Intervention de Pouria Amirshahi

Réunion du 22 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPouria Amirshahi, rapporteur :

Je vais tenter de répondre rapidement à vos questions. Je salue tout d'abord les initiatives salutaires annoncées par Élisabeth Guigou auprès du Premier ministre. Je pense qu'elle peut se prononcer en notre nom à tous car il y a un consensus pour que les responsables et les dirigeants assument la langue française dans les institutions internationales.

Je pense que Pierre-Yves Le Borgn' a raison quand il dit que le fait de parler la langue du pays qui nous accueille est toujours un plus. Le problème est lorsqu'on parle anglais dans un pays qui n'est pas anglophone. En revanche, parler allemand en Autriche ou en Allemagne renforce évidemment le coeur et les esprits des interlocuteurs.

La Présidente a soulevé une question sur l'Université et les langues étrangères. Au moment de la polémique sur le fameux article 2 du projet de loi sur l'Enseignement supérieur et la recherche, on a été confronté à une impasse, car on l'idée était que pour réussir, il fallait absolument maîtriser l'anglais. Or, souhaiter que tous les français maîtrisent l'anglais n'est pas souhaitable ; je dirais même que ce n'est pas utile, car dans le monde qui vient il faudra maitriser d'autres langues indispensables, Jacques Myard l'a bien rappelé. Il y a donc une difficulté que Jean-Paul Bacquet a soulevée : notre capacité à enseigner les autres langues, chez nous et dans le monde. On n'est pas très bons, mais ce n'est pas qu'un problème de qualité pédagogique. Prenons l'exemple du Japon et du Brésil. Ces pays ne comprennent pas et trouvent injuste le fait qu'ils font beaucoup d'efforts pour la langue française et que nous en fassions très peu pour la leur : on n'enseigne peu japonais et le portugais. Ces pays trouvent que l'on fait de nombreux efforts pour enseigner le chinois, alors que la Chine n'en fait presque aucun pour enseigner le français… Il faut avoir une réflexion stratégique, intégrée à notre diplomatie. Dans les accords bilatéraux que l'on passe avec d'autres pays, il faut se battre pour que le français soit bien enseigné dans le système éducatif de ces pays, mais que la réciprocité soit vraie aussi et que l'on assume de donner une plus grande part à des langues importantes et dont nous aurons besoin stratégiquement.

La question des professeurs de français posée par Michel Terrot est évidemment centrale et c'est vrai que je ne l'ai pas développée dans mon propos introductif alors qu'elle est traitée dans le rapport. La Fédération internationale des professeurs de français alerte sur les départs massifs à la retraite de professeurs de français et sur les difficultés liées à la qualité des recrutements. Or, la qualité des enseignants était une des forces de l'enseignement du français dans le monde. Ils restent des militants de la francophonie mais ils ne sont pas beaucoup aidés. On en envoie moins à l'étranger, ils sont moins formés et les recrutements locaux sont souvent insatisfaisants. Il faut saluer les initiatives telles que l'Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) et d'autres projets annoncés, notamment « 100 000 professeurs pour l'Afrique », de même que les formations effectuées par le réseau et les formations par internet de professeurs. Il faut garder à l'esprit que tout ne peut pas passer par internet, dans des pays africains en particulier. Les crises énergétiques sont telles que l'accès à internet n'est pas toujours possible.

Jean-René Marsac et d'autres ont, à juste titre, soulevé le problème de la francophonie économique. Je crois que l'on pourrait se mettre d'accord avec les Québécois pour multiplier les accords économiques comme celui qui a été signé récemment dans le domaine de l'électricité. Ces accords signifient des formations professionnelles, des normes technologiques, des brevets et des inventions français. C'est donc très important. Cela pourra nous donner une capacité de projection sur des marchés, par exemple africains, où il y a une demande extraordinaire. C'est de notre intérêt national que d'appuyer cette stratégie de francophonie économique.

Sur les chiffres du plurilinguisme, je dispose de quelques ordres de grandeurs : aujourd'hui, il y a 250 millions de lusophones, 380 millions d'hispanophones et 1,4 milliards de sinophones. Mais les effets démographiques sont trompeurs en dynamique. Même aux États-Unis, personnellement, je me méfie de l'idée que l'espagnol sera jour majoritaire, car la capacité d'intégration et d'assimilation de la société américaine est très forte et de nombreuses générations d'hispanophones ont certes continué à parler espagnol en privé, ou sein de leur communauté, mais parlent anglais au quotidien. Il n'empêche, c'est juste, que ce sont des langues dynamiques, qui se développent, qui se consolident, qui s'organisent et qui augmentent le nombre de leurs locuteurs. On a proposé dans le rapport un atlas de la francophonie pour situer en tendance ces indications concernant l'espace francophone.

