Intervention de Michael Link

Réunion du 18 décembre 2012 à 16h30
Commission des affaires européennes

Michael Link, ministre délégué aux affaires européennes d'Allemagne :

C'est pour moi un grand honneur de m'exprimer pour la première fois devant les élus de l'Assemblée nationale et du Sénat. Bernard Cazeneuve parlera du récent Conseil européen ; quant à moi, je me concentrerai sur les relations bilatérales franco-allemandes.

Le 22 janvier 2013, nous célébrerons à Berlin le cinquantenaire du traité de l'Élysée. Cet événement n'est pas réservé aux gouvernements ; la société civile, représentée par les Parlements, doit y participer. Le public allemand et français attend que nous donnions du sens, un nouvel élan et de nouvelles opportunités au couple franco-allemand, et le cinquantenaire est à cet égard une occasion unique. Beaucoup d'entre vous ont participé à la célébration du 40è anniversaire à Versailles ; le cinquantenaire doit égaler, voire dépasser ce succès, car le couple franco-allemand est plus que jamais indispensable à l'Europe. Il ne représente ni la nostalgie, ni une rhétorique, mais une stratégie capable d'apporter des réponses à l'actualité internationale et européenne en matière politique, économique et fiscale.

Je suis d'autant plus heureux d'être ici que je suis aux côtés de mon collègue et ami Bernard Cazeneuve. Alors que tant de voix, parfois mal informées – en particulier dans la presse –, regrettent les insuffisances du moteur franco-allemand, je tiens à réaffirmer solennellement le caractère unique de la relation qui lie nos deux pays et nos deux peuples. Aujourd'hui, Bernard Cazeneuve et moi-même tentons modestement de donner l'exemple en affirmant que la France et l'Allemagne ont besoin l'une de l'autre, et que dans le contexte européen actuel, tant la tâche qui nous incombe que la responsabilité qui est la nôtre sont immenses.

Cela dit, il est essentiel qu'au sein du couple que nous formons, nous fassions preuve de respect – entre nous, mais également envers nos autres partenaires européens. Ce respect, qui caractérise la relation privilégiée que nous entretenons depuis 1963, sera au coeur du cinquantenaire que nous célébrerons à Berlin dans quelques semaines. Le président Bartolone assure que la quasi-totalité des députés y assisteront, et c'est un grand honneur pour nous.

Les cinquante ans du traité de l'Élysée sont, en effet, une belle réussite. La densité et l'intensité de la coopération entre la France et l'Allemagne sont uniques. Ces deux pays restent le moteur de l'Union européenne et constituent un bel exemple de réconciliation entre les peuples, préservant l'espace culturel européen, main dans la main avec leurs partenaires. Dès le début, le traité de l'Élysée fut doté d'une vision européenne ; cinquante ans après sa signature, cette dimension est plus importante que jamais. L'Union européenne continue à être le garant indispensable de la paix et de la prospérité sur notre continent, comme en témoigne le prix Nobel de la paix qui vient de lui être attribué. La France et l'Allemagne ont bien souvent tracé la voie pour surmonter les divergences et trouver un consensus à l'échelle européenne, et je suis sûr qu'elles le feront encore à l'avenir.

L'Europe représente également notre réponse aux défis et aux chances de la mondialisation, qu'elle seule peut nous permettre de maîtriser. Le projet européen que nous portons, fragilisé par la perte de confiance des citoyens, se trouve aujourd'hui confronté à plusieurs défis. La crise de l'endettement et de la compétitivité, les menaces sur notre sécurité intérieure et extérieure, et l'émergence sur la scène mondiale de nouvelles puissances ont contribué à un rééquilibrage des forces en présence ; permettre à l'Europe de s'imposer face à la concurrence mondiale relève de la responsabilité commune de nos deux pays. Ce n'est qu'au sein d'une Europe unie et forte que nous réussirons à conserver notre modèle de société solidaire, tolérante, libérale et ouverte.

