Le projet de loi en débat est pour nous extrêmement important, tant par sa partie « formation » que par sa partie « dialogue social ».
En matière de formation professionnelle, globalement, ce texte est très fidèle à l'accord que nous avons conclu. Il s'agit, d'après nous, d'une réforme structurelle très importante, qui rompt avec nos traditions dans ce domaine. Le projet de loi dépasse les limites des accords précédents qui ont été transcrits dans la loi, et il nous met en meilleure situation pour affronter les défis auxquels notre pays est confronté. J'insiste sur le principe qui prévaut dans l'accord et dans le projet de loi, à savoir que l'amélioration de la compétence des salariés est vitale pour le parcours professionnel des individus, mais aussi pour la compétitivité des entreprises. L'intérêt des individus rejoint celui des entreprises et du pays. Cela tranche fondamentalement avec la manière de faire jusqu'à aujourd'hui.
Mes collègues l'ont dit, le compte personnel de formation (CPF) est au coeur de ce dispositif. De fait, l'entretien professionnel, avec un bilan tous les six ans, et la liste des formations qualifiantes accessibles au compte personnel, constituent deux éléments clés d'un dispositif vertueux et positif. J'ajoute qu'une attention particulière est portée aux salariés les plus en difficulté et aux demandeurs d'emploi à travers les mécanismes d'abondement ou correctifs.
Le deuxième point majeur de l'accord qui est repris dans la loi est le renforcement du dialogue social, en particulier dans les entreprises. Que le financement dédié au CPF puisse se traduire par un accord collectif dans les entreprises nous semble être le bon moyen de susciter un consensus sur les priorités à décider au niveau de l'entreprise et, par voie de conséquence, d'aller au-delà du socle prévu par la loi. C'est notamment le cas pour les formations accessibles au CPF qui devraient faire l'objet d'abondements ou qui devraient se dérouler pendant le temps de travail.
Le troisième point majeur est la responsabilisation des acteurs à tous les niveaux, et la tentative de mise en cohérence. Pour revenir sur les listes de formations qualifiantes, nous avons prévu qu'elles soient établies aux différents niveaux, car cela permet d'avoir un regard sur un secteur professionnel, un territoire ou une réalité d'entreprise. Si nous avons voulu que chaque acteur soit responsabilisé en fonction de ses compétences, ce n'est pas pour créer de nouveaux bastions, c'est par souci de cohérence. L'intérêt général se traduit à des niveaux divers et variés. De ce point de vue, nous considérons que les propositions qui sont faites sur la gouvernance, et notamment sur la relation entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, en particulier en région, devraient déboucher à terme sur de vraies codécisions. Comme je l'ai déjà dit, c'est l'intérêt commun des entreprises, des salariés et du pays qui est en jeu.
Un dernier point nous paraît extrêmement important, qui est la clarification des circuits financiers. Dans le système actuel, certains dispositifs, malgré les apparences, ne permettent pas de régler les problèmes auxquels les entreprises et les salariés sont confrontés.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur plusieurs chantiers sur lesquels les parlementaires pourraient interpeller les partenaires sociaux. En effet, au-delà de la loi qui sera votée, un travail important reste à accomplir.
Premièrement, la situation des salariés dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Un des dispositifs centraux de l'accord repris par la loi est le bilan, établi tous les six ans, de ce qui aura été réellement fait pour le salarié en matière de formation professionnelle. S'il s'avère que l'employeur n'a pas assumé ses responsabilités, il encourra une sanction sous forme d'un abondement correctif d'heures de formation. Pour l'instant, ce dispositif ne concerne pas les entreprises de moins de cinquante salariés, dont la situation est un peu plus compliquée à gérer. Il serait toutefois dommage que des millions de salariés en restent longtemps exclus. Les partenaires sociaux devraient donc, dans les mois qui viennent, reprendre le travail pour trouver, par le consensus, des formules permettant de faire bénéficier tous les salariés du dispositif.
Deuxièmement, les listes de formations qualifiantes dont l'enjeu est double : d'une part, elles doivent être cohérentes les unes avec les autres ; d'autre part, elles doivent être régulièrement révisées. À moyen terme, les branches, les territoires et les entreprises devront se montrer prospectifs, en ne se limitant pas à la connaissance de l'existant, mais en prévoyant ce que seront les métiers de demain afin d'orienter les salariés et les demandeurs d'emploi vers les formations qualifiantes dont on aura besoin. Cela implique de réviser régulièrement les listes.
Un dernier chantier me semble vital s'agissant de cette réforme ambitieuse, qui repose beaucoup sur la volonté des acteurs de porter un autre regard sur la formation professionnelle. Personne ne peut en prédire le déroulement ni le rythme de la mise en oeuvre. Nous ne savons pas si les fléchages financiers que nous avons élaborés dans le cadre de la négociation seront les bons. Il sera donc indispensable d'évaluer ce que cette réforme va produire, et de nous donner les moyens d'apporter les corrections qui se révéleront nécessaires. Il faudra également trouver comment articuler le rôle du Parlement, qui est majeur, avec celui, tout aussi important, des partenaires sociaux au regard de l'évaluation de la mise en oeuvre de cette réforme.
