Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 30 janvier 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je remercie les députés présents d'avoir résisté aux sirènes d'un hémicycle passionné pour débattre de la politique européenne de la recherche !

Je suis moi-même une Européenne convaincue. Au cours de ma vie professionnelle, j'ai participé à de nombreux projets européens, notamment dans le domaine de la sûreté des installations nucléaires ou des centrales thermiques. L'Europe est selon moi indissociable de tout programme d'innovation, de recherche ou d'enseignement supérieur. En effet, nous ne survivrons dans l'économie internationale que si nous sommes davantage européens, qu'il s'agisse de l'amont, au travers de la recherche et de l'enseignement supérieur, ou de l'aval, avec la production de services et de produits. Le niveau européen est essentiel dans les secteurs totalement mondialisés de l'innovation et de la qualification. La connaissance est devenue le facteur de compétitivité le plus important : tous les efforts que nous pourrons consentir pour alléger le coût du travail resteront inutiles si nous négligeons la qualité de la formation et de la recherche et les fruits que peut en tirer l'industrie.

Cette ambition est toutefois insuffisamment partagée. Une des premières choses que j'ai constatées, à mon arrivée à ce ministère, est d'ailleurs le recul de notre contribution aux projets européens en matière de recherche. Je reviendrai sur les causes de ce phénomène, mais sachez que je mène actuellement une campagne pour convaincre les organismes de recherche et les laboratoires d'y participer davantage.

Dès mes premiers contacts au niveau européen, j'ai mesuré combien était bien reçue la volonté du Président de la République d'installer la croissance sur deux pieds : la maîtrise des dépenses publiques d'une part, l'innovation et la compétitivité par la qualité de l'autre. J'ai même été étonnée d'entendre une commissaire aussi libérale que Máire Geoghegan-Quinn, chargée de la recherche et de l'innovation, qualifier François Hollande de « my hero » ! Ce n'est certainement pas le signe d'une adhésion politique, mais l'Europe est en attente d'un rebond grâce à l'innovation, à l'élévation du niveau de qualification et au développement d'une recherche de qualité, qu'elle soit fondamentale ou technologique. Ma volonté de travailler à l'échelle européenne, déjà forte, s'en est trouvée décuplée.

J'ai ainsi décidé de mettre en harmonie notre agenda stratégique de la recherche avec le programme Horizon 2020. À vrai dire, un tel agenda n'existait même pas : je mets au défi quiconque de pouvoir énumérer les cinq ou six priorités de la France en matière de recherche. Notre recherche est d'excellente qualité mais ne fait pas l'objet d'une stratégie déterminée.

Vous avez ainsi marqué, madame la Présidente, votre souhait d'orienter plus nettement notre recherche vers la transition énergétique, les énergies renouvelables ou l'efficacité énergétique. De fait, de nombreuses recherches sont menées dans ces domaines, mais il n'existe ni volonté de mutualisation, ni base de données disponible permettant d'en évaluer le niveau. Elles restent trop diffuses et se superposent en multiples couches. Comme dans d'autres secteurs, l'organisation de la recherche et de l'enseignement supérieur constitue un véritable millefeuille qui nous empêche d'adopter une vision globale et de nous projeter vers 2020.

La stratégie Horizon 2020 vise donc à se concentrer sur certaines priorités : l'efficacité énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre les pandémies, l'accompagnement du vieillissement, les énergies renouvelables, le numérique et le développement des technologies – notamment des KET, les key unabling technologies, ces « technologies génériques capacitantes » susceptibles d'accélérer les découvertes scientifiques : biotechnologies, nanotechnologies, génomique, protéomique, etc.

Les sciences humaines et sociales ne doivent pas non plus être négligées, en particulier le dialogue entre science et société. L'organisation de certains débats publics récents a montré que notre pays, en la matière, ne possédait ni la méthode ni l'état d'esprit adéquat.

L'agenda stratégique de la recherche que je prépare actuellement sera inscrit dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Il sera mis en harmonie non seulement avec les priorités du programme cadre européen, mais aussi avec les Alliances, c'est-à-dire les regroupements dont dispose notre recherche autour de cinq grands thèmes : les sciences de la vie et de la santé, l'énergie, l'environnement, les sciences humaines et sociales, et les sciences et technologies de l'information. Il sera élaboré en lien avec l'Assemblée nationale et le Sénat, via l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques – un organisme que je connais bien pour y avoir siégé pendant cinq ans –, ainsi qu'avec un conseil stratégique de la recherche, installé auprès du Premier ministre, que je présiderai par délégation.

Les défis auxquels nous sommes confrontés – lutte contre les pandémies, accès aux ressources, efficacité énergétique, énergies renouvelables, etc. – ne connaissent pas les frontières. Si nous voulons nous améliorer sur le plan international, si nous voulons traduire notre recherche en emplois et en filières, nous sommes obligés de passer par l'Europe.

