Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 23 janvier 2013 à 17h00
Commission des affaires européennes

Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

Nos engagements sur la ligne Lyon-Turin ont été réaffirmés lors du sommet de Lyon. Cet axe fait partie des grands chantiers qui pourront bénéficier des financements européens dont l'enveloppe globale s'élève à 19 milliards d'euros, sur lesquels 10 à 15 % reviendront à la France. Le promoteur public franco-italien est en cours de constitution, l'appel d'offres sera prochainement lancé, et fin 2013, nous pourrons mettre le tunnelier en marche. Mais pour démarrer les travaux, il faut d'abord s'assurer du financement ; aussi interrogeons-nous actuellement l'UE sur sa capacité à mobiliser quelque 2 milliards d'euros sur la période 2014-2020.

Quant à la ligne CEVA, son financement – réalisé dans le cadre d'un contrat de projets État-région – s'élève à 30 millions d'euros et ne soulève pas de problèmes particuliers.

La pollution sonore est au croisement de plusieurs enjeux – politiques, industriels et environnementaux. La France applique la directive 200230CE qui l'amène à interdire les avions les plus bruyants, mais nous demandons une révision de ce texte, en particulier pour l'aéroport de Roissy. Par ailleurs, les services du ministère de l'Écologie et de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) travaillent sur une modélisation des approches d'aéroport, qui pourrait optimiser la situation et éviter que l'avantage des uns ne se transforme en inconvénient pour bien d'autres.

S'agissant du ciel unique, nous avons eu une discussion serrée avec le commissaire Kallas. Nous avançons sur la question de la composition du Functional Airspace Block Europe Central (FABEC), même si les autres Functional Airspace Blocks (FAB) de la zone européenne ne suivent pas le même rythme. Mais la procédure de mise en cohérence des dispositifs nationaux au sein des blocs fonctionnels est longue et complexe. La pression qu'exerce le commissaire et son empressement – voire son emballement – n'y feront rien : tout changement en matière de transport aérien exige du temps, d'autant qu'il soulève des questions de sécurité très sensibles. J'espère donc que la Commission n'ira pas jusqu'au contentieux.

Le Président de la République plaide, au niveau européen, en faveur des grands projets de transports bénéficiant à la croissance. Les chantiers actuellement privilégiés – la ligne Lyon-Turin, le canal Seine-Nord Europe, la LGV Bordeaux-Espagne ou Montpellier-Perpignan – dessinent les grandes directions de l'infrastructure européenne. Ces axes – dont la Commission Mobilité 21 s'est évidemment saisie – méritent une place à part, dans la mesure où leur réalisation exigera du temps. La part des financements européens qui revient à la France est pourtant à peine suffisante pour couvrir les besoins.

La grande question du fret est assurément celle de la compétitivité. Le rail n'étant compétitif que sur de grandes distances, nous avons poursuivi le travail sur l'autoroute ferroviaire atlantique. En revanche, la taxe poids lourds – qui alimentera le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) – n'est pas encore opérationnelle et, en tout état de cause, ne représentera pas une source de financement inépuisable. Sa mise en place est annoncée pour le 20 juillet – ce qui n'est pas sans poser des problèmes pratiques pour la comptabilité des routiers –, mais il nous faut avoir la garantie que le dispositif fonctionnera correctement. C'est pourquoi nous mettrons en place une période blanche, sans doute au niveau national, afin de nous assurer que l'écotaxe poids lourds bénéficiera également à la politique routière. En effet, le principal problème du transport routier n'est pas tant la pollution générée par les camions – que la norme Euro 6 rendra moindre – que le coût qu'il représente pour les infrastructures.

L'amélioration de la qualité des sillons s'inscrit dans la logique de la réforme ferroviaire. Nous souhaitons que RFF et la SNCF puissent envisager la modernisation des infrastructures de façon coordonnée. Elles doivent également cesser de sacrifier le fret, l'entreprise étant un client comme les autres.

Le Conseil national de la mer et des littoraux devra se saisir de la transposition, dans le droit français, des paquets européens ; celle du paquet législatif Erika III ne pose pas de problèmes particuliers. Par ailleurs, l'Agence européenne pour la sécurité maritime se charge des questions de sécurité.