Je pense qu'au fil de l'eau, cette réforme transformera en profondeur le rôle des branches professionnelles en leur donnant de nouvelles missions, bousculera les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui deviendront de vrais outils au service des entreprises et des salariés en matière de formation. Dans un tel contexte, l'existence de deux OPCA interprofessionnels n'a qu'un faible intérêt. Peut-être même est-elle contreproductive.
Nous sommes globalement satisfaits du titre II du projet de loi, qui porte sur la réforme de la démocratie sociale. Il prolonge les efforts accomplis depuis la réforme de la représentativité syndicale du 20 août 2008, qu'il complète très positivement.
Il convenait de faire en sorte que le travail des partenaires sociaux et la démocratie sociale soient en phase avec les évolutions de notre pays. Le projet reprend la question de la responsabilité des acteurs ainsi que les apports de la loi de 2008 en matière de transparence financière. Les propositions qu'il contient reposent pour partie, comme l'ont fait remarquer mes collègues, sur un travail mené par les partenaires sociaux, notamment dans le cadre du Haut conseil du dialogue social, dont je tiens à souligner l'importance.
En matière de représentativité patronale, il est indispensable d'avoir des règles claires. La symétrie de représentativité est vitale même si, à la différence de certains de mes collègues, je pense que la symétrie des formes n'implique pas forcément une symétrie des modalités. En dehors de la démarche et de la mission politiques, il n'y a pas de symétrie entre un chef d'entreprise et les représentants syndicaux dans l'entreprise, ni entre une organisation patronale et une organisation syndicale de salariés.
Il est tout aussi primordial de régler la question des branches professionnelles. En effet, le paysage est peu propice à la régulation sociale. De très nombreuses branches ne font pas leur travail parce qu'elles ne sont pas en état de le faire. Il est dramatique, quand nous négocions un accord collectif national interprofessionnel qui appelle des déclinaisons au niveau des branches, de ne pas y parvenir. Il serait tout aussi dramatique, demain, que certaines branches professionnelles ne parviennent pas à établir les cartographies des emplois et des compétences nécessaires à une dynamique de formation professionnelle – au coeur de notre réforme. D'où une nécessaire clarification au niveau des branches. C'est vital pour l'intérêt général.
Tout comme pour les règles de représentativité, il y a très longtemps que nous demandons la clarification des règles de financement du paritarisme et du syndicalisme. Nous sommes convaincus que, globalement, les acteurs agissent dans les règles de l'éthique et dans le sens de l'intérêt général. Mais il arrive que tel ou tel acte pose problème et prête à suspicion, et il suffit d'un acte marginal mettant en cause la probité des acteurs pour affecter la crédibilité de l'ensemble. Il est donc vital de faire la clarté entre le financement du paritarisme et le financement des acteurs. De ce point de vue, il nous semble que le projet de loi va dans le bon sens.
Selon nous, il ne doit pas y avoir d'ambiguïté : les ressources propres des organisations syndicales, qui proviennent majoritairement des cotisations pour les organisations de salariés, doivent rester, ou doivent devenir, leur première source de revenus. Nous pensons que la transition entre un système existant, qui a atteint ses limites, et un système clarifié et transparent doit se faire en douceur. Il n'est pas question de priver, à l'instant « t », certaines organisations de ressources. L'objectif est d'enclencher une nouvelle dynamique dont l'équilibre sera difficile à trouver entre des financements forfaitaires, identiques pour toutes les organisations quel que soit leur poids, et des financements prenant en compte leur représentativité, laquelle se traduit, d'une certaine manière, dans les charges qu'elles ont à assumer.
Le projet de loi prévoit une forme de financement pour des organisations non représentatives et fixe un certain nombre de critères. Cela ne nous choque pas. Nous pensons en effet que la démarche engagée dans la loi de 2008 visait à en finir avec la conception selon laquelle certaines organisations seraient a priori représentatives tandis que d'autres ne le seraient pas quoi qu'il arrive. Si cette loi opère une distinction entre les syndicats dits « représentatifs » et les autres, elle le fait sans aucun ostracisme.
S'agissant de la proposition relative aux prud'hommes, nous y sommes favorables, car elle contribue à consolider, selon nous, cette importante institution. Il fallait faire face à la baisse très régulière et conséquente du nombre des votants aux élections prud'homales. Entre les deux dernières élections, le pourcentage de votants a diminué de 7 %, pour atteindre un quart de l'électorat. Or une élection qui ne mobilise pas les électeurs délégitime l'institution concernée. Il fallait également lever l'ambiguïté qui pesait sur ce type d'élections. Celles-ci visent, bien sûr, à désigner les juges, mais personne ne saurait dire sur quels critères ; elles servent plutôt à mesurer la représentativité des organisations syndicales. Que le projet de loi mette un terme à cette situation va dans le bon sens.
La réforme de l'inspection du travail va également dans le bon sens. Le projet permet d'améliorer son efficacité, et nous en avons bien besoin. Les débats en cours sur la question du détachement des travailleurs européens confirment d'ailleurs qu'un certain nombre de situations sont dangereuses pour les salariés et pour le pays. À un moment où les frontières sont très ouvertes, il était important de renforcer le rôle de l'inspection du travail et d'engager une démarche équivalente à celle d'autres États européens. Il nous restera, évidemment, à nous montrer extrêmement attentifs à la mise en oeuvre de ces dispositions – que le texte ne prévoit pas toujours. Nous devrons notamment nous assurer de la cohérence des différents dispositifs mis en place avec les autorités compétentes, qui sont diverses et variées.