Je peux souscrire à bien des égards au constat désespérant dressé par M. Destans. De fait, le désenchantement prévaut quant au projet européen, alors que nous avons longtemps vu dans l'Europe la projection de nos ambitions nationales. Les acquis semblent naturels – paix sur le continent, marché européen et libre circulation dans l'espace Schengen. Il nous semble aller de soit que nos enfants fassent des études dans d'autres pays européens dans le cadre du programme ERASMUS, ce qui n'avait rien d'évident voilà vingt ans, et il nous paraît banal d'avoir des euros dans nos poches. Or, depuis l'euro, une grande fatigue se manifeste, alors que l'euro aurait dû être un point de départ et que nous savions bien que l'union monétaire devait être suivie d'autres partages de souveraineté pour une meilleure coordination budgétaire et une meilleure harmonisation fiscale. Lors du traité de Maastricht, deux grandes négociations étaient en cours. L'une, sur l'union économique et monétaire, a abouti. L'autre, sur l'union politique, a largement échoué. La crise de 2007-2008 nous a conduits à corriger l'union économique et monétaire, avec notamment la supervision bancaire et une meilleure coordination budgétaire.
Madame Guittet, la reconstruction d'un projet politique ambitieux doit se faire en cercle restreint – et il n'y a pas à cet égard d'alternative au couple franco-allemand. Combler le fossé démocratique suppose de la part de nos dirigeants, comme l'a souligné M. Giuliani, une grande « intimité », une sorte de rage de mieux connaître notre partenaire allemand, afin d'inventer, à force de volonté, des politiques communes. Pourquoi ne parvient-on pas à adopter des positions communes dans les enceintes internationales ? Au sein du FMI, nous préférons que la France et l'Allemagne aient chacune un siège, qui leur permet de parler librement et sans concertation, avec 5 % des voix : est-il si difficile de nous associer, avec en outre l'Italie et de l'Espagne, pour réunir 20 % des voix et faire de l'Europe le premier actionnaire du Fonds ? La réponse devrait être naturelle et nous devrions fusionner nos représentations. L'union monétaire implique une plus grande concertation et une plus grande intégration.
La boutade de Henry Kissinger, secrétaire d'État américain de la présidence Nixon, qui demandait : « L'Europe ? Quel numéro de téléphone ? », est toujours d'actualité. Quand on veut parler à l'Europe, c'est Angela Merkel qu'on appelle – M. Van Rompuy ou M. Barroso incarnent-ils l'Europe ? La fusion des présidences que nous proposons vise à permettre à l'Europe de s'incarner mieux. De fait, comme le dit une autre boutade, nous avons trop de dirigeants et trop peu de leaders. Cette multiplication des leaders européens est un peu ridicule et il faut nous efforcer d'y mettre un peu d'ordre. Au demeurant, ce sont les dirigeants européens qui ont nommé ces personnes à ces responsabilités, alors que d'autres choix auraient été possibles.
Les progrès de l'harmonisation fiscale et sociale sont impossibles à vingt-huit, du fait de la règle de l'unanimité, et ne peuvent se faire qu'en cercle restreint – dans le cadre de la zone euro ou dans un cadre encore plus étroit. Nous avons jusqu'à présent toujours refusé de le faire, de crainte de favoriser ceux qui, comme la Grande-Bretagne, resteraient hors de cette union et de ses règles contraignantes. Or cet argument nous empêche de progresser depuis plus de vingt ans et peut-être faut-il tout de même décider d'avancer dans ces domaines.