Si les grands ports nationaux – dont j'ai rencontré les directeurs et les présidents – sont importants, il ne faut pas oublier les ports décentralisés, car une politique portuaire doit assurer un équilibre entre les enjeux nationaux et locaux. Il faut notamment travailler à la dématérialisation des formalités administratives, qui ont un impact très négatif sur la compétitivité de nos ports.

Nos ports bénéficient aujourd'hui d'une dynamique très positive. Marseille est le premier port de croisières de France, et affiche un bon développement du trafic de marchandises. Le Havre vient de récupérer un trafic de containers, qui représente 15 % de son activité, soit 350 000 tonnes. La Rochelle a de beaux projets de développement portuaire. Les perspectives de Dunkerque sont également excellentes, la progression se faisant tout en douceur. Le partenariat qui s'y est noué entre les acteurs sociaux montre par ailleurs que les représentants des organisations syndicales et la direction des ports peuvent trouver un langage commun ; c'est un bel exemple de paix sociale et de compétitivité. Préservons ces acquis et améliorons l'image de nos ports, qui le méritent amplement !

L'autoroute de la mer qui relie Gijón à Saint-Nazaire marche très bien ; deux ans après sa mise en service, l'heure sera bientôt au premier bilan. Le projet d'une deuxième ligne entre Vigo et Saint-Nazaire présente plus de difficultés, d'autant que la destination Saint-Nazaire risque de se retrouver en surexploitation, créant un déséquilibre entre les trafics montant et descendant. Des réflexions sont en revanche en cours pour mettre en place un trafic en fond de cale sous température dirigée pour faire monter les fruits et légumes du Sud et descendre des poissons du Nord. Le Maroc représente également une destination prometteuse. Plusieurs ministres – dont mon homologue espagnol et moi-même – sont particulièrement mobilisés pour développer ces autoroutes de la mer, mais il nous faut trouver un autre mode d'approche. Actuellement, en France, on finance l'armateur ; mais en Norvège, par exemple, c'est le transporteur routier que l'on rétribue, à hauteur de 6 euros, pour chaque tonne de marchandises passée par la mer. Ce système – qui permet d'intéresser et de fidéliser le transporteur – serait peut-être plus adapté pour compléter le dispositif de l'écotaxe poids lourds.

Le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité maritime en France me semble excessif, voire injuste. Notre système de contrôle est efficace, et s'il faut mener une politique d'aménagement portuaire, celle-ci doit aussi prendre en compte la spécificité de nos littoraux. Il ne s'agit pas de rejeter toutes les critiques, mais de considérer, au cas par cas, les domaines où les avancées sont nécessaires.

Dès mon entrée en fonction, les armateurs m'ont interpellé sur le problème posé par la directive « soufre ». Le commissaire Kallas note avec raison que les pays membres ne se sont pas suffisamment mobilisés, il y a deux ans, pour en dénoncer les difficultés d'application. Si l'objectif reste bien de parvenir à appliquer les taux de rejet de soufre qu'elle fixe, le pavillon français a besoin de temps pour trouver une solution industrielle soutenable. Mieux vaut d'ailleurs, en cette matière, miser sur les navires du futur, l'adaptation des flottes actuelles – notamment celles dédiées au transport maritime de passagers dans la zone de la Manche et de la mer du Nord – s'avérant très difficile. Ces engagements ont été pris dans le cadre de l'OMI, mais l'UE devrait obtenir, pour la France, le même assouplissement du dispositif que celui dont bénéficient les États-Unis ou le Canada. Ne pas l'avoir réclamé met certains de nos armateurs – et l'ensemble de l'économie maritime – en difficulté ; une extension des exemptions représenterait une solution transitoire qui nous permettrait d'avancer.

La LGV Rhin-Rhône fait partie des chantiers examinés par la commission Mobilité 21. La deuxième phase de la branche Est – deux tronçons à l'approche de Dijon et de Mulhouse – devrait bénéficier d'un crédit de 1,2 milliard d'euros. En revanche, le partenariat public-privé en charge du grand contournement de Strasbourg n'a pas abouti. Nous sommes allés jusqu'au bout du dialogue compétitif, mais malgré les relances et les prolongations du délai de remise des accords avec les banques, Vinci n'a pas répondu à l'offre dans les temps.

