La communication que nous présentons devant vous aujourd'hui s'inscrit à la fois dans une actualité immédiate, les débats récents dans les médias sur le financement du cinéma français, mais également ancienne, celle liée au financement européen du cinéma. Elle a vocation à être un rapport d'étape dans un contexte juridique incertain puisque nous attendons la diffusion du nouveau texte de la Commission pour pouvoir prendre une position définitive.
Cette communication s'inscrit également dans un contexte particulier, celui des succès importants rencontrés par un cinéma français et européen de qualité qui a les faveurs du public et des jurys. A titre d'exemple nous pouvons citer, The Artist, de Michel Hazanavicius et Amour de Michael Hanneke, qui ont été primés dans des festivals internationaux.
On peut s'interroger sur ce qu'est le cinéma européen, sur ce qu'il représente et sur ce qu'il est aujourd'hui. Nous pensons qu'il existe une histoire et une culture européennes qui transparaît dans le cinéma européen et que nous souhaitons affirmer. Pourtant la notion de cinéma européen n'existe pas en elle-même, car il n'existe pas d'industrie cinématographique européenne ni de politique européenne cinématographique.
Néanmoins l'existence du cinéma européen peut s'appréhender à travers trois éléments, outre le critère artistique, les critères d'attribution des aides européennes, les co-productions européennes, les récompenses artistiques primant les films européens.
Tout d'abord les prix. La spécificité du cinéma européen s'appréhende à travers l'attribution de certains prix. Ainsi l'Académie du Film Européen, fondée en 1988, attribue-t-elle chaque année The European Film Awards, c'est-à-dire récompense le meilleur film européen. Amour, a, été primé, en décembre dernier, à Malte.
Ensuite, on peut analyser un critère juridique couplé à un critère financier.
On pourrait s'interroger sur la notion de territorialité. Serait européen un film qui a été produit sur le territoire européen. Pertinente, cette notion n'est pas suffisante. Les studios américains financent des films tournés en Europe, ceux-ci ne sont pas pour autant considérés comme des films européens. Pour qu'un film soit considéré comme européen, il faut qu'une partie des capitaux qui le finance soit d'origine européenne, que le réalisateur ou une partie des personnels qui travaillent à sa réalisation soient également européens. Cette grille d'analyse permet d'identifier un film européen selon les critères d'attribution des financements mis en place par le Fonds Eurimages du Conseil de l'Europe, puisque l'un des critères obligatoires pour obtenir une aide sélective réside justement dans le fait d'être un film européen.
Si le financement du film participe à la définition du film européen, ce n'est que parce qu'il est couplé avec un autre critère juridique, celui de la co-production.
Au sein de l'Union européenne, les films européens sont majoritairement des films issus de co-productions. Amour est l'exemple type d'une co-production européenne, allemande, française et autrichienne.
L'identité européenne du cinéma s'appréhende donc davantage à travers la collaboration des acteurs de l'industrie cinématographique qu'à travers la circulation des films au sein de l'espace communautaire, bien qu'il faille néanmoins relativiser cette assertion.
A travers la définition d'un cinéma européen se posent de véritables enjeux politiques et économiques. En effet, une partie des négociations actuelles entre certains gouvernements des Etats membres, dont la France, et la Commission européenne, repose sur cette croyance en l'existence ou non d'un cinéma européen.
Les films européens ne circuleraient pas suffisamment entre les Etats membres et les marchés nationaux fragmentés empêcheraient, de fait, une concurrence libre et parfaite entre cinémas nationaux sur le territoire européen. Cette approche économique repose sur une conception minimaliste de la Commission qui semble réduire la dimension économique des industries de la culture et de l'imaginaire à une question de concurrence interne et non pas à une politique de valorisation et de partage de la créativité entre les Etats membres. Il faut également souligner une absence de vision en termes de politique commerciale dans le domaine des arts et de la culture, alors qu'on attendrait plutôt un soutien indéfectible à la culture et aux productions européennes.
Il n'y a, en effet, pas de concurrence entre les différents cinémas nationaux car ceux-ci coopèrent entre eux afin de défendre une identité artistique particulière qui repose sur la défense de la diversité culturelle et d'un certain modèle artistique. En revanche, il existe une concurrence certaine entre le cinéma américain et le cinéma européen.
Se tromper d'objectif dans ce domaine pourrait avoir pour seule conséquence d'ouvrir davantage nos marchés à la concurrence américaine, asiatique, et indienne sans pour autant impliquer une concurrence artificielle entre cinémas nationaux qui n'a aucune raison d'exister, car la diversité des approches territoriales et artistiques est à l'origine même de leur complémentarité.
A titre d'exemple, sur le marché français, la part des films français est estimée à 40,6 % sur les onze premiers mois de 2012, celle des films américains à 49 %, soit une progression de 3,6 % par rapport à l'année 2011.
Aussi étonnant que cela puisse paraître l'identité du cinéma européen réside ainsi dans la coexistence d'industries cinématographiques nationales fortes.
Le projet de révision de la communication de la Commission sur les aides en faveur des oeuvres cinématographiques et autres oeuvres audiovisuelles, communément appelé « Communication cinéma », présenté par la Commission européenne en 2012, conduirait, s'il était maintenu en l'état, à faire peser un risque majeur sur la pérennité des industries cinématographiques nationales.
L'inquiétude manifestée par un certain nombre d'Etats membres, dont la France, sur les conséquences que le projet pourrait avoir sur le maintien des savoir-faire techniques sur les territoires respectifs des Etats membres, a conduit le commissaire en charge de la concurrence, vice-président de la Commission, M. Joaquim Almunia, à demander à ses services de travailler à l'élaboration d'une révision du projet publié en mars 2012 et soumis à consultation publique.
La communication cinéma de 2001 règlemente la compatibilité des aides d'Etat avec les règles de la concurrence en vigueur dans le traité. Elle dispose que l'aide doit être destinée à un produit culturel. Elle offre également la possibilité pour un producteur de dépenser 80 % des aides à la production sur le territoire d'un Etat membre, et elle précise que l'intensité de l'aide doit être limitée à 50 % du budget de production. Néanmoins, l'intensité de l'aide peut être supérieure pour les films dits « difficiles » et à petit budget.
Le projet de révision présenté en 2012 propose de maintenir l'intensité de l'aide voire de l'augmenter pour les productions transfrontalières. En revanche, il limite la possibilité pour un producteur de dépenser l'aide sur un territoire donné à 100 % de l'aide accordée. Ce qui revient de fait à limiter la territorialisation des aides à 50 % du budget de production.
Ces nouvelles règles inquiètent les professionnels du secteur, à juste titre, pour deux raisons. En premier lieu, le cinéma est un secteur aidé, dans lequel les Etats membres sont impliqués par différents types de financement. Réduire la possibilité pour un Etat de dépenser sur son territoire une partie des aides reviendrait à la fois à réduire l'intérêt d'investir sur un territoire et par là-même de défendre des emplois, mais également aurait pour conséquence irréversible la destruction d'un tissu économique, celui des savoir-faire inhérents à une économie particulière. Un certain nombre de métiers ont une spécificité propre qu'une diminution de la possibilité pour un Etat de dépenser des aides sur son territoire amènerait à faire disparaître irrémédiablement.