J'en viens aux zones de progression et de recul : certains pays renouent avec le français : le Brésil, la Colombie (l'intérêt pour le français est marqué en Amérique latine), la Chine et le Qatar, pour en citer quelques-uns, et les raisons de l'intérêt pour notre langue sont les mêmes ou presque, hormis l'attrait culturel et historique : c'est l'Afrique et les perspectives économiques de ce continent. Si l'on prend l'exemple des pays du Golfe, les Qataris, arabophones pourtant, passent par le français dans leurs relations avec les pays du Maghreb. La langue française devient donc une porte d'entrée pour l'Afrique. Quant aux pays où la place du français régresse, c'est surtout en Europe que le recul est catastrophique. Il y a encore des coeurs battants, par exemple la Roumaine, mais la pratique du français est un peu partout en chute libre avec un phénomène de génération marqué : en dessous de 40 ans, presque personne ne parle français ; au-delà, on trouve encore des francophones pour des raisons relatives à l'ancien système éducatif, l'attachement à la langue et la culture françaises et la transmission par les aînés. On est confrontés à une vraie difficulté pour attirer à nouveau à la langue française.

Si on adoptait une stratégie commune avec d'autres Etats francophones impliqués pour faire valoir les atouts du français, si nos coopérations bilatérales parvenaient à faire en sorte que la langue française soit à nouveau enseignée dans les écoles, ou plus enseignée, et qu'on assumait plus de réciprocité en développant l'enseignement des langues étrangères en France, on serait alors en capacité de donner une dynamique positive et de faire progresser au plan mondial la langue française.

Sur la question de l'Algérie, Axel Poniatowski a raison : ce pays considère toujours, à tort selon moi, l'OIF comme un organisme satellite de la France. Je crois que nous pouvons néanmoins avancer avec l'Algérie dans le sens du renforcement de la francophonie.

La question du visa francophone n'a pas pu progresser du fait de la peur migratoire : elle s'est retrouvée coincée dans le débat entre la volonté de fermeture des frontières et les velléités d'immigration choisie. Il existe pourtant une position intelligente, celle de la mobilité et des allers-retours. En limitant les démarches administratives, on désengorge nos consulats et nos préfectures et cela favorise en particulier la circulation des créateurs et des chefs d'entreprise. Par exemple, trop souvent, nous sommes encore confrontés au cas d'entreprises implantées à l'étranger qui veulent envoyer leurs cadres pour une formation professionnelle en France et se heurtent à un refus de visa.

C'est vrai, le rapport traite peu de la question de France 24, car cette chaîne a été créée pour être un outil d'influence française et non une chaîne francophone. Je suis d'accord pour dire que France 24 en anglais n'a pas beaucoup d'influence propre, sauf peut-être dans les pays anglophones où la France conserve un rayonnement. Pour France 24 en arabe, il faut être plus nuancé : par exemple, France 24 en arabe est la chaîne d'information du groupe la plus regardée en Tunisie, même si en revanche c'est en français que cette chaîne est plutôt regardée en Algérie et au Maroc. C'est surtout TV5 Monde qui devrait sans doute voir sa diffusion renforcée, car c'est vraiment une chaîne francophone qui s'inscrit dans l'idée de francophonie intégrée en s'ouvrant aux programmes des autres pays francophones.

Dans l'optique de l'alliance stratégique qu'il faut entre les pays francophones, nous devons effectivement, comme le dit Philippe Cochet, répondre à la question : « Pourquoi apprendre le français ? ». Elle appelle plusieurs réponses. Il y a les enjeux économiques, avec des débouchés considérables en Afrique, une sphère d'influence française qui se maintient, enfin un patrimoine des cultures francophones à promouvoir, au nom d'une certaine idée du dialogue entre les cultures et de l'universalité.

À cet égard, je voudrais revenir sur une proposition du rapport qui est très importante, à savoir la une mise en commun des outils à la disposition des différents pays francophones, tels que par exemple les Alliances et Instituts français en ce qui nous concerne. Nous pourrions sans doute ouvrir nos outils à d'autres pays francophones, tout en gardant la main naturellement parce qu'ils répondent aussi à d'autres enjeux. Par ailleurs, un rapprochement me paraîtrait particulièrement opportun : celui entre l'Office québécois de la langue française et notre Délégation générale à la langue française ; on pourrait ainsi avoir une stratégie linguistique commune avec le Québec.

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