Merci d'avoir bien voulu nous auditionner sur ce projet de loi de démocratie sociale. Je précise que je suis accompagné de Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, également secrétaire confédérale, en charge des questions de négociation collective et de salaires, qui interviendra sur la partie du texte hors formation professionnelle.
Le projet de loi dont vous discuterez en séance publique dans une dizaine de jours n'ayant pas encore été soumis au Conseil d'État, permettez-moi d'indiquer que la position de notre organisation à son sujet restera prudente. Ce texte transpose l'accord interprofessionnel du 14 décembre 2013 que Force ouvrière a signé pour quatre raisons principales : cet accord ne déroge pas au code du travail ; il maintient un certain nombre de dispositifs, tels le plan de formation, les périodes de professionnalisation, le congé individuel de formation et le contrat de professionnalisation ; il enrichit la négociation collective et la consultation des instances représentatives du personnel ; il renforce, selon nous, l'obligation de formation qui incombe à l'employeur.
L'ANI crée le compte personnel formation (CPF), dix ans après l'institution, par l'accord de 2003, du droit individuel à la formation (DIF). Contrairement au DIF, le CPF est un droit portable – avancée importante, qui fut longue à obtenir. Les publics concernés sont plus larges que ceux du DIF puisque, dans l'accord et dans le projet de loi, l'ouverture du compte se fait dès l'âge de seize ans. Le nombre d'heures de formation est également plus important : il passe de 120 heures pour le DIF à 150 heures pour le CPF. On aurait pu aller beaucoup plus loin, mais n'oublions pas que cet accord est le fruit d'un compromis. En outre, il sera possible d'abonder ce quota de 150 heures.
Conformément à l'une de nos revendications, le CPF dispose d'un financement dédié, ce qui n'était pas le cas du DIF. Un milliard d'euros devrait ainsi lui être consacré : à peu près 880 millions au titre de ce financement dédié, auxquels il convient d'ajouter les abondements. La mobilisation du compte se fait avec l'accord exprès du salarié et du demandeur d'emploi, ce qui était important à nos yeux. Je tiens à insister sur la portabilité complète de ce dispositif. S'il était possible de garder son droit à DIF lorsque l'on changeait d'employeur, cette possibilité était toutefois limitée à deux ans. Le seul cas où le salarié peut perdre le bénéfice de son CPF est la faute lourde. Encore est-ce dans les termes de l'accord : j'ai bien l'impression que cette disposition a été retirée du projet de loi.
L'objectif du CPF est d'élever le niveau de qualification des salariés. Reste à savoir ce qu'est une « formation qualifiante ». Sans doute aurez-vous l'occasion d'en débattre. Je ne suis pas sûr que nous ayons réglé le problème dans le cadre de la négociation. Pour autant, nous avons essayé de faire en sorte que le CPF ne soit pas utilisé pour n'importe quel type de formation.
Le congé individuel de formation (CIF) recevra, quant à lui, davantage de financements, sans que l'on puisse pour autant parler de miracle. À l'heure actuelle, 40 000 CIF sont mobilisés par an. Les entreprises, notamment à partir de dix salariés, contribueront un peu plus à ce dispositif. En outre, les 13 % du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) ne seront plus pris sur la « collecte CIF ». En conséquence, on peut espérer une augmentation de 10 à 20 % du nombre de CIF, ce qui n'est pas négligeable.
Dans le cadre de la négociation, nous avons souhaité rationaliser les entretiens professionnels dont certains relevaient de la loi et d'autres d'accords interprofessionnels. Nous avons obtenu qu'un entretien professionnel ait lieu tous les deux ans et que cet entretien fasse l'objet d'une formalisation pour que l'on sache ce qui s'est passé entre l'employeur et le salarié. Au bout de six ans, un bilan de ces entretiens sera dressé. S'il montre que l'employeur n'a pas respecté son obligation de formation, le salarié concerné bénéficiera d'un abondement correctif de 100 heures. Une telle disposition renforce l'obligation de l'employeur de former ses salariés, ce qui constitue pour nous un progrès important.
