Intervention de Marc Dufumier

Réunion du 2 avril 2013 à 8h45
Commission des affaires européennes

Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot :

Quels pourraient être les objectifs de la nouvelle politique agricole commune ? Le premier pourrait être de pourvoir à une alimentation saine – pas de dioxine dans le poulet, pas de pesticides sur les fruits et légumes, pas d'hormones ni d'antibiotiques dans la viande et le lait. Un autre pourrait être de préserver un cadre de vie agréable – pas d'algues vertes sur le littoral breton, maintien de la variété des paysages… – et de sauvegarder, pour les générations futures, la qualité de l'eau, qui ne devrait plus contenir ni nitrates ni résidus de pesticides, la fertilité des sols et la biodiversité. S'agissant des abeilles, il n'en va pas seulement de la production de miel qui, dans notre pays, a diminué de moitié depuis quinze ans, mais de la fécondation des arbres fruitiers, et donc à terme, de l'efficacité économique de l'arboriculture.

Il faut tenir compte des externalités négatives : le lait « pas cher » nous coûte en réalité très cher ! Nos impôts servent à subventionner une production excédentaire, qu'il faut ensuite résorber. La disparition d'emplois du fait de l'hyper-productivisme a un coût social élevé. Les résidus d'antibiotiques présents dans les produits sont nocifs pour notre santé – on peut craindre que dans les années à venir, l'espérance de vie en bonne santé ne diminue dans notre pays, même si cette évolution statistique n'est pas pour l'heure totalement avérée.

Les aides du premier pilier étaient initialement destinées à compenser la baisse de revenu consécutive à l'alignement des prix européens sur ceux des marchés internationaux. Aujourd'hui, les droits à paiement unique dépendent de références historiques. Nous proposons qu'il soit mis un terme à ces références historiques afin de parvenir, à l'horizon 2020, à une convergence des aides au niveau européen avec une prime unique à l'hectare, indépendante des productions, fût-elle calculée à parité de pouvoir d'achat. Il y va de la solidarité européenne. Nous souhaiterions que les aides soient accordées à l'actif, pour servir l'emploi. On en est loin dans la négociation actuelle mais tout ce qui ira dans le sens d'une « surprime » aux premiers hectares, une dégressivité et un plafonnement des aides – que, pour ma part, je souhaiterais fixé à 100 000 euros –, est bienvenu. Opérer une redistribution au profit des petites exploitations, c'est encourager des fermes intensives en main-d'oeuvre qui sont le plus souvent celles aussi qui diversifient leurs cultures, pratiquent la rotation et associent agriculture et élevage, ce qui contribue à la préservation des écosystèmes.

Notre fondation n'est pas hostile à un recouplage des aides du premier pilier. J'en profite pour dire que mieux vaudrait ne plus parler « d'aides », mais de rémunération des agriculteurs pour les services environnementaux qu'ils rendent. C'est l'esprit des aides du deuxième pilier, mais celles du premier pilier devraient également y contribuer.

Nous sommes extrêmement favorables à ce que notre pays puisse invoquer le principe de subsidiarité pour recoupler les aides. Il faudrait y prendre en compte en priorité les légumineuses. L'un des intérêts de ces plantes comme la luzerne, le trèfle, le sainfoin, le lotier, le pois fourrager, le lupin, le pois chiche, la fève… – plantes dont la plupart gagneraient d'ailleurs à figurer dans notre alimentation parce qu'extrêmement bénéfiques pour notre santé – serait de réduire notre dépendance aux importations de soja, transgénique de surcroît, en provenance du Nouveau monde. Elles fournissent des protéines végétales de qualité pour l'alimentation du bétail, comme pour l'alimentation humaine et leurs résidus azotés évitent d'avoir à utiliser des engrais de synthèse, et donc à importer du gaz naturel russe et norvégien pour leur fabrication. Tout comme il faut préférer l'urine des animaux à l'urée de synthèse, substituons des légumineuses à certaines cultures à l'origine aujourd'hui d'excédents. Quand dans une rotation figure une légumineuse, le coût de fertilisation azotée des cultures de blé, colza ou betterave qui suivent, est nettement moindre. Par ailleurs, lorsqu'on épand moins d'engrais azotés de synthèse, on émet moins de protoxyde d'azote, ce qui va dans le sens des exigences du protocole de Kyoto.