Afin de surmonter la crise de l'endettement qui nous frappe actuellement, l'union monétaire doit évoluer vers une union économique et politique. La France et l'Allemagne ont le devoir – et, j'en suis persuadé, le courage – d'initier ces mesures. Il leur incombe de donner le bon exemple en favorisant le consensus en matière politique, économique, sociétale et culturelle. Il nous faut réduire l'endettement public, tout en améliorant la compétitivité et en créant de la croissance. Toutes les propositions qui aboutissent à accroître la dette sans favoriser la compétitivité sont inutiles, voire contre-productives.

Contrairement à ce qu'on peut lire parfois dans la presse, l'Allemagne n'est pas encore en campagne électorale, et indépendamment des résultats du scrutin de septembre 2013, les grandes lignes de la politique allemande ne changeront guère. Le gouvernement de Mme Merkel restera actif jusqu'à la fin du mandat de quatre ans qui lui a été confié en 2009. Pour autant, il n'y a pas de modèle d'action unique, mais plutôt des objectifs communs, et pour les atteindre, nous, Allemands, devons aussi regarder ce qui se fait chez nos partenaires.

Ainsi l'Allemagne pourrait-elle davantage s'inspirer des réussites françaises, notamment de sa politique démographique qui permet de concilier vie familiale et vie professionnelle : l'indice synthétique de fécondité était de 2,01 en 2010 en France, pour seulement 1,39 en Allemagne. La France peut également être fière d'avoir contribué à la préservation d'un espace culturel européen et à la construction d'une identité européenne à travers la défense de sa langue et de sa production cinématographique. Nos deux pays sont, sur beaucoup de questions, complémentaires et non concurrents. Soyons fiers de nos différences, profitons de nos points forts respectifs et joignons nos forces en faveur de l'Europe. C'est ensemble que nous réussirons à atteindre les buts que nous nous sommes fixés.

Ce que nous avons accompli au cours des dernières décennies est remarquable ; l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), les projets industriels communs, la Brigade franco-allemande, la chaîne de télévision culturelle Arte, le manuel d'histoire franco-allemand n'en constituent que quelques exemples. Les milliers de jumelages entre villes ou écoles françaises et allemandes me sont particulièrement chers : j'ai passé plusieurs étés consécutifs à Béziers, jumelée avec ma ville natale de Heilbronn. Cette expérience a marqué ma vie, et la même possibilité doit être offerte aux jeunes d'aujourd'hui. À cette liste déjà impressionnante s'ajoutent les projets très concrets qui tissent la trame de la coopération transfrontalière et contribuent à rendre tangibles les liens entre nos deux pays.

L'amitié franco-allemande n'est cependant ni une évidence, ni un acquis immuable. Les témoins directs de la guerre et de la tyrannie ne représentent plus aujourd'hui qu'une minorité, et l'amitié entre nos pays doit être constamment renouée et renforcée, notamment parmi les jeunes générations. Les échanges entre nos parlements et gouvernements respectifs peuvent ainsi contribuer à une meilleure compréhension réciproque. Bernard Cazeneuve et moi-même nous connaissons bien, nous nous parlons très souvent et nous voyons régulièrement : j'ai eu le plaisir de venir en France à trois reprises depuis la mi-novembre, et je me félicite que Bernard Cazeneuve puisse, de son côté, se rendre à Berlin le 16 janvier 2013 afin de participer avec moi à une séance de la Commission des affaires européennes du Bundestag. Ces invitations croisées devraient devenir la routine du couple franco-allemand : vous devez pouvoir me poser des questions, et les parlementaires allemands doivent pouvoir en faire autant avec Bernard Cazeneuve.

Nous avons besoin de plus de communication et d'explications mutuelles. L'Europe est aujourd'hui un espace unifié de dialogue et de valeurs partagées, c'est pourquoi il est important que nous, Français et Allemands, expliquions à nos autres partenaires le sens de notre action commune. Il faut dissiper les malentendus, mettre un terme aux approximations et réaffirmer quelques vérités : non, le couple franco-allemand ne s'est pas banalisé ; oui, le moteur franco-allemand reste un concept pertinent dans l'Europe du XXe siècle. C'est pourquoi j'appelle à une concertation toujours plus étroite entre nos deux pays : expliquer toujours plus, se parler encore davantage, multiplier les échanges tels que celui que nous avons aujourd'hui.

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