Intervention de Jean-Dominique Giuliani

Réunion du 14 janvier 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman :

Monsieur Destans, l'important est que la France et l'Allemagne aient systématiquement envie de cohabiter pour convaincre. Comme l'a montré un documentaire diffusé sur Arte, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing entretenaient une relation qui était devenue amicale bien qu'ils ne fussent pas du même bord politique : ils se téléphonaient plusieurs fois par semaine – comme le faisaient aussi, du reste, le président Mitterrand et Helmut Kohl – pour aborder des sujets très divers. Dans un tel contexte, lorsque la France décide, par exemple, d'intervenir en Centrafrique, son partenaire allemand doit être dans la confidence, même si on ne lui demande pas son avis – ce qui n'a du reste pas été le cas en l'espèce et ne l'a pas non plus été, depuis quelque temps, sous le mandat d'autres présidents.

Cette volonté forcée de proximité peut renforcer nos positions dans un dialogue franco-allemand marqué depuis toujours par de nombreuses divergences. Sans une telle « intimité », les décisions sont impossibles, car ces décisions peuvent consister en des compromis plus ou moins favorables selon les circonstances. Le débat public est à cet égard contre-productif et un dialogue plus étroit permettrait à chacune des deux parties de découvrir un partenaire autre – et plus intéressant – que ce que la presse en dit. Cette relation privilégiée est un impératif catégorique pour la défense de nos intérêts nationaux.

Madame Guittet, l'accord commercial conclu avec la Corée s'est révélé très favorable, en particulier pour les entreprises françaises. L'Union européenne a conclu trente-deux accords commerciaux bilatéraux qui correspondent à nos intérêts compte tenu de la structure de notre commerce extérieur, aujourd'hui déficitaire. Les exportations françaises dépendent en effet pour 40 % des produits importés. L'ouverture des marchés est donc vraiment dans l'intérêt de l'Europe.

Certains points sont plus difficiles, comme le projet d'accord avec les États-Unis, intervenu dans des conditions un peu suspectes alors que la Commission européenne était en fin de mandat et dont je ne suis pas sûr qu'il préserve pleinement nos intérêts. L'accord avec la Corée, en revanche, plus favorable pour la France que pour d'autres partenaires, a permis à L'Oréal une percée extraordinaire dans ce pays et a fait entrer des firmes d'avocats et des banques françaises sur le marché coréen, qui est l'un des plus dynamiques d'Asie.

Monsieur Said, contrairement à ce qu'ont pu laisser entendre mes collègues, la politique étrangère et la politique de défense européennes ne peuvent progresser que par une coopération intergouvernementale, prélude à des développements communautaires ultérieurs. Des questions qui, dans le domaine militaire, concernent la vie et la mort des soldats ne sauraient relever d'un organisme collégial ou d'une agence fédérale. Si la coopération en la matière peut être renforcée, elle n'en doit pas moins rester de la compétence des États. À cet égard, pour ce qui est des problèmes migratoires en Méditerranée, je me fie davantage à la marine française qu'à l'agence Frontex. De fait, et à l'exception de la Banque centrale européenne, les agences fédérales européennes, faute de mandat clair et d'une autorité leur permettant d'exercer leurs missions, coûtent plus cher qu'elles ne rapportent. Durant les trois ans où j'ai été conseiller spécial de M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne chargé successivement des transports et des migrations, le fonctionnaire français que j'étais a été choqué par l'inefficacité de certaines de ces agences. Tout cet édifice est en construction.

Le débat entre politiques communautaires et Europe des nations est largement dépassé et nous devons adopter un pragmatisme absolu. Pourquoi ne pas recourir, comme cela a été le cas lors de l'adoption du traité budgétaire pour contourner l'opposition de certains États, dont la Grande-Bretagne, à un accord intergouvernemental, si difficile que soit cette démarche ? Le plus important est en effet de répondre aux besoins.

Monsieur Dupré, l'harmonisation fiscale est le prochain dossier qu'il faudra, à quelques-uns, faire avancer. Sous le précédent quinquennat, la chancelière allemande et le Président de la République avaient annoncé que leurs pays appliqueraient un taux identique d'impôt sur les sociétés au 1er janvier 2013. Il semble que, depuis, les ministères des finances aient oublié ce dossier. Pourtant, l'objectif paraît particulièrement important.

La proposition de fusionner la présidence du Conseil européen et de la Commission européenne figure dans le document rédigé par la Fondation Schuman, mais je ne crois pas que cette fusion se fera. Nous voulions cependant montrer que nos dirigeants, qui se plaignent que l'Europe ne puisse faire entendre une voix unique, avaient la possibilité de le décider.

Monsieur Assouly, dans le domaine de l'emploi et de la formation, notre fondation a en effet proposé d'ouvrir une porte nouvelle aux partenaires sociaux au sein des institutions européennes : ces acteurs pourraient, dans le cadre d'un groupe restreint d'États fondateurs, imaginer ce que pourrait être un régime minimal d'indemnisation du chômage en Europe. Les autorités politiques ne pourraient sans doute pas résister à un accord associant trois ou quatre pays significatifs.

Je conclurai en soulignant que la fondation Schuman est par nature optimiste et que, malgré les moments difficiles qu'elle a traversés, le bilan qui se dégage de l'histoire de l'Europe est positif. Nous n'étions pas prêts à affronter cette crise, car nous n'avions pas parachevé ce que nous devions faire depuis vingt ans, mais cette crise démontre précisément que, lorsque l'urgence est à nos portes, nous savons répondre. Ainsi, les avancées réalisées dans la crise sur le plan économique et en matière de gouvernance auraient été impensables avant la crise, notamment pour nos partenaires allemands. Sur le plan de la défense, monsieur Said, en cas de crise grave en Europe, nous avancerions beaucoup plus vite.

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