Intervention de Ary Chalus

Séance en hémicycle du 23 janvier 2014 à 9h30
Encadrement de l'utilisation des produits phytosanitaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAry Chalus :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires. Je veux croire que cette quasi-unanimité démontre surtout un mûrissement des consciences sur ces questions. Pour ma part, j’accueille avec intérêt ce texte dont le principal objectif reste, il est vrai, politique : modifier les habitudes des collectivités et des établissements publics dans l’emploi des pesticides en zone non agricole.

La version du texte, qui nous arrive du Sénat, prévoit l’interdiction de l’utilisation, par toute entité publique, de produits phytopharmaceutiques pour l’entretien de certains espaces verts et la prohibition de ces produits pour tout usage non professionnel.

L’approche suivie se revendique consensuelle ; l’interdiction ne s’appliquera qu’à partir de 2020 et des dérogations ont été actées. L’interdiction ne s’appliquera pas pour l’entretien des cimetières ou des terrains de sport, des aéroports ou abords de chemin de fer. L’interdiction ne s’appliquera pas non plus dans le cas du traitement, curatif ou préventif, des organismes nuisibles.

Ce texte semble surtout vouloir encourager et renforcer une tendance dès maintenant perceptible ; de nombreuses collectivités se sont inscrites dans cette démarche. Certaines ont modifié leurs pratiques dans la gestion de leurs espaces verts à travers la démarche « zéro phyto » : 40 % des communes y seraient déjà !

Dès 2008, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le Gouvernement lançait le plan Écophyto 2018 visant, notamment pour les zones agricoles, à réduire, là encore progressivement, de 50 % en dix ans, l’utilisation des produits phytosanitaires en France, tout en maintenant une agriculture économiquement performante.

Malheureusement, nous savons que certains objectifs affichés dans le plan Écophyto 2018 ne pourront être atteints compte tenu de la situation cinq ans après son lancement. Souhaitons que les mesures votées récemment dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture permettront de rattraper ce retard.

En 2012, une mission sénatoriale commune d’information sur les pesticides, présidée par Mme Sophie Primas et dont le rapporteur fut Mme Nicole Bonnefoy a été lancée. Parmi les recommandations du rapport, on trouve l’idée d’un plan quinquennal d’incitation des collectivités à ne plus utiliser de pesticides et à promouvoir ce type de mesures, notamment dans les écoles, les terrains de sport et les jardins publics.

Cette proposition de loi s’inscrit également dans la continuité de la réglementation en zone non agricole et de l’arrêté du 27 juin 2011 interdisant l’utilisation de certains produits dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables.

Alors certes, la présente proposition de loi ne vise que 5 % à 10 % des usages des produits phytosanitaires car les utilisations en zones agricoles ne sont pas visées ici. Toutefois, l’intérêt que je porte à ce texte résonne avec la situation en Guadeloupe et en Martinique et avec ce qu’il convient d’appeler « le scandale d’État du chlordécone ». Interdit aux États-Unis depuis 1976 et en France métropolitaine seulement à partir de 1990, il a fallu attendre 1993 pour voir son interdiction effective dans les Antilles françaises !

Le chlordécone est un perturbateur endocrinien avéré et un neurotoxique classé cancérogène possible dès 1979. Ce pesticide, dont la molécule est très stable, reste dans le sol, continuant la contamination bien après l’arrêt de son usage. Elle contamine de nombreuses cultures développées sur ces terres – ignames, patates douces, manioc, melons, concombres, et autres. Mais les dégâts sont à mon sens plus sensibles encore dans le milieu aquatique. Elle contamine l’eau des rivières irriguant les terres et alimentant les réservoirs d’eau potable. Enfin, une portion notable de la zone littorale est aussi contaminée, à la Guadeloupe comme à la Martinique. Après avoir pollué les sols, ce pesticide poursuit ses dégâts en mer, entraînant un risque sanitaire pour la consommation de poissons ou de mollusques.

Cette catastrophe écologique est aussi un désastre économique aux Antilles françaises.

Outre le coup porté à l’économie agricole de proximité, ce sont les pêcheurs qui paient aujourd’hui l’addition. La liste des espèces interdites à la pêche en zone d’interdiction partielle a été étendue en juillet dernier afin de prendre en compte la contamination des espèces, d’embouchures principalement. Parmi les espèces interdites, on trouve notamment le mulet, le tarpon et autres poissons.

À l’automne dernier, une aide d’urgence dotée d’une enveloppe de 1,2 million d’euros a été décidée pour les pêcheurs guadeloupéens fragilisés par la pollution liée à ce pesticide chlordécone, vingt ans après son interdiction.

Au-delà, c’est aussi l’image de nos îles, terres d’accueil privilégiées des touristes avides de nature, qui est écornée. L’année dernière, un article du quotidien Le Monde titrait : « Guadeloupe : monstre chimique ! » Cela est excessif, bien sûr, mais cela illustre aussi une perception, aujourd’hui assez répandue, que nous devons combattre, notamment en affichant notre ferme volonté à adopter des comportements vertueux.

Ce que met en lumière le scandale du chlordécone, c’est une certaine incapacité des dispositifs législatifs successifs, riches en dérogations et autres délais d’application consensuels, à verrouiller une approche préservant la santé de nos concitoyens. Cela devrait continuer de nous préoccuper.

Cette proposition de loi, visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, identifie clairement un danger pour les populations. Nous n’avons pas affaire ici à l’application d’un quelconque principe de précaution, tant les études ont démontré le lien entre les pesticides et la prévalence de risques de cancers, de maladie d’Alzheimer ou de Parkinson – et quelques personnes se posent la question sur le nombre énorme d’AVC en Guadeloupe – et d’augmentation du risque de naissance prématurée.

Je regrette donc la prudence de ce texte qui fixe respectivement à 2020 et 2022 l’interdiction effective de l’utilisation et la prohibition des pesticides pour des usages non agricoles ! Le grand nombre d’expérimentations réussies de l’approche « zéro phyto » aurait dû nous pousser à l’optimisme et à raccourcir les délais de l’entrée en vigueur de l’interdiction.

Pourquoi aussi exclure les terrains de sport et les cimetières ? Aux Antilles par exemple, les cimetières sont souvent situés sur le littoral. Compte tenu de la topologie de nos îles et de la pluviométrie sous nos latitudes, l’emploi de pesticides à proximité des rivages est néfaste pour les milieux marins. Il faudrait donc, dans cette proposition de loi, une nouvelle étape vers une généralisation réglementaire du « zéro phyto ». À ce titre, je serai attentif à l’affichage que la représentation nationale lui donnera tout en apportant, avec le groupe RRDP, mon soutien à cette proposition de loi.

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