Intervention de Rudy Salles

Réunion du 29 janvier 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles, co-rapporteur :

Les sommes consacrées au financement européen du cinéma européen sont relativement limitées. Le financement européen proprement dit repose sur deux sources de financement : le Fonds Eurimages du Conseil de l'Europe, destiné au soutien de films d'auteur, et le programme Media, intitulé aujourd'hui Europe Creative, qui dépend de la Commission européenne.

Le financement européen du cinéma repose donc essentiellement sur les financements nationaux des industries cinématographiques par les Etats membres. Or, outre le projet de révision de la communication cinéma, des incertitudes importantes pèsent sur la pérennité du système de financement français du cinéma.

L'industrie cinématographique française dispose de différentes sources de financement. Outre le Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC) qui historiquement apparaît comme le premier opérateur du financement européen, les aides à la filière cinématographique se sont enrichies de différents opérateurs, les télévisions à partir des années 1980, les SOFICA (sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle) à partir de 1985, les crédits d'impôts depuis 2000, et les aides des collectivités territoriales, essentiellement les aides régionales.

En dehors des sociétés de production, les diffuseurs, c'est-à-dire les chaînes de télévision, sont le principal contributeur financier au secteur. Leurs obligations légales en matière de financement du cinéma reposent sur le pré-achat de droits de diffusion des films ou la participation par le biais de leurs filiales à des sociétés de co-productions.

Le CNC participe à la création cinématographique par le biais d'aides automatiques et sélectives. En 2011 la totalité des aides, tout secteur confondus, production et distribution, s'élevait à plus de 281 millions d'euros. Le principe de ces aides a par ailleurs été validé par la Commission jusqu'en 2017.

Les ressources du CNC reposent sur un principe simple : la distribution finance la production. Or des incertitudes juridiques pèsent sur la pérennité de ces ressources du fait de la réglementation européenne : une possible révision de la « chronologie des médias » ainsi que de l'absence de validation de la taxe sur les fournisseurs d'accès à Internet, principale ressource de l'établissement public.

La taxe la plus ancienne, créée en 1948, la Taxe Spéciale Additionnelle (TSA), la taxe affectée sur la billetterie des salles de cinéma est menacée, du fait de la révolution numérique en cours. Cette taxe repose en effet sur le respect de la « chronologie des médias ». Par « chronologie des médias » on entend le fait que la diffusion des oeuvres audiovisuelles correspond à une règlementation stricte, en France, qui se comprend parfaitement à l'aune du principe du financement européen du cinéma. Selon cette chronologie, un film est diffusé, en premier lieu, en salles. Les salles de cinéma disposent de la distribution exclusive des oeuvres cinématographiques. Ce principe d'exclusivité contribue à la notoriété des oeuvres. Au bout de quatre mois, le film peut être diffusé à la télévision et sous d'autres formes de support.

Un assouplissement des règles en la matière, notamment en termes d'expérimentation a été proposé par la Commission, ce qui a alerté les professionnels du secteur. Lors des auditions que nous avons menées, les services de la DG « Connect » nous ont donné l'assurance que la Commission n'avait pas l'intention de légiférer en la matière, et que chaque Etat membre était libre de respecter la règlementation qu'il entendait appliquer en la matière. Néanmoins, certaines expérimentations pourraient être menées afin de concilier accessibilité et diffusion des films, sans que pour autant la chronologie des médias soit véritablement menacée.

En termes d'expérimentation, on nous a fait part d'un film grec dont la diffusion sur Internet avait précédé la diffusion en salles. Il semblerait néanmoins que son succès soit resté confidentiel !

Si la chronologie des médias n'est pas menacée par une législation européenne qui lui serait contraire, il paraît relativement certain que les possibilités offertes par la diffusion numérique demeurent une menace à plus ou moins brève échéance.

Autre ressource importante du CNC, la taxe sur les éditeurs de télévision (TST) et celle sur les distributeurs (TSTD).

