Je regrette qu'on ait pu comprendre de mes propos qu'une faible participation électorale délégitimait les juges des conseils de prud'hommes et qu'on pouvait donc en supprimer l'élection. On peut supprimer cette élection parce que la réforme de la représentativité, qui a maintenant un cycle complet d'existence, a démontré son efficacité : sur un corps électoral pourtant plus petit, le nombre de salariés à s'exprimer est beaucoup plus important que pour les prud'hommes. Les salariés peuvent donc s'exprimer selon des modalités plus solides que l'élection prud'homale telle qu'elle existait.
La CFDT fait partie des organisations syndicales qui pensent que les partenaires sociaux ont à produire un effort considérable d'adaptation au monde tel qu'il est, et qu'ils ne sont pas en très bonne santé. Rien ne permet de penser que les organisations syndicales de salariés sont plus en forme que les organisations patronales, au contraire.
Le niveau des branches est un facteur central de régulation. À l'issue d'un travail effectué au Haut conseil du dialogue social, 200 branches professionnelles ont été écartées : soit que moins de dix salariés s'étaient exprimés dans l'élection de représentativité dans leur champ, soit que, depuis vingt ans, elles n'avaient posé aucun acte politique. Pour autant, les 500 autres branches ne sont pas forcément en bonne santé. Les pays voisins qui ont un dialogue social de qualité au niveau des branches professionnelles en comptent une dizaine au maximum. La structuration des branches relève de l'unique responsabilité patronale, les organisations syndicales n'ont aucun pouvoir. Si on laisse les acteurs faire, rien ne changera. On a besoin d'une puissance publique quelque peu coercitive pour obliger les employeurs à être efficaces et à arrêter de construire des branches professionnelles de circonstance qui n'ont rien à voir avec l'enjeu de la régulation sociale.
Dans la question du hors champ aussi, la responsabilité patronale est énorme. Certains secteurs d'activité devraient être inclus dans la dimension nationale interprofessionnelle pour tenir compte de l'évolution de la situation, c'est une évidence.
La mesure de représentativité sur sigle dans les très petites entreprises de moins de dix salariés résulte du refus patronal d'un vrai dialogue social pour ces entreprises. Nous avons beaucoup regretté, sous la précédente législature, que le Parlement ait participé à consolider cette vision la moins positive du patronat, sur laquelle il faut revenir. S'il n'y a pas de point de vue commun entre les organisations syndicales de salariés, nous sommes convaincus qu'il n'y aurait aucun sens à organiser un dialogue social structuré à l'intérieur des entreprises de moins de dix salariés. Par contre, des commissions paritaires pourraient tout à fait le faire sur les territoires. Des salariés seraient élus sur listes nominatives dans ces commissions paritaires pour traiter les problèmes quotidiens auxquels leurs collègues sont confrontés. De notre point de vue, la seule réponse à la crise institutionnelle de représentation à tous les niveaux, y compris syndical, c'est la relation directe entre les salariés et les organisations syndicales. À cet égard, la réforme de 2008 nous semblait vraiment la bonne méthode.
En matière de formation professionnelle, nous sommes convaincus que le nouvel espace de négociation collective dans l'entreprise est un vrai facteur de progrès. La possibilité donnée aux entreprises de fonder avec les partenaires sociaux un accord collectif sur l'utilisation du 0,2 % répond pour partie à vos interrogations sur la définition des priorités par accord collectif au sein de l'entreprise. Ces priorités ne seront pas les mêmes dans une entreprise de gardiennage ou dans une entreprise de service informatique, même si les deux ont des publics fragiles quoique différents eux aussi. Il est donc important que la négociation collective trouve des réponses à ce niveau-là. C'est là, pour l'entreprise, le moyen, non pas de récupérer à son profit le compte personnel de formation, mais de trouver une articulation entre le plan de formation, qui est de sa responsabilité, et le CPF, qui est un outil pour le salarié. Si les textes doivent clairement poser que le compte personnel de formation relève de la décision unique du salarié, les faits montrent que les rôles des uns et des autres sont beaucoup plus complémentaires que ne le laisse penser la séparation totale des deux éléments telle qu'elle est prévue.
S'agissant des demandeurs d'emploi, vous accorderez à la CFDT le crédit d'y avoir beaucoup pensé dans la négociation, et ce dans une vision dynamique. Chacun a été marqué par les événements auxquels a donné lieu la crise agroalimentaire en Bretagne. Si l'accord que nous avons signé avait été en vigueur depuis dix ans, le système du bilan à six ans et d'abondement correctif aurait joué, dans les sociétés Gad et Doux, pour beaucoup des salariés qui ont perdu leur emploi aujourd'hui et n'ont pas eu depuis très longtemps de formation professionnelle sérieuse. Avec un crédit de 150 heures et un correctif de 100 heures, ils auraient pu bénéficier d'un mois et demi. Le crédit est certes faible au regard de la longueur de certaines formations, mais 250 heures contre rien pour certains, cela fait une différence.