Non seulement mon ministère a fait le choix de l'Europe, mais il a souhaité rompre avec l'isolement de l'enseignement supérieur et de la recherche en les plaçant au coeur du redressement économique, social et environnemental de notre pays.

Vous avez exprimé des préoccupations à propos du volet financier de la politique de recherche. Comme vous le savez, le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2014 à 2020 n'est pas encore précisément défini. Mais, dans ce domaine également, notre pays a exprimé sa volonté d'avancer sur deux jambes : d'une part la cohésion sociale et la politique agricole commune, de l'autre la compétitivité, l'innovation, la recherche et la mobilité étudiante. La France a été la première à accepter la proposition d'Herman Van Rompuy de fixer à 983 milliards d'euros le montant du budget pluriannuel de l'Union et de maintenir un soutien équilibré à toutes les politiques publiques européennes. De ce point de vue, notre pays se distingue d'autres partenaires historiques comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni, qui penchent plutôt pour une réduction du budget.

Il n'est cependant pas question de sacrifier la connaissance à la cohésion. D'ailleurs, donner la priorité à l'enseignement supérieur, aux échanges scientifiques et à l'innovation revient à préparer les emplois de demain : c'est donc également un facteur de cohésion sociale. À cet égard, l'opposition souvent effectuée entre politique de cohésion et économie de la connaissance est artificielle : comment assurer une cohésion si nous ne pouvons pas proposer des emplois ?

Nous plaidons en particulier en faveur d'un soutien au programme Horizon 2020 et à ses priorités scientifiques, mais aussi de programmes tels que ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), Euratom, GMES (Global Monitoring for Environment and Security), Galileo et Erasmus pour tous. À Bruxelles, où je me rends très souvent, la France réclame le maintien d'ITER et de GMES dans le budget de l'Union européenne, de façon à donner à ces programmes de moyen et long terme une certaine constance et une certaine visibilité. S'agissant du financement d'ITER, le commissaire chargé de l'énergie, Günther Oettinger, que j'ai rencontré à Cadarache il y a quinze jours, se montre raisonnablement optimiste quant à la perspective de maintenir le budget à 2 milliards d'euros. En revanche, concernant GMES, il est proposé un budget de 3,85 milliards d'euros, alors que nous demandions 4,5 milliards. Le budget d'Erasmus, quant à lui, serait fixé à 15 milliards d'euros, dont une partie serait toutefois proposée sous forme de prêts. Pour autant, cela représente une augmentation significative par rapport à la période 2007-2013, ouvrant la voie à une amplification du programme et à un ciblage vers les milieux les plus modestes. Je précise que cette somme prend en compte les 2 milliards d'euros consacrés à la politique de voisinage.

Cela étant, rien n'est stabilisé, et il faut s'attendre à de nouveaux ajustements. Ainsi, alors que M. Van Rompuy avait proposé un budget de 80,5 milliards d'euros pour Horizon 2020, la négociation porte aujourd'hui sur un montant d'environ 70 milliards d'euros, ce qui représenterait encore une augmentation de 20 % par rapport à la période précédente. Même si elle ne permettrait pas de répondre complètement à nos ambitions, une telle somme resterait acceptable.

Par ailleurs, il est question d'étendre le bénéfice du financement à la recherche technologique et à l'innovation. Jusqu'à présent, la Commission européenne veillait à ce que la politique communautaire de la recherche se concentre sur les travaux scientifiques effectués en amont, au détriment du développement et des applications industrielles. Elle a fini par prendre conscience que l'effet de l'innovation sur la compétitivité de notre industrie jouait surtout à l'extérieur de l'Union européenne. De même, c'est assez récemment qu'elle a pris conscience que l'on ne pouvait s'attendre à aucune croissance en perdant notre industrie. Il y a encore cinq ans, j'entendais dire, dans les milieux européens, qu'il était archaïque de vouloir maintenir la production industrielle sur nos territoires. Nous n'en sommes plus là, et la priorité donnée aux KET ou la création de l'EIT (European Institute of Innovation and Technology, ou Institut européen d'innovation et de technologie sont le signe d'une intégration dans les programmes européens de la recherche technologique, celle qui irrigue directement l'industrie, assure le maintien des emplois et la création de nouvelles filières.

Je l'ai dit, la participation de la France aux programmes de recherche européens a diminué : alors qu'elle est le deuxième contributeur européen, avec 16,5 % du financement, derrière l'Allemagne, avec 19,7 %, elle n'est que le troisième bénéficiaire du 7e programme cadre de recherche et de développement technologique (PCRDT) et ne reçoit que 11,4 % des aides. Le recul enregistré peut s'expliquer par la frénésie d'appels d'offres nationaux que nous avons connue lors du dernier quinquennat, avec l'Agence nationale de la recherche (ANR), le programme d'investissements d'avenir ou les clusters. Nos chercheurs se sont ainsi détournés des financements européens, qui leur paraissaient plus compliqués à obtenir. La nécessité de parler le « bruxellois », les discussions sur la simplification des programmes de recherche ou le conflit – finalement résolu – entre le Centre national de la recherche scientifique et la Commission ont sans doute eu également un effet dissuasif. Rappelons que, pour chaque euro investi dans le 7e PCRDT, la Suisse, qui n'est pourtant pas membre de l'Union européenne, obtient trois euros pour ses projets.