La seconde taxe parafiscale affectée au CNC est la taxe sur les éditeurs de télévision, créée en 1986. Comme le précise la Cour des comptes dans son rapport cette taxe a « depuis le 1er janvier 2008, été étendue à l'ensemble des distributeurs qui acheminent un contenu audiovisuel vers le téléspectateur, chaînes auto-distribuées, services de diffusion par câble, par satellite, télévision numérique terrestre, fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et opérateurs de téléphonie mobile ». Le taux applicable est compris entre 0,5 % et 4,5 % de l'assiette taxable.

La taxe, la plus importante, en volume et en progression, est la taxe sur les distributeurs, qui a été étendue aux fournisseurs d'accès à Internet. Votée par le Parlement, l'autorisation de la prélever n'a pas encore été accordée par la Commission du fait d'une assiette trop large.

Actuellement les discussions sont en cours auprès des services de la Commission pour autoriser cette taxe. Lors des entretiens que nous avons menés auprès de ces services nous n'avons pas reçu une réponse hostile au principe de cette taxe. Les discussions actuelles conduites par le gouvernement ne portent donc pas sur le principe de la taxe, mais sur son assiette. L'assiette initiale trop large, assise sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès, serait revenue, du point de vue de la Commission, à taxer les fournisseurs d'accès à internet dans leur globalité et non pas au prorata de leur participation correspondant à la diffusion des oeuvres audiovisuelles. Un nouveau projet de taxe sera prochainement proposé par le Gouvernement à la Commission sur cette question.

Or, malgré ces incertitudes, il faut souligner que le cinéma français est indéniablement un acteur important du rayonnement culturel européen ; les succès récents, en nombre d'entrées de nombreux films en témoignent, outre les récompenses internationales ou nationales.

Tout d'abord quelques chiffres : la France est le premier producteur de films en Europe. Selon la Cour des Comptes, « en 2009, les films d'initiative française représentent 20 % des 893 longs métrages européens. La production française devance la production espagnole (151 films par an) et la production anglaise (139 films par an). Dans le cas de la production anglaise, les données doivent être évaluées avec prudence, car sont comptabilisés comme films britanniques des films intégralement produits par des sociétés américaines au Royaume-Uni. »

La France est également le premier coproducteur européen. Selon les chiffres fournis par le CNC, 88 % des films coproduits en 2011 (106 sur 120) l'ont été avec des partenaires européens. Les cinq premiers partenaires de la France dans les coproductions sont tous européens. Il s'agit de la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg, et l'Espagne. Sur ces 120 coproductions, 60 sont des films d'initiative européenne venant chercher en France plus de 20 % de leurs financements totaux. Ces coproductions ont représenté 53 millions d'euros sur un investissement total de 260 millions d'euros en 2011.

Le cinéma français rencontre également un succès indéniable à l'exportation. Selon les chiffres fournis par Unifrance, l'année 2012 présente un record de fréquentation pour le cinéma français à l'international avec un total de 140 millions d'entrées. Ce record « s'explique par les succès singuliers de trois films, The Artist (13 millions d'entrées), Intouchables (31 millions d'entrées) et Taken 2 (46 millions d'entrées).

Ces trois films, au financement français, concentrent à eux seuls 65 % de la fréquentation globale recensée par UniFrance films dans les salles étrangères en 2012. Intouchables s'imposerait actuellement comme le plus grand succès en langue française.

Les films minoritaires en langue française totalisent deux millions d'entrées, soit la seconde meilleure performance de ces dix dernières années, grâce à des titres d'auteurs tels que le Havre, Elles, Le Gamin au vélo, Café de Flore ou encore l'Enfant d'en haut. »

Le cinéma européen est à un tournant. Porté par le cinéma français, il représente une réussite indéniable et en même temps sa fragilité n'a jamais été aussi prégnante. Les négociations relatives à la « Communication cinéma » s'avèrent essentielles pour conserver la pérennité du système, notamment du fait de l'émergence d'un environnement numérique qui conduira nécessairement à une adaptation de nos modèles économiques en termes de diffusion.

The Artist était un hommage à la mort d'une industrie, celle du cinéma muet. Espérons qu'il ne soit pas le chant du cygne de notre industrie cinématographique. Gageons que le système actuel deviendra davantage vertueux et se terminera également en « happy ending »! En tout cas vous pouvez compter sur notre détermination pour y veiller.

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