Madame la Présidente, Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation et de votre accueil. Je suis très heureuse de cet échange avec vous sur les principaux sujets en discussion au niveau européen en matière d'éducation, de jeunesse et de culture. Avec votre permission, je poursuivrai en anglais.
La crise qui a débuté il y a quelques années a mis au jour l'importance de l'éducation et des compétences que nous devons transmettre à nos jeunes afin qu'ils mènent une vie épanouie, qu'ils trouvent un emploi et s'y maintiennent. Dans la stratégie dite Europe 2020, l'éducation occupe pour la première fois une place centrale puisque l'un des cinq objectifs pour 2020 consiste à réduire la proportion de jeunes qui quittent l'école sans qualification – laquelle atteint dans certains pays 38 %, soit un jeune sur sept – et à accroître parallèlement le nombre de jeunes âgés de 30 à 35 ans diplômés de l'enseignement supérieur, formation professionnelle comprise.
Parmi les défis que nous devons relever figurent l'illettrisme, cause d'échec scolaire, et le déficit de compétences. Malgré le niveau particulièrement élevé du taux de chômage des jeunes, qui atteint 57 % dans certains cas – plus d'un jeune sur deux ! –, quelque deux millions de postes restent non pourvus. Pourquoi ? Parce que ces emplois nécessitent des compétences dont nous ne disposons pas, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. Nous devons donc non seulement remédier au problème du chômage, mais aussi, à court et à long terme, apporter à nos jeunes les compétences nécessaires pour l'avenir. En effet, selon les études dont nous disposons, 35 % des nouveaux emplois qui seront créés exigeront un niveau de compétences élevé que seuls 26 % de notre main-d'oeuvre possèdent aujourd'hui. L'Europe ne peut plus assumer le coût d'une mauvaise formation. L'investissement dans l'éducation est une source de croissance et nous encourageons les gouvernements à en maintenir le niveau même dans les États membres où nous recourons à des mesures d'austérité, faute de quoi nous risquons de perdre une génération.
Que faire ? L'une de mes premières initiatives après l'adoption de la stratégie Europe 2020 visait à moderniser l'enseignement supérieur. À cette fin, j'ai nommé un groupe à haut niveau présidé par l'ancienne présidente irlandaise Mary McAleese et qui compte un membre français, M. Vincent Berger. Ce groupe a pour mission de formuler des recommandations en vue de répondre à deux questions, en juin 2013 pour la première, l'année prochaine pour la seconde : premièrement, comment promouvoir l'excellence dans l'enseignement ? Deuxièmement, comment appliquer les technologies modernes à l'enseignement supérieur ? En outre, avec mes collègues commissaires et la vice-présidente Nelly Kroes, nous adopterons très prochainement une nouvelle initiative visant à ouvrir l'enseignement aux nouvelles technologies, dont nous avons besoin pour améliorer les méthodes d'enseignement mais aussi pour utiliser des ressources modernes et ouvrir l'enseignement supérieur à un plus grand nombre de jeunes. En effet, l'équité en matière d'éducation exige que les handicapés, les habitants de régions excentrées, les personnes appartenant aux couches les moins privilégiées puissent accéder à l'enseignement supérieur. Or, malheureusement, nos établissements ne le permettent pas à l'heure actuelle. Voilà pourquoi il importe d'ouvrir l'enseignement aux nouvelles technologies.
En ce qui concerne la formation professionnelle, nous savons d'expérience que le taux de chômage est faible dans les pays où le système de formation en alternance est développé, comme en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas ou au Danemark. Nous sommes donc parvenus à un accord avec les États membres en vue de lancer l'Alliance pour l'apprentissage et nous allons collaborer avec les salariés et les employeurs afin de proposer à nos jeunes des formations en apprentissage de bon niveau.
Dans le cadre du semestre européen, nous indiquons tous les six mois aux États membres les domaines dans lesquelles ils révèlent des faiblesses et nous leur adressons des recommandations ciblées afin d'atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020. Lors du dernier semestre européen, tous les États membres sauf un ont reçu une recommandation concernant l'éducation. Dans le cas de la France, nous avons insisté sur la nécessité de développer l'apprentissage, ce dont M. Vincent Peillon, ministre français de l'éducation nationale, m'a remercié lors de ma dernière visite car cela lui a fourni une base de travail. Nous devons montrer l'exemple. Partant du principe que l'importance accordée à l'éducation doit se traduire en termes budgétaires, la Commission a donc recommandé au titre du cadre financier pluriannuel une augmentation de 70 % des crédits de l'éducation, de la formation et de la jeunesse. Si le Conseil européen, qui a décidé une réduction budgétaire générale, n'a pas fait exception pour nous, c'est toutefois notre programme qui bénéficie de l'augmentation la plus sensible, finalement ramenée à 40 %.
