Intervention de Marc Dufumier

Réunion du 2 avril 2013 à 8h45
Commission des affaires européennes

Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot :

S'il y a un secteur au niveau mondial où ne prévalent ni les règles de la libre concurrence ni celles du libre-échange, c'est bien celui de l'agriculture. Cinquante milliards d'euros d'aides, c'est une distorsion totale de concurrence ! Si à l'OMC, le cycle de Doha a échoué – si tant est que l'on puisse parler d'échec, puisque le mandat étant erroné, que le cycle n'ait pas abouti représente plutôt un succès –, c'est à cause de l'agriculture. Celle-ci est au niveau mondial le secteur le plus subventionné par les États. C'est le cas dans l'Union européenne avec la PAC, mais ne soyons pas naïfs. Les États-Unis ont mis en place un programme alimentaire fédéral, le SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program), qui a remplacé l'ancien Food Stamp Program, auquel a été ajoutée une dimension nutritionnelle. Ce programme est destiné à soutenir le marché agricole intérieur par les prix, l'Etat achetant des produits locaux destinés à l'alimentation des populations les plus pauvres. Quant au Brésil, il a un programme visant à relancer l'agriculture familiale en fournissant la restauration collective. Alors que nos principaux concurrents agricoles à l'OMC dénoncent la distorsion de concurrence que constituent les subventions de la PAC, ils adoptent eux-mêmes des pratiques que nous nous interdisons toujours ! Pourquoi ? Le cycle de Doha, c'est terminé ! Nous avons le droit de conduire des politiques autres.

Il faut absolument éviter toute forme d'administration de l'agriculture. Sa planification centralisée a toujours été un échec. Au moment où l'Union soviétique échouait, il n'y avait pas agriculture plus planifiée que l'agriculture européenne dans le cadre d'une économie de marché ! Il faudrait aujourd'hui déterminer des « bonus » et des « malus » faisant que les agriculteurs, tout en travaillant dans leur intérêt particulier, s'orientent vers les systèmes de production les plus conformes à l'intérêt général, ce qui leur éviterait d'être stigmatisés. La lutte contre les externalités négatives nous coûte très cher, alors qu'il suffirait par exemple pour éradiquer la chrysomèle du maïs de diversifier les assolements et de faire tourner les cultures. Les « malus » peuvent être constitués par des impôts, par exemple sur les engrais azotés de synthèse, et les « bonus », des subventions européennes – de façon que les agriculteurs aient intérêt à cesser la monoculture de maïs et à inclure plutôt de la luzerne dans leurs cultures, rendant ainsi un service environnemental à la société dont ils puissent être fiers. C'est en subventionnant les légumineuses qu'on en finira avec les monocultures et qu'on luttera efficacement contre certains insectes !

Nous n'avons en effet pas assez parlé en effet de l'organisation commune des marchés. Il faut empêcher la disparition programmée des quotas laitiers, maintenir les quotas sucriers et les droits à plantation pour la vigne. Il ne faut pas s'interdire non plus des stocks régulateurs de céréales, poudre de lait, etc, pour éviter la spéculation sur les marchés mondiaux. L'Europe doit faire entendre sa voix sur ce sujet à l'OMC.

Je ne reviens pas sur les trois conditions que nous souhaiterions voir imposées pour l'attribution des aides du premier pilier. Ces exigences doivent être les mêmes partout en Europe. C'est possible, mais il faudra se battre pour qu'il en soit ainsi. Les mesures agri-environnementales sont très intéressantes, notamment lorsque les crédits transitent par les régions. Par voie contractuelle, on peut envisager des interventions systémiques, tenant compte des particularités des terroirs et des territoires. L'agro-foresterie devra y avoir sa place.

L'agriculture biologique que nous souhaitons promouvoir, qui diversifie les cultures, tire parti de la polyculture-élevage, connaît les vertus des champignons mycorhiziens, cherche à favoriser la stabilité structurale des sols, lutte contre les insectes ravageurs autrement que par des pesticides, voire par des lâchers de trychogrammes, ne marque pas un retour à l'âge de pierre. Elle est extrêmement savante et moderne. Mais c'est une agriculture plus artisanale, plus exigeante en travail, qui mérite d'être mieux rémunérée. Avec les neuf milliards d'euros de la PAC qui nous reviennent, faisons que nos agriculteurs soient bien rémunérés et que, droits dans leurs bottes, ils puissent être de nouveau fiers d'un travail qui serve l'intérêt général.

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