Nous souhaiterions également, Nicolas Hulot vient d'en parler, promouvoir l'alimentation bio dans la restauration collective. Si sur les neuf milliards d'euros de la PAC que recevra notre pays, un milliard était affecté à cet objectif, en 2020, quasiment tous les repas des établissements scolaires, de la maternelle au lycée, mais aussi des cantines d'entreprise, fréquentées par les couches les plus modestes, proviendraient d'une agriculture de qualité et de proximité, pour un surcoût de 0,4 euro par repas seulement. La tâche des collectivités qui essaient d'encourager la fourniture bio des cantines scolaires en serait facilitée. Les reconversions vers l'agriculture biologique seraient bien plus nombreuses.

Il est prévu que 30 % des aides directes soient liées au verdissement. Nous nous en félicitons car il avait été un temps question de 20 % seulement. Une partie des aides du premier pilier doit servir à promouvoir des systèmes de production plus respectueux de l'environnement et des générations futures. Nous avons sur ce point trois propositions. Il faudrait que les aides soient conditionnées à la présence de quatre cultures en rotation, dont une légumineuse. Il n'est actuellement question au niveau européen que de trois cultures dans l'assolement d'ailleurs, et non dans la rotation – ce qui signifierait qu'une monoculture pourrait continuer d'être pratiquée sur 80 % des surfaces et que deux autres suffiraient sur les 20 % restants. Or, seule la rotation garantit la diversification des cultures, de printemps et d'été, de nature à rompre le cycle des prédateurs et des adventices, autant de principes agronomiques de base qui, s'ils sont appliqués, permettent de limiter le recours aux intrants chimiques. L'une des raisons pour lesquelles notre agriculture est aujourd'hui si polluante, tout en fournissant parfois des produits de mauvaise qualité, est le développement de la monoculture et une spécialisation exagérée de nos régions et de nos terroirs.

Notre deuxième proposition est que soient maintenues 7 % de surfaces d'intérêt écologique – haies, mares, bandes enherbées… Il faut favoriser la présence de coccinelles pour neutraliser les pucerons, celle de carabes pour éloigner les limaces, celle d'abeilles pour féconder pommiers et poiriers. Cette biodiversité évite d'avoir à recourir de manière abusive aux pesticides. Lorsque nous parlons de préserver des « surfaces d'intérêt écologique », c'est bien les haies, les talus, les mares.. que nous visons et non de faire en sorte, comme le propose, hélas, le Conseil, des équivalences à travers les mesures agri-environnementales du deuxième pilier qui réduiraient le verdissement à trois fois rien. Si on en restait à sa proposition, certains agriculteurs pourraient être rémunérés au titre du premier pilier pour des mesures agri-environnementales qui leur ouvriraient droit à une « surprime » au titre du verdissement. Ce n'est pas acceptable.

Notre troisième proposition est de maintenir des prairies et pâturages permanents.

Soulignons au passage que l'agriculture bio remplit déjà ces trois conditions.

S'agissant du deuxième pilier, nous insistons pour le maintien de mesures agro-environnementales systémiques. Nous souhaiterions que les subventions transitent par les régions et fassent l'objet d'une contractualisation. Aujourd'hui, les mesures agri-environnementales sont destinées à compenser les moindres rendements ou les surcoûts résultant de systèmes de production plus respectueux de l'environnement. Il faudrait que les agriculteurs soient vraiment rémunérés pour le service qu'ils rendent. Nous insistons également pour que soient intégrées dans le deuxième pilier des aides aux jeunes agriculteurs et aux petites fermes. Nous sommes résolument hostiles à ce que les aides du deuxième pilier puissent servir aux agriculteurs à s'assurer. Il n'existe pas de meilleure assurance, tous le savent, face aux aléas climatiques ou de prix, que de « ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier », c'est-à-dire de diversifier et d'alterner ses cultures, et d'associer cultures et élevage. Aider les agriculteurs à s'assurer face aux dangers de la monoculture ne peut que les encourager dans sa pratique. Cela doit donc être proscrit.

Un dernier mot sur les organisations communes de marché. M. Le Foll a laissé entendre que l'on pourrait rediscuter du sort des quotas laitiers. Il y a urgence en effet à empêcher leur disparition programmée en 2015. Il faut de même militer pour le maintien des quotas sucriers et l'encadrement des droits de plantation dans la vigne, afin d'éviter la surproduction. D'autant que beaucoup d'excédents – c'est le cas notamment de la poudre de lait – sont ensuite subventionnés à l'exportation, ce qui constitue du dumping à l'égard des pays du Sud. On s'était engagé à supprimer les restitutions en 2013. Il est grave que cet objectif soit remis en cause. Car l'exportation à vil prix de notre poudre de lait ou de nos poulets bas de gamme empêche les paysans du Sud, qui travaillent encore à la main, d'être compétitifs, les pousse à quitter les campagnes pour les villes où ils s'entassent dans des bidonvilles, et même parfois à émigrer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion