il revoir, cependant, le principe de précaution.

Pour l'instant, nous nous contentons d'incorporer dans nos produits à base de matière pétrolière, donc prétendus dangereux – mais que nous utilisons tout de même depuis des années – une part croissante de matières issues de la biomasse. Nous réduisons ainsi l'accès aux hydrocarbures.

La mode, dans l'aéronautique, est de recourir au carburant « biojet ». Toutes les compagnies le réclament, mais on ne peut pas utiliser plus de 10 % de biocarburant. Cela suffit pour que les compagnies affirment qu'elles sont « vertes », alors que, dans l'esprit de tous, Total reste « sale », puisqu'il fournit, outre les 10 % de carburant vert, les 90 % à base d'énergie fossile. Nos efforts ne sont jamais reconnus parce qu'il est impossible, même en dépensant 100 milliards de plus, d'atteindre le but fixé par certains.

Ceux-ci seraient probablement ravis si j'arrêtais de faire du pétrole, mais la moitié des gens n'auraient plus d'énergie. Or j'ai une responsabilité sociétale dans ce domaine. En Afrique, nous avons vendu plus de 500 000 petites lampes solaires – d'une valeur de 15 à 18 dollars – sur lesquelles on peut brancher des téléphones mobiles ou des iPhones, voire des rasoirs. Elles apportent une aide réelle aux populations les plus reculées. Nous ne nous vantons pas partout de ce genre de succès, mais toutes les ONG connaissent notre action.

Je suis prêt à expliquer point par point tout ce que nous faisons dans la chimie verte. José Bové et Cécile Duflot le savent parfaitement. Au lieu de se focaliser sur ce qui ne va pas, il faut voir ce qui marche. Nous sommes plus propres qu'avant. Le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals, enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques) est respecté. J'ajoute, pour faire un peu de provocation, que si l'on veut réduire les émissions de gaz carbonique dues à la pétrochimie, il faut préférer l'éthane au naphta et le gaz au pétrole. C'est la voie qu'empruntent les Américains, qui ont limité le charbon et le nucléaire. Dès 2018, ils inonderont le marché de produits fabriqués avec de l'éthane américain, qui coûte le tiers du gaz français, donc le quart du naphta. Nous ne pourrons les concurrencer qu'en mettant en place des régimes contraires aux règles de l'OMC, car leur gaz, réellement moins cher que le nôtre, n'est pas subventionné.

Nous devrions y réfléchir ensemble au lieu d'attendre 2018 pour constater que l'industrie européenne, notamment française, est en péril. Il faut voir le problème dans sa globalité, au lieu de se focaliser sur l'énergie et la chimie vertes.

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