J'aimerais bien, monsieur Richard, qu'il y ait 32 milliards d'euros à gérer pour la formation professionnelle des salariés, mais ce n'est pas le cas. Il n'y a rien d'étonnant à notre inclination pour les salariés puisqu'ils sont notre domaine de compétence. Je ne négocie pas pour les demandeurs d'emploi, même si le fonds paritaire leur consacre 85 % de ses financements. Avec les financements des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) de la préparation opérationnelle à l'emploi et du contrat de sécurisation professionnelle, la formation professionnelle des demandeurs d'emploi atteint plus d'un milliard.
Bien sûr, si j'avais été seul à négocier, l'accord ne serait pas celui-là : tout le monde aurait eu droit à mille heures de formation ! Mais il faut « aller vers l'idéal et comprendre le réel », comme disait Jaurès. Le compromis est toujours un élément instable et précaire.
Le compte personnel de formation est un progrès par rapport au DIF en ce qu'il est un droit plus personnel. On aurait pu le laisser à l'entière responsabilité des salariés, mais des exemples étrangers ont montré qu'à les laisser livrés à eux-mêmes, ce sont toujours les mêmes qui profitent, et on renforce les inégalités de traitement. C'est pourquoi il fallait y associer des garanties collectives, en confiant, par exemple, la définition des formations qualifiantes à la négociation de branche et celle des listes de formation pour les demandeurs d'emploi à la négociation d'entreprise. L'objectif des garanties collectives est de faire du compte personnel formation un droit conditionné pour éviter de renforcer les risques d'inégalités de traitement et d'accès à la formation professionnelle qu'il comporte et dont le MEDEF ne se soucie pas vraiment. Le patronat se préoccupe plutôt du plan de formation et de la professionnalisation, mais c'était l'objet du compromis. Nous avons choisi de faire de la régulation collective, par la négociation d'entreprise et de branche, sur les types de formation. Bien évidemment, elle est de nature financière puisque le but des listes est d'éviter d'ouvrir à tout. Nos camarades qui oeuvrent dans les branches connaissent les entreprises et savent déjà de quelles formations ont besoin les salariés.
La gouvernance suscite beaucoup d'interrogations. Sur des sujets qui se croisent, les relations entre partenaires sociaux et régions sont assez compliquées. En matière d'éligibilité des listes, nous nous déclarons compétents, mais vous ferez ce que vous avez à faire. Contrairement à certains qui veulent s'accaparer cette responsabilité en considérant que les régions n'ont pas voix au chapitre, nous pensons que la concertation est nécessaire et qu'elle doit même être rendue obligatoire. Une vraie concertation réussie me paraît préférable à la désignation d'un pilote qui déciderait à la fin.
Mme Iborra propose que le Fonds de sécurisation des parcours professionnels présente un rapport au Parlement. L'idée ne nous dérange pas. Quant à la périodicité, mieux vaudrait sans doute tous les trois ans plutôt que tous les ans, compte tenu de la lourdeur du dispositif, même s'il va être réformé avec le fonds paritaire. Nous avons en quelque sorte engagé le travail en procédant à des évaluations, mais n'oublions pas que la formation est une munition à mèche longue.
Les organismes de formation ne sont pas des objets de négociation. Déjà en 2008, la question avait été abordée car ils posent un vrai problème. Aujourd'hui, 56 000 organismes font une déclaration d'activité dans ce secteur qui fonctionne comme un véritable marché sur lequel le Conseil supérieur de la concurrence veille. Les OPCA, par exemple, ne peuvent pas choisir les organismes de formation comme elles l'entendent parce qu'elles sont soumises au droit de la concurrence. Il nous semble que les pouvoirs publics seraient tout à fait dans leur rôle en organisant ce marché de la même manière qu'ils ont organisé celui des services à la personne, qui est régulé par l'Agence nationale des services à la personne. L'État doit utiliser cette possibilité qu'il a de réguler le marché, car la délégation d'activité ne suffit pas. Sur les 56 000 organismes, 2 000 travaillent et 200 font 80 % du chiffre d'affaires. Les grandes entreprises exigent des organismes qu'elles choisissent qu'ils se fassent labelliser et certifier ISO, mais ce n'est que de la procédure. Nous attendons de la représentation nationale qu'elle intervienne sur ce sujet qui relève vraiment du domaine législatif.
L'intégration du hors champ ne nous pose pas de souci non plus, puisque nous y sommes également représentatifs, pourvu toutefois qu'il soit pris en compte sur le quota patronal !
S'agissant d'une réforme structurelle, nous sommes très attentifs aux délais qui permettent de gérer la transition. D'ores et déjà, je peux annoncer que, au 1er janvier 2015, la situation va être compliquée : pour la Caisse des dépôts, d'une part, même si elle fait déjà de la gestion de comptes de droits de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), l'opération reste techniquement assez compliquée ; pour les branches, d'autre part, sachant que toutes n'ont pas la capacité de négocier très vite et qu'elles ont déjà fort à faire avec les complémentaires santé, le temps partiel, le contrat de génération et la qualité de vie au travail. Si vous leur imposez une date butoir au 1er novembre, attendez-vous à de mauvaises surprises. Il faut donc faire extrêmement attention et donner également aux OPCA la capacité de gérer la transition, selon nous, dans le cadre de conventions d'objectifs et de moyens qui les laisseraient tranquilles sur les frais de gestion sur les TPE et PME pour privilégier des activités de service en direction de ces entreprises. Cette réforme structurelle va demander du temps. Attention au crash sur la piste d'atterrissage !