Je dois vous dire quelques mots de notre nouveau programme « Erasmus pour tous ». Lorsque Erasmus a été créé il y a vingt-cinq ans, c'était une nouveauté, voire une révolution. Aujourd'hui, grâce à ce programme, 250 000 jeunes bénéficient chaque année d'une expérience à l'étranger, ce qui développe les compétences transversales qu'ils ne pourraient acquérir dans le cadre scolaire et qui sont particulièrement appréciées des employeurs : l'apprentissage d'une langue étrangère par la pratique, mais aussi la familiarisation avec une autre culture, la capacité à décider par soi-même, à s'adapter à de nouvelles conditions, à travailler en équipe. Nous avons donc souhaité étendre le programme à d'autres catégories de jeunes. En élaborant le nouveau programme, nous avons naturellement cherché à faire oeuvre de simplification. Il existe aujourd'hui sept types de programmes différents, dont Comenius, Leonardo, Erasmus, Grundtvig et les programmes internationaux tels que Tempus ou Erasmus Mundus, ce qui est très compliqué pour les bénéficiaires. Le nouveau programme est global et fondé sur trois actions simples : la mobilité, le partenariat entre les institutions et les organisations destinées à la jeunesse, le soutien aux politiques de modernisation de l'enseignement supérieur et de lutte contre l'illettrisme que nous demandons aux États d'adopter.
Les élèves de l'enseignement primaire, de l'enseignement secondaire, les étudiants, les travailleurs qui veulent se doter d'une expérience à l'étranger pourront tous bénéficier du nouveau programme. Naturellement, nous donnons la priorité aux plus modestes qui ne peuvent le faire par leurs propres moyens, puisque nous voulons offrir à tous les jeunes le bénéfice de cette expérience. Parce que nous souhaitons lier l'enseignement scolaire et l'apprentissage extrascolaire, le nouveau programme pourra concerner tous les jeunes, les bénéficiaires du programme « Jeunesse en action », les bénévoles à l'étranger, les jeunes travailleurs.
Ce programme comporte trois nouveautés. La crise des compétences que j'ai évoquée témoigne du fossé entre ce que l'on enseigne aux jeunes et ce que le monde du travail attend d'eux. Pour le combler, nous allons créer des « alliances de la connaissance », c'est-à-dire des partenariats structurés entre établissements d'enseignement et entreprises, lesquels pourront définir ensemble des cursus de formation. S'y ajouteront des alliances sectorielles, sur le même modèle, entre des centres de formation professionnelle et des entreprises. La deuxième nouveauté est l'internationalisation d'Erasmus. Tous les programmes internationaux – Erasmus Mundus, Tempus, etc. – seront intégrés au nouveau programme et Erasmus sera étendu au monde entier. Ainsi, un Français pourra désormais aller étudier en Égypte ou en Chine grâce à Erasmus et nous prévoyons spécifiquement des échanges avec plusieurs pays voisins de l'Europe, au sud de la Méditerranée et à l'est du continent, ce qui resserrera nos liens avec eux.
Enfin, nous proposons un programme innovant de garantie des prêts étudiants qui, malheureusement, n'a pas été très bien compris jusqu'à présent. Alors que les masters sont très appréciés des étudiants, des universités et des entreprises, aucun programme d'aide n'est prévu à ce niveau. Il serait trop coûteux de créer des bourses, mais nous proposons de nous porter garants des prêts contractés par les étudiants modestes auprès du Fonds européen d'investissement, qui collabore avec les banques dans plusieurs États membres. De nombreuses garanties sociales seraient apportées. La dette de chaque étudiant serait plafonnée à 12 000 euros pour un cursus d'un an et à 18 000 euros pour un master de deux ans. Les taux d'intérêt seraient très bas, l'étudiant ne serait pas tenu de rembourser le prêt pendant une période d'un an suivant la fin de la formation et précédant l'embauche, et l'organisme prêteur ne pourrait demander aucune garantie supplémentaire à l'étudiant ou à sa famille. Nous espérons ainsi permettre à des étudiants qui ne le pourraient pas par eux-mêmes de suivre un master complet à l'étranger.
Nos institutions fonctionnent selon un trilogue que connaissent bien ceux d'entre vous qui ont siégé au Parlement européen. Aujourd'hui, « Erasmus pour tous » fait l'objet d'un accord partiel au sein du Conseil et d'un rapport de la commission de la culture du Parlement européen. Ces deux institutions se réunissent aujourd'hui en présence de la Commission afin de tenter de surmonter leurs divergences. J'ai proposé d'appeler le programme « Erasmus pour tous » afin d'utiliser le nom d'Erasmus, que tous associent à la mobilité et à l'Europe, et de manifester notre intention d'étendre le programme aux jeunes de toutes les catégories socio-économiques. Mme Doris Pack, présidente de la commission de la culture du Parlement européen, a préféré l'appellation « YES Europe », dans laquelle YES est l'acronyme de « Youth, Education and Sport », mais qui ne serait pas traduisible dans toutes les langues alors que le nom d'Erasmus est déjà très connu. Je suis reconnaissante à votre ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, d'avoir soutenu ma proposition dans une lettre au président du Parlement, M. Martin Schulz, cosignée par ses homologues de plusieurs États membres dont l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne. En outre, Mme Pack souhaite revenir au statu quo en en restant aux noms actuels des programmes, alors que nous voulions les unifier en un seul pour que les bénéficiaires n'aient plus à rechercher celui qui leur convient le mieux. C'est un problème majeur.