Ce phénomène est d'autant plus regrettable que nous avons l'un de meilleurs taux de réussite : 25 % de nos demandes de financement sont acceptées, soit plus qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. Non seulement ce recul de la participation a des incidences sur la nécessaire diversification des sources de financement, non seulement il limite notre capacité à travailler avec nos partenaires européens, mais il réduit le rayonnement européen de notre culture – marquée par l'universalité et la défense de l'intérêt général. J'ai donc organisé plusieurs réunions de sensibilisation avec les organismes de recherches, ainsi qu'une rencontre avec Mme Geoghegan-Quinn. J'ai également participé à plusieurs réunions de la Conférence des universités en présence de Mme Anfroulla Vassiliou, commissaire européenne chargée de l'éducation, de la culture, du multilinguisme et de la jeunesse, et invité cette dernière au ministère afin de travailler sur l'EIT. J'essaie de faire le lien, de faciliter les partenariats entre les universités, les organismes de recherche et l'Europe. De même, nous avons tenu une réunion d'information sur les KET, ainsi que plusieurs réunions de travail avec mes homologues européens. J'ai enfin beaucoup travaillé avec les Allemands pour parvenir à une position convergente sur l'espace, ce qui a donné lieu au lancement, après de nombreuses difficultés, du programme Ariane 6.

Je me suis par ailleurs battue en faveur de la simplification des programmes de recherche, de façon à faciliter l'accès aux financements européens des PMI-PME et des organismes de recherche publics. Notre succès dans ce domaine doit toutefois être ratifié par le Parlement européen. Or un de ses membres, le député allemand Christian Ehler, vient de lancer, sous la forme d'un rapport, une contre-offensive anti-simplification, alors même que la ministre allemande de la recherche, Mme Annette Shavan, est tout aussi convaincue que moi de l'intérêt de cette démarche. Il est vrai qu'au niveau européen, tout prend du temps et rien n'est jamais gagné. Nous avons l'accord des ministres mais il nous reste à convaincre le Parlement européen.

Je souhaite par ailleurs pousser les feux de la recherche technologique, qui représente un peu plus de 5 % de la recherche en France, contre près de 20 % aux États-Unis et en Allemagne. La recherche technologique, outre-Rhin, est transférée par les Fraunhofer, chargés de faciliter les relations entre la recherche fondamentale et les entreprises. Un tel lien n'a rien de naturel : le représentant d'une entreprise, quand il visite un laboratoire de recherches, voit des gens élaborer des algorithmes ou des courbes compliqués sur des ordinateurs et entend d'obscures explications qui ne lui permettront pas d'établir un rapport avec sa propre activité. Des médiateurs sont nécessaires ; il appartient à la recherche technologique de tenir ce rôle. Les PMI et PME doivent trouver des interlocuteurs, des entrées d'usage orientées vers le marché et donc susceptibles de créer des emplois. Ces entrées d'usage correspondent aux thèmes du futur agenda stratégique de la recherche : santé, mobilité, ville durable, culture, etc. La direction de la recherche technologique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) a déjà installé de tels espaces de démonstration à Grenoble et à Saclay. Depuis, nous avons créé, avec le Premier ministre et le ministre du redressement productif, trois nouvelles plateformes régionales de transfert technologique, installées à Toulouse, à Bordeaux et à Nantes, et une quatrième sera implantée en Lorraine.

Au niveau européen, les KET ont le même objectif : trouver des usages à l'innovation. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le directeur technique de la recherche technologique du CEA, Jean Therme, a été chargé par M. José Barroso de présider le groupe de haut niveau sur les KET. C'est aussi un moyen de contourner la Commission européenne, chargée de veiller à la libre concurrence, dont l'erreur est de se concentrer sur la compétition interne à l'Union plutôt que sur celle qui sévit à l'extérieur de l'Europe. Nous serons donc très attentifs à l'effet sur les KET des arbitrages budgétaires à venir.

J'en viens aux grands programmes structurants, notamment à ITER. À la limite, il importe peu que l'on soit ou non favorable à la technologie nucléaire : l'intérêt d'un tel projet est de réunir sur le long terme des scientifiques du monde entier. Les découvertes qui en résulteront dépasseront largement le domaine du nucléaire. Certes, personne ne peut affirmer avec certitude que nous disposerons, dans cinquante ans, d'un réacteur à fusion susceptible de produire très peu de déchets.

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