Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 30 janvier 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Cela reste toutefois l'objectif à atteindre. Quoi qu'il en soit, l'intérêt d'un tel programme structurant est de faire travailler ensemble des scientifiques du monde entier, qu'ils viennent de la recherche fondamentale ou de la recherche appliquée. Or il existe très peu de projets de cette envergure aujourd'hui. Bien sûr, il faut en maîtriser les coûts, mais l'aéronautique ou le nucléaire sont les seuls secteurs qui permettent de réaliser cette synergie de l'intelligence. Leurs applications couvrent en effet tous les domaines, de la santé aux matériaux en passant par les textiles intelligents. Ils permettent de diffuser l'innovation dans l'ensemble du tissu industriel, et rendent également possible le développement de procédés plus propres, plus vertueux et prenant en compte leurs propres déchets, selon le principe de l'économie circulaire.

Je conçois que vous ne partagiez pas entièrement mon enthousiasme sur ces projets, madame la Présidente, mais leur intérêt scientifique et les bénéfices que l'on peut en retirer en termes de diffusion de la connaissance sont objectivement très importants. Je respecte vos convictions, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.

Un autre intérêt de la stratégie Horizon 2020 est de permettre la correction d'un travers de l'ANR, le recours excessif aux appels d'offres annuels. Il est en effet idiot d'imposer à un chercheur – en particulier en recherche fondamentale – de partir chaque année à la chasse aux crédits, car aucun chercheur ne peut préjuger de l'application de ses recherches. Il suffit d'interroger nos nombreux chercheurs ayant obtenu des distinctions telles que le prix Nobel. Lorsqu'il a entrepris ses carottages dans les glaces de l'Antarctique, Claude Lorius pouvait-il savoir que trente ans plus tard, ils serviraient d'indicateurs pour l'étude du réchauffement climatique ? Ce glaciologue réputé est un de nos chercheurs les plus primés à l'étranger. De même, si Serge Arroche suppose que ses recherches en optique quantique sont susceptibles de permettre la construction d'ordinateurs plus puissants et moins consommateurs d'énergie, il est incapable de prédire exactement sous quelle forme elles trouveront une application.

Malgré cela, pour attribuer des financements, l'ANR réclamait ce qu'elle appelle des « livrables », traduction littérale de l'anglais deliverables. Or les chercheurs, s'ils sont passionnés, sont aussi extrêmement intègres : inventer des résultats impossibles à prévoir reviendrait pour eux à trahir la déontologie. L'usage d'un tel critère était donc totalement inadapté. Voilà pourquoi j'ai demandé à l'ANR de consacrer davantage de moyens à long terme en faveur de la recherche fondamentale, et incité les chercheurs concernés à prendre part aux projets structurants. Le moyen et le long terme doivent être en effet privilégiés, le rythme de la recherche fondamentale n'étant pas compatible avec celui, annuel, de la politique budgétaire.

C'est pourtant cette forme de recherche qui génère toutes les innovations de rupture, tandis que la recherche technologique est à l'origine des innovations incrémentales, c'est-à-dire de celles qui font sauter, étape après étape, les verrous technologiques. Or le retour sur investissement de l'une est sept fois plus important que celui de l'autre. C'est pourquoi nous avons intérêt à soutenir une recherche fondamentale de qualité, afin de pouvoir en cueillir le fruit plus tard. Même la recherche en sciences humaines et sociales finit par générer des innovations économiquement intéressantes.

Vous m'avez par ailleurs interrogée sur le brevet européen à effet unitaire, enfin adopté après trente-cinq ans de discussions – par vingt-cinq pays européens, soit la totalité des membres de l'Union à l'exception, malheureusement, de l'Italie et de l'Espagne. L'accord international mettant sur pied la juridiction unifiée en matière de brevet doit, quant à lui, être ratifié par au mois treize pays signataires. Le processus n'est donc pas achevé.

Le brevet unitaire présentera l'avantage de réduire considérablement les coûts de protection des inventions, qui passeront d'environ 36 000 euros actuellement à moins de 6 000 euros. C'est une grande avancée, en particulier pour les organismes de recherche publics, les petites et moyennes entreprises ou les entreprises de taille intermédiaire. Certes, au niveau européen, l'instruction d'un brevet, et en particulier la recherche d'antériorité, est déjà centralisée par l'Office européen des brevets (OEB). Mais le demandeur, en cas d'avis favorable de l'OEB, est par la suite contraint de faire valider la protection par l'administration spécialisée de chaque pays de l'Union. Il en résulte des frais de traduction très élevés, une grande insécurité juridique – les différences linguistiques étant susceptibles de générer un important contentieux –, une veille technologique très dispersée et donc peu efficace, et une fragmentation territoriale de la protection, qui peut prendre différentes formes selon les pays. Au contraire, lorsque le nouveau système sera entré en vigueur, le demandeur pourra réclamer à l'OEB une protection automatique et uniforme du brevet unitaire dans les vingt-cinq États membres participants.

Selon l'accord, les demandes devront être introduites en anglais, en allemand ou en français. Cependant, un résumé sera disponible dans toutes les autres langues.

J'en viens aux programmes Erasmus, qui revêtent une grande importance à nos yeux. La France est le deuxième pays d'Europe à y recourir, juste derrière l'Espagne : 31 000 étudiants français partent chaque année dans d'autres pays, tandis que nous accueillons 26 000 étudiants étrangers.