Face aux effets de la crise sur le chômage, nous voulions développer l'apprentissage et la formation des jeunes chômeurs en mettant à profit des fonds prévus pour d'autres usages mais inutilisés. Le même problème s'est posé lors des printemps arabes : nous n'avons pas été en mesure d'aider les jeunes d'Afrique du Nord faute de pouvoir faire preuve de souplesse dans l'affectation des crédits. Aujourd'hui, le budget est préalloué à 82 %, ce qui ne permet pas la souplesse nécessaire. Naturellement, le Parlement a toujours son mot à dire puisqu'il examine et approuve chaque année notre projet. Pourtant, une fois de plus, Mme Pack a voulu en rester au statu quo, insistant pour que 23 % des crédits soient préalloués. La souplesse est d'autant plus essentielle que le budget couvre sept ans : qui sait ce qui arrivera en 2019 ou en 2020 ? Si les fonds sont préaffectés, nous ne pourrons aider ceux qui auront alors besoin de nous.
J'en viens à U-Multirank. Il s'agit d'un nouveau système de classement des universités élaboré pendant la présidence française de l'Union, à une époque où je n'étais pas encore commissaire chargée de l'éducation. Outre la recherche, les prix scientifiques obtenus et le nombre de publications, le classement des universités doit aussi tenir compte de la qualité de l'enseignement, critère essentiel pour nos étudiants, des liens entre l'université et la région où elle est implantée, du partage de connaissances. Une étude que nous avons lancée confirme l'importance de ce classement multidimensionnel. Nous avons proposé la création d'un consortium qui gérera l'évaluation des universités, auxquelles nous demandons en ce moment de s'inscrire. Pour être crédibles, il nous faut commencer par 500 universités à travers l'Europe. Nous souhaitons que les universités françaises, notamment celles qui ont participé au projet pilote et à l'étude, rejoignent le projet. Nous espérons publier le premier classement en 2014. Le classement va de pair avec la liste CERES – Cartographie des établissements d'enseignement supérieur et de recherche – qui sera préparée par la France. Les données seront recueillies auprès des universités au niveau national, puis transmises à l'Union européenne afin d'établir une liste européenne.
En ce qui concerne la culture, nous avons aujourd'hui deux programmes destinés l'un à la culture, l'autre aux médias. Le programme Culture vise à permettre aux professionnels de la culture de travailler ensemble afin de mieux comprendre la diversité culturelle. Pour obtenir notre soutien, les projets culturels doivent donc associer au moins trois organismes de trois États membres différents. De mon point de vue, c'est une grande réussite. Nous avons également octroyé des prix, dont un prix littéraire important qui récompense le meilleur écrivain de chaque pays et permet de traduire l'ouvrage primé dans de nombreuses langues afin que chaque Européen se familiarise plus aisément avec la culture des autres. S'y ajoutent le prix Europa Nostra du patrimoine culturel, auquel la France contribue, ainsi que le programme des capitales européennes de la culture – Marseille est l'une des deux villes désignées cette année. Quant au programme MEDIA, il permet de financer le cinéma et la télévision. Le nouveau programme « Europe créative » renforcera ce soutien, notamment pour la télévision. Il s'agit de permettre aux entreprises audiovisuelles européennes de produire des films et d'en faciliter la distribution en dehors du pays de production, par exemple en finançant le sous-titrage, le doublage, voire la promotion. Par ailleurs, nous soutenons naturellement la formation des professionnels de l'industrie du cinéma, grâce à un budget dont nous espérons qu'il augmentera à l'avenir.
Nous avons publié il y a trois ans un Livre vert sur les industries culturelles et créatives qui a suscité un grand intérêt. Nous avons alors constaté que l'accès au crédit était l'un des défis majeurs et l'une des principales demandes des PME du secteur de la culture et de la création. Celles-ci ne sont pas en mesure de fournir aux banques les garanties requises pour obtenir un prêt ; mais sans accès au crédit, elles ne peuvent s'agrandir. Nous allons donc les aider par un dispositif de même type que notre système de caution des prêts étudiants. Elles pourront ainsi produire, se développer et créer de nouveaux modèles économiques. Cela constitue un autre volet du programme « Europe créative ».
Monsieur Bloche, le multilinguisme est naturellement un aspect essentiel de l'Union européenne. Je participais justement hier soir à une réunion et à un débat à ce sujet. Certains se demandent à quoi bon dépenser autant pour pratiquer 23, voire 24 ou 25 langues. Pourquoi ne pas faire de l'anglais notre unique langue véhiculaire ? Parce que les traités nous obligent à soutenir et à promouvoir la diversité linguistique et culturelle. Ma position est donc très claire : la diversité linguistique doit être préservée. J'adopterai d'ailleurs l'an prochain un benchmark sur l'apprentissage des langues étrangères. L'objectif d'apprentissage de deux langues étrangères, adopté par les ministres de l'éducation il y a quelques années, reste d'actualité ; il est peut-être même encore plus justifié aujourd'hui qu'alors.