Les besoins de formation des demandeurs d'emploi ont deux causes principales : soit ils ont quitté le système scolaire sans avoir acquis le minimum vital en matière de compétence professionnelle, soit, malgré une longue carrière, ils n'ont jamais eu aucune expérience de travail qualifiante. Plus on est efficace en amont, moins il est difficile de résoudre la situation des salariés qui deviennent demandeurs d'emploi. C'est pourquoi, dans la négociation, nous avons insisté sur l'acquisition du socle de compétences, qui est liée au problème de l'illettrisme. Ce point transparaît bien dans le projet de loi. À tous les niveaux de la gouvernance, notamment régional, partenaires sociaux et pouvoirs publics doivent pouvoir allier leurs forces pour sortir ces salariés de la situation difficile où ils se trouvent. Nous avons mis l'accent sur cet aspect de l'acquisition du socle de compétences pour plaider, pour certains cas, en faveur de l'utilisation du compte personnel de formation obligatoirement pendant le temps de travail.
Avec la logique d'abondement, nous avons voulu corriger les deux gros défauts du droit individuel à la formation (DIF), qui traitait tous les salariés de la même manière, quels que soient leur parcours et leurs besoins, et qui laissait au seul salarié l'initiative d'aller en formation ainsi que le choix de cette formation. C'est à l'entreprise, à la branche professionnelle et aux territoires que revient la responsabilité politique majeure de définir les publics prioritaires et le mode d'abondement nécessaire pour leur permettre de bénéficier de formations qualifiantes. Dans le même temps, il faudra inciter les organismes de formation à penser de nouveaux modules de formations qualifiantes. Une compétence qui nécessite 600 heures de formation pourrait, par exemple, être acquise en quatre fois 150 heures, ce qui est d'ailleurs plus supportable pour les entreprises qui doivent laisser partir leurs salariés en formation.
J'en viens à la question des listes et de la gouvernance. À un moment, il faut décider si on laisse la liberté totale aux individus ou si on accommode cette liberté à l'intérêt général. De ce point de vue, il nous semble légitime de lister des formations liées à l'utilisation du compte personnel de formation. Les listes sont construites sur trois niveaux. Le premier est la branche professionnelle qui a, dans un secteur d'activité donné, la meilleure vision des emplois et de leur devenir, qu'il tende vers le développement ou l'obsolescence – du moins en théorie. Le deuxième niveau est l'interprofession nationale qui devrait – toujours en théorie, car la réalité est souvent un peu plus délicate – être capable de consolider la vision des branches professionnelles en en comblant les failles. En principe, il ne doit pas y avoir de contradiction entre les besoins sectoriels et la vision nationale interprofessionnelle. Le troisième niveau est la région, lieu de concertation où l'instance politique et les partenaires sociaux doivent s'accorder sur les besoins pour tenter d'articuler la vision sectorielle mentionnée plus haut avec la réalité régionale. L'emploi dans un secteur d'activité comme l'informatique a une dimension verticale évidente, mais la manière de la mettre en oeuvre dans les territoires peut être extrêmement variée en fonction de la dynamique du territoire ou de l'implantation des entreprises.
Voilà comment nous voyons les choses. Il est probable que cela ne fonctionne pas immédiatement, mais nous parions sur la forte envie des acteurs de faire réussir le système. Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, dont le financement est dorénavant beaucoup plus transparent grâce à un effort conséquent de clarification, est un véritable outil pour aider à concrétiser les choses.
Vous vous êtes inquiétés de savoir si les entreprises, notamment de dix à cinquante salariés, disposeront des moyens de mettre en oeuvre des plans de formation. Force est de constater que la mécanique précédente avec obligation fiscale ne permettait pas de répondre aux objectifs politiques poursuivis. La fin de cette obligation fiscale, nous en sommes convaincus, ne modifiera globalement pas le comportement des entreprises vis-à-vis du plan interne de formation destiné à l'adaptation des salariés à l'évolution de l'outil de production. Ou alors c'est qu'elles se désintéressent de l'avenir au point d'être suicidaires.
Quant aux chiffres, remettons-y de l'ordre. L'obligation fiscale de 1,6 % de la masse salariale aboutit à un montant théorique de 7,3 milliards, mais le produit effectif de la collecte par les OPCA est de 6,7 milliards. Dans la mécanique proposée, avec le 1 %, il y a une mutualisation obligatoire de 4,9 milliards, à laquelle s'ajoutent des obligations conventionnelles précédentes qui demeurent, pour 1,4 milliard. Au total, la mutualisation réelle s'élève à 6,3 milliards. Contrairement à certains commentaires, il y a amélioration notable de la mutualisation. On ne peut pas en dire autant du mécanisme actuel qui permet à certains de mettre de l'argent au pot commun puis de le récupérer. La mécanique proposée par l'accord et reprise par le projet de loi améliore donc considérablement la mutualisation.
En tant que syndicat de salariés, notre objet n'est pas la défense des organisations patronales. Pourtant, nous souffrons principalement de leur faiblesse, plus précisément de leur faible capacité d'engagement des entreprises. Celle-ci est même nulle pour des entreprises non adhérentes d'organisations patronales. Pour illustrer l'absence de symétrie des situations entre les entreprises et les salariés que je relevais plus haut, au sein de l'entreprise, si les salariés doivent voter pour décider quelles organisations syndicales vont les représenter, personne n'imagine un vote pour savoir qui va représenter l'employeur.