Cependant, une enquête sociologique a montré qu'Erasmus concernait davantage les filles que les garçons, et plutôt les élèves des écoles d'ingénieurs ou de commerce que les jeunes fréquentant l'université. Mais surtout, il bénéficie moins aux étudiants issus des classes sociales les plus modestes : 60 % des boursiers ont au moins un parent ayant suivi des études supérieures. C'est ce qui m'a amenée à juger Erasmus trop « bobo ».

L'obstacle peut être financier mais aussi culturel : même lorsqu'ils sont susceptibles de réunir des ressources suffisantes, notamment grâce au complément de bourse versé par les régions, les étudiants les plus modestes, qui souvent n'ont jamais voyagé, ont une plus grande appréhension à franchir le pas.

J'ai donc souhaité que les filières professionnelles et technologiques soient davantage ciblées par les programmes Erasmus. En effet, dans les secteurs concernés – comme le tourisme ou la restauration –, une expérience internationale figurant sur le CV donne l'opportunité de mener une carrière plus intéressante et de progresser plus rapidement. Pourtant, les étudiants de ces filières sont aujourd'hui moins nombreux à bénéficier des programmes d'échange.

Je suis donc allé plaider leur cause auprès de plusieurs commissaires européens et présidents de commission parlementaire, et j'ai eu l'impression d'être écoutée. Bien sûr, le résultat de cette démarche dépendra des moyens budgétaires finalement alloués à Erasmus, mais le budget envisagé, à hauteur de 15 milliards d'euros – en tenant compte des 2 milliards attribués à la politique de voisinage –, serait à cet égard suffisant.

Certes, un programme européen existe déjà pour les apprentis, mais il reste peu utilisé par un certain nombre de pays, dont la France. Il est donc nécessaire de démocratiser les échanges, sachant que 51 % des bacheliers français sont titulaires d'un bac professionnel ou technologique.

Il est par ailleurs souhaitable d'élargir la zone géographique concernée : c'est le but des programmes relevant de la politique européenne de voisinage, mais aussi de l'« Erasmus méditerranéen » annoncé par le Président de la République lors de sa visite en Algérie. Pour amplifier une politique de partenariat, il me paraît en effet opportun de miser sur les jeunes.

Nous nous battons non seulement en faveur d'« Erasmus pour tous », mais aussi pour le maintien même du nom « Erasmus », que la très volontaire et redoutée présidente de la commission du Parlement européen de la culture et de l'éducation, Mme Doris Pack souhaite réserver à l'enseignement supérieur, tandis les programmes concernant l'éducation, la formation et le sport seraient regroupés sous le nom : « YES Europe » – YES étant l'acronyme de Youth, Education and Sport. Erasmus a pourtant une connotation culturelle et ce nom, devenu un véritable label, est presque un symbole de l'Europe – pas seulement pour les fans de L'auberge espagnole de Cédric Klapisch. Le choix d'un nom aussi trivial que « YES Europe » risquerait au contraire de fragiliser les programmes concernés, et c'est pourquoi j'ai convaincu plusieurs de mes homologues européens – y compris David Willetts, le ministre anglais de la recherche – de s'y opposer. J'espère que vous me soutiendrez dans cette lutte, symbolique, certes, mais qui n'en est pas moins importante.

Nous sommes également défavorables à l'idée d'attribuer 4,6 % des 15 milliards d'euros consacrés à Erasmus sous la forme de garanties de prêt – une proposition émise par Mme Vassiliou en guise de compromis pour sauver les programmes d'échanges. Il ne nous paraît pas opportun, en effet, d'inciter les étudiants à s'endetter. Cela nous rapprocherait du système américain, où les frais d'inscription, très élevés, rendent nécessaire le recours à l'emprunt. Barack Obama lui-même n'a fini de rembourser son prêt étudiant que quatre ans avant son élection à la présidence des États-Unis ! Il l'a rappelé récemment, en suggérant de mettre un terme à l'inflation des droits d'inscription dans les universités américaines.

Les étudiants s'étant déjà endettés pour financer leurs études – surtout ceux issus des familles les plus modestes – risquent de renoncer à la mobilité si celle-ci doit se traduire par un surcroît de dette. C'est pourquoi les ministres français, anglais, allemand et espagnol ont demandé au président de la Commission européenne que les prêts ne représentent que 2 % du budget d'Erasmus, qu'ils soient octroyés à titre expérimental et fassent l'objet d'une évaluation au bout de deux ans.

L'autre aspect de la mobilité étudiante concerne notre capacité à attirer des étudiants étrangers de talent. À cet égard, il était indispensable d'abroger la circulaire Guéant, qui non seulement nuisait à l'image universaliste de la France, mais aussi à nos intérêts économiques – à tel point que le MEDEF lui-même m'a félicité d'y avoir mis un terme. En effet, 41 % des doctorats obtenus dans notre pays le sont par des étrangers. Sachant que le nombre de docteurs est insuffisant en France, il paraît indispensable de continuer à accueillir des étudiants en provenance d'autres pays.

En ce qui concerne la politique spatiale, la France et l'Allemagne ont décidé d'investir 5 milliards d'euros dans les années à venir. Cette politique ne se limite pas aux lanceurs envoyés dans l'espace, mais concerne toute une filière dont l'organisation a été citée en modèle par le médiateur national des relations inter-entreprises, Jean-Claude Volot : les sous-traitants n'y sont en effet pas méprisés, mais plutôt considérés comme des « co-traitants », et les PMI sont incitées à développer l'innovation.

Vous avez évoqué le programme Euratom. Même si nous sommes favorables à la transition énergétique, nous devons tenir compte du fait que 30 % de l'énergie européenne est produite par fission nucléaire. C'est par ailleurs une filière qui embauche 100 000 personnes par an.

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