Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du 12 décembre 2012 à 8h30
Commission des affaires européennes

Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen :

Si j'appelle de mes voeux une assemblée qui réunirait les commissions des finances des Parlements de la zone euro, c'est pour discuter des hypothèses économiques qui sous-tendent les choix budgétaires nationaux, car, zone euro ou pas, les pays européens ne peuvent pas ne pas gérer ensemble les grands équilibres budgétaires, même si c'est très difficile pour certains pays, comme la Grèce qui n'aurait jamais dû entrer dans la zone euro. Il est indispensable que les politiques budgétaires allemande, française, espagnole et italienne soient cohérentes entre elles.

Cela étant, le problème n'est pas strictement budgétaire ; il est économique. L'Espagne a eu une gestion impeccable à l'aune des critères des Maastricht, mais elle a commis deux erreurs massives : la bulle spéculative de l'immobilier, le type même du choc asymétrique qui ne frappe qu'un pays ; et une dérive inadmissible des coûts de production – contre laquelle Jean-Claude Trichet n'a cessé de protester – qui s'est soldée par une crise des exportations. Pour redresser la situation, il faudra rétablir les flux d'investissement du Nord vers le Sud. On en est loin ; c'est pourquoi il faut faire de la politique, pour recréer les conditions de la solidarité c'est-à-dire un destin commun. Et, sur ce point, on bute sur les réticences allemandes. Les Allemands ne sont pas du tout impérialistes, mais ils sont gagnés par le pharisaïsme. Il est donc nécessaire de réfléchir à la compétitivité coûts, la compétitivité prix, la recherche…

Qu'est-ce qui ne va pas dans la zone euro ? Dès les années 1990, elle a été en butte à deux critiques : l'une pseudo-keynésienne venant surtout de la gauche, qui y a vu une machine à austérité. À tort. Le pacte a été au contraire une machine à laxisme, à cause du niveau très bas des taux d'intérêt. Quant aux 3 %, ils ont fonctionné comme un plancher et non comme un plafond, même en période de croissance, si bien que, quand la conjoncture se retournait, on dépassait ce seuil en prétendant se garder d'une politique procyclique. Conclusion, le pacte de stabilité n'a pas marché. À Romano Prodi qui avait déclaré que le pacte de stabilité était stupide, son frère Vittorio avait rétorqué que c'était exactement le contraire, que le pacte de stupidité était stable ! La zone euro était aussi sous le feu des tenants d'une politique à la Greenspan dont Henri Weber, situé à la gauche de la gauche, faisait autrefois l'éloge. Elle s'est terminée par une catastrophe alors que celle de Trichet, même si elle n'était pas exempte d'erreurs, était plus raisonnable.

Les détracteurs du second type dénonçaient l'hétérogénéité des économies. Comme on ne fait pas la même chose dans la Ruhr et sur la côte Cantabrique, il y a des risques de choc asymétrique. Dans ce cas, les solutions résident dans la dévaluation, le chômage, la migration ou la solidarité financière. La première est impossible, les deux suivantes ne séduisent guère à notre époque ; reste la dernière, mais elle n'était pas prévue. L'hétérogénéité des économies recouvre aussi des différences dans les mécanismes de formation des prix. Or, le taux de change de l'euro a tenu compte des différences de compétitivité entre les pays, même si l'Allemagne et l'Italie étaient un peu défavorisées, mais pas de celles liées aux structures, comme les modes de distribution. Il aurait fallu engager des actions structurelles très importantes, et c'est là que se trouve la cause des maux de l'Europe du Sud, les problèmes bancaires mis à part.

Indépendamment de l'euro, la constitution même du marché unique était potentiellement créatrice de déséquilibres, au détriment des économies périphériques. Un homme politique, aujourd'hui extrêmement décrié, l'avait bien vu, je veux parler de feu Andreas Papandreou – le père. Au moment où la Grèce a rejoint l'Union européenne, il avait écrit un réquisitoire brillant expliquant que son pays ne pourrait pas résister. C'est la raison pour laquelle je suis assez indulgent envers le dumping fiscal irlandais. L'existence de mécanismes de compensation est une question de survie pour les pays périphériques, à quelques exceptions près, car l'existence d'un vaste marché conduit à une concentration des moyens au coeur de la zone. Ces pays ont besoin de solidarité mais sous une forme qui reste à trouver car le quadruplement des fonds structurels, auquel je ne suis pas étranger, n'a pas marché. Il ne sert à rien de financer comme en Espagne, et même un peu partout, des routes désertes reliant des villes sans habitant à des aéroports fermés. L'effet levier qui était escompté n'a pas eu lieu.

Je conclurai sur une note moins pessimiste. Pendant les années 1990, on a cru l'Europe inutile sous l'effet d'une triple illusion : l'hyperpuissance américaine qui rendait vaine toute politique européenne extérieure et de sécurité, la fin de l'Histoire avec l'avènement programmé de la démocratie, et la mondialisation heureuse. Gordon Brown est le seul à l'avoir dit, mais tous les autres l'ont pensé. Les années 2000 ont achevé de nous détromper. Dès lors, le besoin d'Europe renaît, parce que nous sommes les dépositaires de valeurs démocratiques et libérales, de laïcité, d'un modèle social qui se révèle précaire et que le bouclier américain ne nous préserve que très partiellement des menaces géopolitiques qui se précisent. À nouveau, le besoin d'Europe renaît. Je terminerai en citant le titre d'un ouvrage de Joseph Bialot, qui vient de disparaître : C'est en hiver que les jours rallongent.

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