La politique d'équilibre territorial – que Cécile Duflot et moi-même portons de concert – mériterait un vrai débat dans l'hémicycle. Les questions de l'aménagement du territoire et des modes de transport sont liées : le désenclavement ne passe pas forcément par le tout LGV, l'essentiel étant d'offrir à chacun des moyens de mobilité. Le transport de voyageurs par la route représente ainsi une solution à réexaminer à la lueur des efforts faits par les constructeurs : des bus et des cars parfaitement aménagés permettent aujourd'hui de désenclaver des zones qui ne peuvent être desservies autrement. Le projet de loi sur la décentralisation répartira les responsabilités, le maillage routier devant compléter de façon cohérente le maillage ferroviaire. Quant au Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) et à la Commission Mobilité 21, ils s'occupent des grands chantiers qui répondent à des ambitions d'un autre ordre.

Les projets de liaisons européennes, comme Europole, doivent être impulsés par les États, tout en bénéficiant d'un financement européen. La partie française des travaux est du ressort de la commission Mobilité 21 ; mais tout l'enjeu de la politique européenne de transport et de mobilité est d'assurer une cohérence entre différents projets.

Pour que la compétitivité de la route ne s'impose pas au détriment des autres modes de transport, il est indispensable de parvenir à l'harmonisation sociale à l'échelle européenne et d'assurer des contrôles au niveau national, ces deux conditions étant préalables à toute discussion sur le cabotage et le transport routier. Le secteur est tellement attaqué par la concurrence déloyale que les marges des entreprises représentent moins de 1 %, sans parler de la perte en emplois que les professionnels évaluent à 20 000. Il faut donc renforcer la législation et mettre en place des dispositifs intelligents. Par ailleurs, si beaucoup de routiers sont aujourd'hui sensibles au message environnemental, les grands groupes sont rarement vertueux, dénonçant bien souvent ce qu'ils pratiquent eux-mêmes – ce qui ne peut que ternir l'image de la profession. La norme Euro 6 élèvera, certes, le prix d'un camion de quelque 6 000 euros, mais le renouvellement de la flotte – qui concerne environ 45 000 camions par an – représente également un enjeu industriel. Les nouvelles générations de camions consommeront un peu plus, mais auront un intérêt environnemental certain, puisque sur une flotte renouvelée et propre, le bilan carbone n'est pas négatif. Mais la question de l'écotaxe excède le seul enjeu environnemental : le transport routier usant les infrastructures, il est légitime qu'il contribue à leur renouvellement. Nous avons adapté la taxe poids lourds pour qu'elle soit efficace et perçue comme telle, mais il faudra vérifier qu'elle pèse réellement sur les chargeurs, qui sont responsables du rythme imposé aux routiers et de la mise sous tension des infrastructures.

Comme en témoignent les courriers électroniques et les tweets que je reçois, « le Cévenol » a d'ardents défenseurs, non en raison de sa rentabilité économique – la partie Nîmes-Marseille est très peu fréquentée – mais sans doute parce qu'il représente une image vivante du patrimoine ferroviaire. L'attachement à ce train traduit la crainte de la disparition de la ligne ; il ne s'agit pourtant pas d'arrêter « le Cévenol », mais de le moderniser. Guillaume Pépy s'y est engagé, et il devra tenir parole.

Les termes de petite pêche ou de pêche artisanale peuvent renvoyer à des réalités très différentes ; ainsi, lorsque l'UE évoque les mesures d'accompagnement de la pêche artisanale, elle vise la très petite pêche – un pêcheur sur son bateau, qui ne sort en mer que quelques heures –, ce qui diffère sensiblement de notre définition française. Il est vrai que la zone méditerranéenne rencontre une série de problèmes, alors qu'elle a fait beaucoup d'efforts en vue du Parlement de la mer. Un plan de sortie de flotte pour soixante bateaux correspond à environ 2 millions d'euros ; ce n'est jamais une solution idéale, mais il est vrai que nous sommes actuellement en surcapacité. L'année prochaine, l'évolution des moyens de pêche imposée et la situation compliquée des stocks fragiliseront d'autant plus la pêche classique ; il est donc nécessaire de l'aider, en fléchant les PSF vers cette région.

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