Intervention de Christophe de Margerie

Réunion du 15 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Christophe de Margerie, président-directeur général de Total :

La transition énergétique est l'occasion d'aborder des sujets plus politiques et de faire passer des messages généraux sur l'entreprise. À cet égard, la seule manière de faire du progrès social, c'est de pérenniser le profit. Le débat récurrent sur les profits de Total est vain ; un chiffre en valeur absolue ne veut rien dire. Total, Elf et Petrofina gagnent forcément plus que Total tout seul, mais cela ne dit rien de leur rentabilité. Nos résultats stagnent et on ne peut pas à la fois s'en indigner et réclamer une raffinerie ou autre chose.

Le projet Yamal, qui va nous coûter plus de 30 milliards, a été soutenu par les autorités russes qui nous ont consenti des avantages spécifiques, mais pas de subvention, et pris à leur charge des infrastructures d'intérêt général. Autrement, le projet serait ingérable et non profitable. Cela montre bien que nous devons dégager des profits pour investir, faire de la recherche et prendre des risques. Ce soir, je pars rejoindre nos équipes au Yémen, où nous avons de graves problèmes de sûreté, même si, selon mon code de conduite, si je ne pouvais pas y aller, elles ne pourraient pas y rester. Notre société est française, nos expatriés sont français et ils travaillent pour la France. Il faut s'en souvenir avant de nous adresser des reproches. Les critiques répétées sont pesantes même si j'en ai pris mon parti car j'ai pour ambition de bien faire mon travail, pas d'être aimé.

Nos relations avec l'État sont bonnes sachant que nous prenons soin de rencontrer régulièrement les ministres, pour expliquer ce que nous faisons. Maintenir le dialogue porte ses fruits bien que certains sujets, comme l'outre-mer, restent délicats. Total ne fait pas de politique politicienne, nous n'avons pas à prendre parti sinon pour la France, mais cela ne m'empêche pas de m'exprimer quand les intérêts de ma société sont en jeu. Je n'oublie pas que le personnel que je représente vote à moitié à gauche et à moitié à droite. Total ne peut pas travailler sans avoir des relations avec les gouvernements, et c'est vrai dans tous les pays du monde. Partout où je vais, je suis reçu comme un partenaire important parce que nous sommes bien acceptés.

En France, on me demande toujours, parce que notre société est française, ce que je peux faire de plus. Par provocation, je pourrais répondre : rester ! Plus sérieusement, nous nous efforçons de faire notre travail le mieux possible. Mais je ne peux pas faire de discount sur l'essence, je n'ai pas le droit de vendre à perte et je ne peux pas faire de cadeaux sous prétexte que c'est la France, avec l'argent des investisseurs qui, à 70 %, viennent de l'étranger. En tant que Français, on peut s'astreindre à l'exemplarité et accepter quelques concessions. Nous nous réjouissons d'être français et que le Président de la République nous apporte son soutien à l'étranger.

Pour réduire les coûts, nous faisons jouer la concurrence avec Total Access. Nous avons décidé d'arrêter l'hémorragie de nos parts de marché par du marketing, en évitant une guerre des prix avec la grande distribution à qui nous voulons tout de même montrer que nous pouvons y arriver, malgré des coûts et des salaires plus élevés, et des services supérieurs, grâce à notre logistique et à notre taille. Nous avons fait le choix de redynamiser notre politique commerciale, plutôt que d'arrêter. Face à la concurrence des grandes surfaces, nous ne jouons pas l'indignation, mais c'est nous qui finançons les stocks de sécurité et la logistique. La cigale l'oublie, sauf quand ça va mal et qu'elle se tourne vers la fourmi Total qui veut bien l'aider, à condition de ne pas perdre de l'argent.

Le raffinage est en risque. Nous avons fait des efforts à Gonfreville : 740 millions pour la raffinerie auxquels s'ajoutent 300 millions pour la pétrochimie, au total donc 1 milliard d'euros sur trois ans. Et cet investissement découle de la décision de pérenniser le site. À défaut, il serait condamné par une concurrence sévère.

Pour rendre La Mède plus compétitive, nous avons cherché quoi faire avec Ineos et les Chinois. Mais les choses bougent en Chine en ce moment, et nous avons du mal à obtenir des réponses de nos partenaires. On attend, mais on ne peut pas ne rien faire et il faudra trouver des solutions imaginatives. Les salariés veulent rester chez Total, ce qui prouve que la place est bonne, mais ce n'est pas toujours possible. Nous choisissons des repreneurs qui ne soient pas des financiers purs et durs, mais, si chacun veut garder sa raffinerie avec le même drapeau, on va droit dans le mur. Le mécontentement qu'il nous arrive de susciter ne signifie pas que nous ne traitons pas les problèmes sociaux du mieux possible.

Faut-il construire SATORP en Arabie Saoudite, premier producteur mondial de pétrole ? Évidemment. Si nous n'y étions pas, d'autres, Chinois, Russes, auraient pris notre place. Alors autant faire travailler des sociétés françaises et utiliser des technologies françaises. Le risque de concurrence existe bien que la raffinerie soit plutôt tournée vers l'Asie parce que, in fine, le marché est unique. Je ne peux pas vous tenir un langage autre que celui de la vérité. N'investir qu'en France serait une pure folie. Le sujet mérite une approche au moins au niveau européen. Il est dans votre rôle de représenter les régions françaises, dans le mien d'envisager l'ensemble du groupe et de vous mettre en garde contre les risques de destruction de valeur. Monsieur Barbier, je vous souhaite bonne chance et vous adresse tous mes voeux pour le travail monumental qui attend votre mission. Éviter la superposition des points de vue et les mettre en perspective sera une tâche colossale.

Quant au gaz de houille, il y en a relativement peu et l'exploitation est assez ancienne. Surtout, il faut vouloir du gaz. Réglez donc d'abord ce problème et celui de la décarbonisation parce que Total ne peut pas exploiter le gaz de houille et se voir reprocher d'émettre trop de CO2. N'oubliez pas qu'il faut beaucoup d'énergie pour produire ce combustible qui n'est pas conventionnel. Stop à l'incohérence ! Travaillons ensemble à l'éliminer pour éviter de perdre autant d'argent à créer des conflits qui n'ont pas lieu d'être.

Bien sûr que nous continuons de travailler en interne sur la fracturation qui intéresse peu ou prou tous les pays où nous opérons. Si nous faisons des progrès, toutes nos implantations en profiteront. D'où ma défiance envers le principe de précaution. Concrètement, il consiste à attendre que les autres mettent au point des techniques chez eux avant de les utiliser chez soi. N'y voyez-vous pas un manque de sens des responsabilités ? Le principe de précaution, un chef d'entreprise y pense constamment, mais j'ai été surpris de le voir inscrit dans la Constitution. C'est son rang dans la hiérarchie des normes qui me gêne car tout projet risque d'être frappé d'inconstitutionnalité. Greenpeace vient d'ailleurs de reprocher à Total d'aller faire à l'étranger les « cochonneries » qu'il ne peut pas faire chez lui, comme la France le faisait autrefois pour ses essais nucléaires. Il s'agit d'un vrai sujet de société, qui dépasse largement Total, et dont il faut discuter dans le cadre du débat sur la transition énergétique.

Nous avons pensé à développer outre-mer le solaire davantage qu'ailleurs, mais des problèmes, notamment d'ordre fiscal, ont freiné le mouvement. On peut rouvrir le dossier car il faut trouver des solutions adaptées aux territoires isolés comme les îles.

Enfin, la taxe pétrolière exceptionnelle ? Non !

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