Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du 20 juin 2013 à 10h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Nous nous trouvons une nouvelle fois devant vous pour évoquer le financement de la branche famille. Après avoir dans un premier temps établi un état des lieux, nous avons, à votre demande, examiné la combinatoire entre le financement de la branche famille, la politique des allégements de charges et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), étudié un certain nombre de scenarii de transfert et envisagé l'hypothèse de la budgétisation en examinant les avantages et les inconvénients de ce scénario alternatif.

Le financement de la branche famille a connu d'importantes évolutions depuis le début des années 1990 puisqu'il se trouvait au coeur des réformes successives du financement de la protection sociale. La branche famille a été très directement concernée par la création de la contribution sociale généralisée (CSG), qui s'est traduite par d'importants transferts de financement des entreprises vers les ménages, et, dès 1993, elle a été la première touchée par la politique d'allégement de charges sociales.

Ces mesures ont entraîné la baisse de la part relative du financement direct de la branche famille par les entreprises sur une longue période – cette part est actuellement stabilisée aux environs de 64 %. La participation réelle des entreprises est inférieure à ce que les chiffres laissent apparaître. Le taux de 5,4 %, qui est maintenu, ne correspond pas à la réalité. Les entreprises du secteur privé financent la branche à hauteur de 23 milliards d'euros – en laissant de côté la participation des administrations publiques et des travailleurs indépendants. La réalité est donc plus obscure que l'apparence et c'est ce que nous avons cherché, dans un premier temps, à mettre en lumière.

À ce dispositif d'allégement des charges – qui consiste à faire varier le taux réel de la cotisation famille, selon le niveau du salaire, entre 0 et 5,4 %, ce qui l'apparente à un dispositif social – a été récemment superposé un dispositif fiscal : le CICE.

Mais ces mécanismes d'égale puissance, qui représentent l'un et l'autre près de 20 milliards d'euros, ne couvrent pas exactement les mêmes périmètres. Le premier s'applique aux salaires inférieurs à 1,6 SMIC et le second aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC, et leurs modes de financement sont très différents. La politique d'allégement des charges est financée par l'attribution à la protection sociale, à titre définitif, d'un panier de taxes et d'impôts affectés, tandis que le CICE fait l'objet d'un financement budgétaire qui sera équilibré par des économies, une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et un nouveau recours à la fiscalité environnementale.

Sous un angle purement économique, dès lors qu'il couvre expressément et spécifiquement le financement de la branche famille, nous pourrions considérer que le CICE répond à la question de la charge qui pèse sur les entreprises. Mais ce n'est qu'une hypothèse d'école puisque le CICE, à la différence du dispositif d'allégement de charges, n'est pas affecté à la prise en charge d'un type de cotisation spécifique.

La question de la suppression de toute participation directe des entreprises au financement de la branche famille doit être parfaitement éclairée au regard de la diversification accrue des objectifs de la politique familiale, en particulier celui de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Cet objectif, l'un des quatre définis par la loi de financement de la sécurité sociale comme devant être ceux de la politique familiale, mobilise de plus en plus de moyens de la part de la branche famille ainsi que des moyens budgétaires par le biais de la dépense fiscale.

Nous avons étudié les sommes que représentent les prestations qui concourent directement à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle en partant de deux hypothèses : toutes deux montrent que 10 à 15 milliards d'euros sont consacrés directement à cet objectif important pour les entreprises.

Ce point mérite une analyse approfondie car la question d'un allégement complémentaire des charges pesant sur les entreprises se pose différemment selon la manière dont il est traité, la contribution des entreprises pouvant passer par des prélèvements généraux – c'est le cas de la formation initiale – ou par le versement de cotisations affectées – le versement transport, ou encore l'action en faveur du logement – par le biais desquelles les entreprises participent à des politiques nationales dont elles sont les bénéficiaires directes.

Nous avons donc cherché dans un premier temps à éclairer la participation des entreprises au financement de la branche famille, le nouveau contexte né de la création du CICE, et la légitimité – ou l'illégitimité – de la contribution des entreprises au financement de la branche famille au regard des objectifs de celle-ci. Dans un deuxième temps, nous avons étudié différents scénarii de transfert de l'assiette de ce financement.

Le premier scénario maintient le financement par les entreprises mais en modifie l'assiette, qui ne serait plus la masse salariale mais la valeur ajoutée. Nous avons étudié ce scénario en nous basant sur l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui a été substituée à la taxe professionnelle.

Le deuxième scénario transfère le financement sur la TVA, ce qui revient à le faire supporter par d'autres agents économiques que l'entreprise.

Le troisième scénario bascule le financement sur la CSG.

Le quatrième scénario prévoit le recours à la fiscalité environnementale.

Ces différentes assiettes ont en commun un certain nombre de caractéristiques. Le prélèvement de substitution doit en effet avoir une certaine dynamique, en lien avec celle des prestations, son assiette doit être assez large pour permettre un rendement élevé à faible taux et son recouvrement doit être aisé – il ne s'agit pas d'ajouter des complexités à un système social déjà très complexe.

Nous avons demandé à la direction générale du Trésor (DGT) du ministère de l'économie d'étudier différents scénarii pour ces quatre prélèvements correspondant à des transferts compris entre 6 et 23 milliards d'euros. La DGT a utilisé MESANGE (modèle économétrique de simulation et d'analyse générale de l'économie) pour parvenir à ses conclusions qui montrent qu'il n'existe pas d'« assiette miracle ».

L'élargissement des cotisations des entreprises à la totalité de la valeur ajoutée sous forme d'une cotisation additionnelle à la CVAE, ce qui a été mis en place en Italie, aurait un effet peu significatif sur l'emploi. En outre, en pesant sur l'investissement, elle pourrait dégrader à long terme la croissance potentielle de l'entreprise.

Le basculement sur la TVA, qui a été partiellement mis en oeuvre en Allemagne, aurait un effet récessif sur la consommation – qui ne serait pas compensé par un recul des importations – et peu d'effets sur l'emploi.

Le transfert sur la CSG, quant à lui, pourrait avoir des effets positifs, mais ceux-ci seraient d'autant plus importants que ce transfert est ciblé sur les bas salaires.

Enfin, l'instauration d'une taxe sur l'énergie, comme cela a été fait en Suède, aurait des effets limités mais néanmoins plus favorables que le basculement sur la TVA.

Il apparaît qu'aucune de ces simulations ne permet de mettre en lumière un prélèvement de substitution qui aurait un impact significatif sur la croissance et sur l'emploi. Seule une diminution, non entièrement compensée, des cotisations à la charge des employeurs aurait un tel impact. Mais tous ces scénarii, quels qu'ils soient, exigent une maîtrise rigoureuse de la dépense et un effort méthodique d'efficience.

Quant à la budgétisation, elle permet une approche consolidée plus cohérente de la politique familiale, en particulier au regard de l'articulation des dépenses fiscales et des prestations familiales. Sur le plan technique, c'est une opération relativement simple qui ne rencontre pas d'obstacles majeurs, ni juridiques ni financiers.

En revanche, ses inconvénients ne sauraient être sous-estimés. En effet, dans la mesure où elle remet en cause le modèle de sécurité sociale hérité de 1945, qui a intégré la politique familiale dans le champ de la sécurité sociale, elle nous invite à nous poser la question du caractère limitatif des enveloppes budgétaires et de leur gestion ainsi que celle, sous-jacente, de la légitimité des partenaires sociaux dans la gouvernance d'une branche qui ne serait plus alors que l'opératrice de l'État.

Voilà les éclairages que nous avons souhaité apporter au Parlement, dans la limite de nos investigations et sans entrer dans le débat engagé par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS) concernant le réaménagement des recettes des différentes branches de la sécurité sociale en vue de faire mieux coïncider la logique, contributive ou universelle, de chacune d'entre elles, et la nature de leurs ressources. Le Haut Conseil a remis son rapport au Premier ministre il y a une dizaine de jours.

Vous trouverez en annexe de notre rapport un certain nombre de recommandations antérieures de la Cour des comptes en matière de politique familiale, sous l'angle des prestations familiales et des outils fiscaux de cette politique.

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