Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du 20 juin 2013 à 10h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Le modèle économique que nous avons utilisé a sa logique propre et de toute façon il n'en existait pas d'autre dans l'administration. Les laboratoires universitaires d'économie, comme ceux des écoles d'économie de Toulouse ou de Paris, disposent de modèles différents, mais nous n'avons pas eu la possibilité de les solliciter. Il est clair que ces sujets nécessitent des regards croisés et que la sensibilité des modèles à différentes hypothèses peut faire varier les conclusions.

Nous avons cherché à documenter, comme vous le souhaitiez, des exemples étrangers, mais nous avons rencontré un certain nombre de difficultés. Ces exemples font toutefois apparaître que les basculements produisent des effets, à la fois structurels et conjoncturels, mais nous n'avons pas été en mesure d'analyser ce qui résulte du basculement lui-même, de son quantum, et ce qui résulte de la conjoncture dans laquelle il a été effectué.

Lorsque nous avons abordé cette analyse, nous étions totalement « agnostiques », nous avons donc étudié les scénarii de substitution tels qu'ils nous ont été présentés. Mais la problématique du transfert sur la valeur ajoutée des entreprises, que nous connaissons depuis plus de trente ans, nous a appris qu'il faut avant tout bien connaître la nature de l'investissement à prendre en compte et définir précisément ce qu'est la valeur ajoutée. Nous avons refusé d'entrer dans ce débat sur le sexe des anges, considérant que le Parlement l'avait déjà tranché.

Pour des raisons de simplification, nous avons proposé l'instauration d'une cotisation additionnelle à la CVAE, dont l'assiette porte sur la valeur brute des investissements – mais elle pourrait aussi bien porter sur leur valeur nette, ce qui aurait peut-être abouti à un autre résultat. Mais nous n'avons pu le démontrer, notre exercice n'étant qu'un éclairage.

En matière de budgétisation, nous sommes tout aussi agnostiques. Ce que nous avons cherché à montrer, c'est que sous un angle purement technique, il n'existe pas de différence incommensurable entre le scénario de fiscalisation intégrale et celui de budgétisation. En réalité, ce n'est qu'une question de tuyau. Celui-ci peut déboucher dans une branche, sous le contrôle de l'État qui pèse fortement sur la gouvernance et les objectifs de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), ou déboucher dans le budget de l'État, à charge pour lui d'affecter les ressources à une politique publique – ce qu'est par nature la politique familiale, du fait de son caractère universel et parce qu'elle n'a plus aucun lien, depuis 1978, avec l'exercice d'une activité professionnelle. Les deux scénarii diffèrent sur le plan philosophique, mais sous l'angle financier, à quelques nuances près, ils ne sont pas réellement différents. Lorsque l'on affecte des recettes spécifiques à une branche et que la croissance des dépenses est peu dynamique, cela crée des excédents que l'on peut envisager de mobiliser, mais ce n'est pas le cas en période de déficit de la branche famille.

Inversement, le fait que l'État gère des enveloppes de prestations ne signifie nullement que ces enveloppes soient mieux tenues que si elles étaient dévolues à une branche prestataire. Il n'y a pas de différence radicale entre l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), pourtant l'une provient du budget de l'État et l'autre est une prestation familiale, et toutes deux sont versées par les caisses d'allocations familiales (CAF). Ces différences relèvent plus de la philosophie et de notre approche de la politique familiale. Dans le cas d'une fiscalisation intégrale, la question du rôle des partenaires sociaux se poserait de la même façon puisque leur présence au sein de la branche famille se justifie par le fait que son financement est assuré par des prélèvements sur la masse salariale.

Nous avons naturellement pris connaissance des scénarii du HCFi-PS. Encore une fois, sur un plan philosophique, il est assez logique de poursuivre le mouvement historique initié en 1945 et qui conduit à faire mieux concorder la nature des prélèvements et l'objectif de chacune des branches. Le chemin a été interrompu du fait de la politique d'allégement des charges qui a brouillé de manière récurrente la problématique, mais il peut sembler légitime de le reprendre pour des raisons de clarté et de cohérence propres à assurer la légitimité de la protection sociale.

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