La logique du budget de l'Union européenne répond, en réalité, à la logique historique des étapes de la construction européenne. Il y a d'abord eu le compromis fondateur entre la France, qui a obtenu la PAC, et l'Allemagne, qui a développé le marché intérieur pour son industrie. Puis les paquets Delors ont mis en place les fonds structurels pour accompagner les premiers élargissements et aménager la transition dans un marché commun relancé. Dans ce contexte, chaque État calcule ce que ce budget lui rapporte et passe des compromis dans cette logique. La fonction d'allocation déjà mentionnée, que Jacques Delors avait essayé de promouvoir, est absente de ces calculs : il faudrait à l'évidence la développer.
La zone euro est un tout autre univers. Elle induit là une forme d'intégration solidaire, une dialectique inédite entre solidarité européenne et contrôle. Cette solidarité a été sciemment exclue au départ de peur de nourrir l'aléa moral et à inciter les États à abandonner les efforts budgétaires nécessaires sous le paravent protecteur d'une garantie commune implicite. Toutefois, comme on l'a vu, ces efforts n'ont de toute façon pas été consentis car les marchés n'ont jamais cru au non-renflouement.
La crise nous a poussés à agir. Et on doit bien constater quelques faits évidents. La BCE, qui a agi dans le sens de la solidarité, est une institution fédérale. Le MES, mécanisme de solidarité, représente un petit saut fédéral. Nous sommes donc déjà dans une fédération d'États-nations. Cette dialectique entre solidarité et contrôle s'appliquera, de même, en matière d'union bancaire : puisque l'Europe va devenir solidaire des banques, elle devra les contrôler directement.
Comment aller plus loin ?
Ce sont les pays qui ne sont pas sous programme qui posent les plus grands problèmes. Sur ce sujet, puisque ceux qui sont sous programme ont de facto perdu leur souveraineté. Puisque la crise a mis en évidence une interdépendance de nos pays, ne faudrait-il pas mettre en place un contrôle européen plus poussé ? Il faut trouver les éléments d'un compromis entre les différentes solutions rappelées par Agnès Benassy-Quéré. On parle souvent par exemple de mutualiser l'émission des dettes : c'est sans doute lorsqu'on aura décidé de cette mutualisation – ce ne sera pas facile – que la logique « qui paie contrôle » pourra s'appliquer.
J'appelle votre attention sur l'existence d'un autre mécanisme de mutualisation : celui de l'assurance. Dans le cadre du groupe de travail « Tommaso Padoa-Schioppa », Notre Europe a suggéré par exemple la mise en place d'un fonds d'assurance cyclique bien construit, qui assurerait une fonction de stabilisation cyclique. Or, contrairement aux préjugés, nos calculs montrent qu'un tel fonds, qui amortirait par des transferts, les écarts observés dans les pays entre leur croissance constatée et leur potentiel, aurait, pour les quinze dernières années, été équilibré : tous les pays auraient pu payer lorsque leur situation était bonne, et recevoir lorsqu'elle l'était moins. L'Allemagne aurait ainsi reçu, et donné, autant que la Grèce.
Pour assurer correctement un contrôle politique et démocratique de ce qui se passe dans la zone euro, il faut bien distinguer différentes fonctions, sans rentrer tout de suite dans une logique institutionnelle.
Il y a quatre grandes fonctions. La première, la gestion de crise impose le Conseil européen, mais aussi aux parlements nationaux, qui ont dû débloquer les fonds tous d'origine nationale et adopter des réformes structurelles. La deuxième, la définition des grandes orientations de la construction européenne et de la gouvernance de la zone euro, concerne le Conseil européen, mais aussi la Commission et le Parlement européen. La troisième relève du domaine normatif : il faut préserver l'application de la méthode communautaire, c'est-à-dire que la Commission propose, le Conseil des ministres et le Parlement européen décident.
La quatrième fonction, c'est le contrôle de trois fonctions décisionnelles que je viens de définir. Comment l'assurer ?
Il faut d'abord que les parlements nationaux exercent un contrôle sur les gouvernements nationaux, lorsque ceux-ci prennent des décisions au niveau européen. Notre Europe a réalisé, avec la Trans European Policy Studies Association (TEPSA), une étude qui sera prochainement rendue publique : elle confirme la très forte hétérogénéité des pratiques en ce domaine. Les parlements allemand et danois exercent un contrôle beaucoup plus fort que le Parlement français par exemple. Il faudrait y remédier, car c'est là l'une des sources du déficit démocratique ressenti dans la zone euro.
Le Parlement européen joue évidemment un rôle majeur dans le contrôle démocratique des décisions : il contrôle les nominations à la Commission européenne, il peut censurer la Commission… Il faut d'ailleurs souhaiter que les partis qui sortiront en tête des élections de 2014 puissent peser sur la désignation du candidat à la présidence de la Commission comme cela peut être fait à traités constants. Notons en outre que le Parlement européen contrôle également la Banque centrale européenne.
Il existe enfin un registre interparlementaire. Dans une fédération d'États-nations comme la nôtre, les parlementaires nationaux et européens, qui sont tous pleinement légitimes, doivent agir ensemble. Pour savoir qui doit contrôler et comment, il faut d'abord s'interroger sur l'objet du contrôle : le fait que les fonds qui permettent la solidarité financière émanent des budgets nationaux suppose une implication forte des parlementaires nationaux. Si l'on veut que le contrôle soit effectif, visible, il faut que les parlementaires nationaux s'impliquent, parce qu'ils sont beaucoup plus proches de leurs électeurs. Et pour que les parlementaires nationaux s'impliquent, il faut que leurs travaux aient une visibilité . Cela implique donc l'institution d'une structure permanente clairement identifiée et médiatisée. Une telle enceinte pourrait prendre la forme de la Conférence parlementaire de la zone euro proposée par Jean Arthuis dans son rapport.