Parallèlement, la négociation de branche et d'entreprise, qui est un élément de la régulation collective, se trouve renforcée. Le compte personnel est un bon dispositif, mais il nécessite un accompagnement des salariés et des demandeurs d'emploi concernés : d'une part, le compte ne doit pas être utilisé pour n'importe quel type de formation ; d'autre part, il est essentiel qu'il réponde aussi aux besoins prévisibles de l'économie. La négociation de branche va jouer un rôle extrêmement important en matière de conditions d'éligibilité au CPF ou d'abondements du nombre d'heures. De même, la négociation d'entreprise, qui fait l'objet d'un volet assez important, viendra enrichir les possibilités d'abondements complémentaires du compte. Ces aspects de la régulation collective sont extrêmement importants, et nous serons attentifs à ce que le projet de loi les reprenne fidèlement, voire les améliore.
Le financement a donné lieu à de nombreux débats. En particulier, on a pu observer des confusions – intentionnelles ou pas – entre « obligation de dépense » et « obligation de formation », ce qui n'est pas tout à fait la même chose. De fait, les entreprises qui sont actuellement soumises à une obligation de dépense, à hauteur de 1,6 % de la masse salariale, peuvent utiliser ces sommes d'argent en interne, sans avoir à les mutualiser. Aujourd'hui, les entreprises, quelle que soit leur taille, dépassent leur obligation de 1,6 %. Elles consacrent en moyenne 2,8 % de la masse salariale à la formation de leurs salariés – et même beaucoup plus pour les entreprises moyennes et grandes.
Nous ne considérons pas que cet accord constitue une révolution copernicienne. Nous sommes au milieu du gué, entre l'obligation de payer et l'obligation de former : l'obligation de dépense a été maintenue à hauteur de 1 % de la masse salariale, et l'obligation de formation a été renforcée. Même s'il s'agit d'une évolution majeure, ce n'est pas le « grand soir de la formation » qui ferait disparaître l'obligation de dépenser et se limiterait à une obligation de former. Sur ce point aussi, cet accord est un compromis entre deux positions antagonistes, le fruit de la négociation collective.
Si tout n'est pas mutualisé, le niveau de mutualisation obligatoire reste élevé. De près de 3,8 milliards d'euros aujourd'hui, il va passer à 4,8 milliards d'euros. Un progrès important est à signaler, que l'on n'avait jamais obtenu dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle : une véritable mutualisation descendante de fonds des grandes entreprises vers les petites, par le biais du Fonds paritaire. Ainsi, 175 millions d'euros environ seront consacrés à la formation des salariés des très petites entreprises (TPE).
Un autre progrès est la mise en place d'un financement pérenne pour le Fonds paritaire, qui nous dispensera de la comédie à laquelle nous nous prêtons chaque année de la négociation des taux et de la fixation par arrêté, après consultation du pouvoir exécutif. Ce financement pérenne, entre 0,15 % et 0,20 % de la masse salariale, permettra au Fonds paritaire de travailler sur le long terme – à horizon de trois ou quatre ans, espérons-nous – à ses missions que sont la qualification et la requalification des salariés et des demandeurs d'emploi.
Comme je l'ai dit l'année dernière, que nous signions ou nous ne signions pas des accords, notre position reste la même : ce n'est pas « tout l'accord et rien que l'accord ». Je vous ai expliqué pourquoi nous avons signé celui-ci. Il vous appartiendra ensuite, en tant que représentants du peuple, de faire votre travail. Nous vous apporterons aide et précisions, si vous nous les demandez, mais nous ne confondons pas démocratie sociale et démocratie politique.
Je fais observer que, sur la partie relative au financement mutualisé qui a donné lieu à un grand débat, nous n'étions pas demandeurs. Malgré tout, nous serons très attentifs à la mise en place du fonds paritaire national. Nous avons été surpris que l'on ait rajouté un critère de représentativité à 3 %, tout en comprenant pourquoi et pour qui. Nous souhaitons que l'on supprime ce critère qui ne figurait pas dans la loi de 2008, et que l'on s'en tienne aux 8 % initiaux.
Nous veillerons à ce que soit respectée notre philosophie de la gestion paritaire qui, par définition, se pratique « entre pairs ». Quels que soient le nombre de nos adhérents et notre représentativité au sein des branches ou au niveau interprofessionnel, nous faisons le même travail dans les conseils d'administration. La gestion paritaire doit se faire « à parité » entre organisations patronales et organisations syndicales, et entre organisations syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel.