Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 11 décembre 2012 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

Madame la Présidente, mes chers collègues, je voudrais faire un point d'information d'étape sur l'aide aux plus démunis au sein de l'Union, au moment où la Commission européenne vient de faire connaître sa proposition de refonte du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD).

Vous avez tous été alertés dans vos circonscriptions par les associations qui se répartissent les crédits de ce programme et qui ont constaté une diminution drastique des sommes allouées aux plus démunis. Le PEAD correspond actuellement à une enveloppe de 480 millions d'euros annuels en Europe et à 72 millions d'euros annuels en France, qui permettent, au travers de 130 millions de repas distribués, d'aider près de 4 millions de personnes à se nourrir par l'intermédiaire de quatre associations : les Banques Alimentaires, la Croix-Rouge française, les Restos du Coeur et le Secours populaire français. Ces associations voient avec inquiétude arriver la fin 2013 qui marquera la fin du système actuel qui est pour elles, vital : pour chaque association, le PEAD représente 23 à 55 % du budget alimentaire annuel. Sans ce budget, elles ne pourraient pas aider autant de personnes.

Un bref rappel historique tout d'abord. Au milieu des années 80, la Politique agricole commune (PAC) dégageait des excédents; Jacques Delors, alors Président de la commission européenne, et Henri Nallet, ministre français de l'agriculture, ont décidé d'ouvrir les frigos de l'Europe en créant le programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) qui permettait de distribuer gratuitement des denrées agricoles aux associations caritatives chargées de les redistribuer sous forme d'aide alimentaire. Par la suite, du fait des changements d'orientation de la PAC, les stocks d'intervention ont quasiment disparu et les dons en nature ont été remplacés en 2008 par une enveloppe financière annuelle de 500 millions d'euros permettant aux associations de s'approvisionner sur le marché. Cette somme représente 1 % du budget de la PAC, soit environ un euro par Européen.

De novembre 2008 à décembre 2011, s'est constituée une minorité de blocage, – toujours la même sur ces sujets – (Royaume -Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Danemark et République Tchèque) qui considérait que le PEAD ne devait pas être financé sur fonds PAC, et que s'agissant d'un programme social, il ne devait relever que des États membres. L'Allemagne, particulièrement opposée au programme, – elle n'a jamais demandé à en bénéficier car elle dispose d'un système national spécifique –, a déposé un recours devant la Cour de justice européenne . Celle-ci a fait droit à ses arguments, estimant qu'une enveloppe financière ne peut être admise que si les produits ne sont pas temporairement disponibles ; or, ce financement n'était plus exceptionnel dans la mesure où il était inscrit chaque année dans le budget de la PAC. Un tel dispositif a donc été jugé comme constituant une mesure sociale ayant perdu tout lien avec la PAC.

Vivement contesté par sept pays, emmenés par l'Allemagne, qui considèrent que cette aide relève des États et non de l'Union - l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark, la Suède, le Royaume-Uni, et la République Tchèque -, le programme alimentaire a toutefois, suite à un accord franco-allemand, été sauvegardé jusqu'à la fin 2013. Il n'était cependant pas question de le pérenniser au-delà de cette date.

Ceci est d'autant plus inquiétant que la pauvreté, et même l'extrême pauvreté, continuent de croître dans le contexte économique actuel, alors même que dans un mouvement concomitant, la crise prive aussi les États d'une partie de leurs capacités financières à aider les populations les plus précaires.

En 2010, lorsque la stratégie « Europe 2020 », qui se donnait pour objectif de sortir au moins 20 millions de personnes de la pauvreté et de l'exclusion sociale, a été élaborée, on comptait déjà 80 millions d'Européens menacés de pauvreté ; ce chiffre s'élève maintenant à 116 millions, dont 40 millions vivent dans un dénuement matériel extrême.

La Commission européenne, face à la mobilisation des ONG et de certains pays membres – 13 pays ont effectué en septembre 2011 une déclaration commune pour le maintien du programme – propose aujourd'hui une solution de compromis entre les différentes positions des États membres.

Le PEAD sera supprimé, mais un FEAD, Fonds européen d'aide aux plus démunis, sera désormais placé dans le cadre de la politique de cohésion, au sein du Fonds social européen (FSE).

Pour la Commission, le principal instrument de l'Union pour favoriser l'employabilité, lutter contre la pauvreté et promouvoir l'inclusion sociale demeure le FSE, mais le FEAD s'adressera aux « citoyens les plus vulnérables en situation d'extrême pauvreté, trop éloignés du marché du travail pour bénéficier des mesures d'inclusion sociale du FSE ».

Il s'agit là d'un sous-ensemble du FSE, ciblé sur les populations les plus précaires, et conçu comme la réponse de l'Union aux privations matérielles dont souffrent les plus démunis. Ce fonds sera prélevé sur le FSE sans que le FSE n'augmente.

La Commission a ainsi, dans sa proposition relative au prochain cadre financier pluriannuel, réservé un budget de 2,5 milliards d'euros pour le FEAD, « nouvel instrument destiné à lutter contre les formes extrêmes de pauvreté et d'exclusion ».

Cette proposition a le soutien de la France, mais aussi de l'Italie, de l'Espagne et de la Pologne.

Si la création de ce fonds constitue un réel soulagement, il convient toutefois de noter qu'il correspondra à un moins-disant par rapport à la situation précédente, et ce tant du point de vue de la nature des prestations que des montants en jeu et du fonctionnement de l'aide.

Du point de vue de la nature des prestations et du champ d'intervention, le fonds concernera à la fois la nourriture, des vêtements et d'autres biens de première nécessité. La Commission précise d'ailleurs que « le règlement proposé établit, pour la période 2014-2020, un nouvel instrument qui viendra compléter les instruments de cohésion existants et notamment le Fonds social européen, en s'attaquant aux formes de pauvreté les plus graves et les plus handicapantes socialement, à la privation de denrées alimentaires, mais aussi au sans-abrisme et à la privation matérielle des enfants, tout en soutenant les mesures d'accompagnement destinées à la réinsertion sociale des personnes les plus démunies dans l'Union ».

Il ne s'agit donc plus exclusivement d'un instrument d'aide alimentaire, mais d'un instrument d'aide à visée plus globale, qui englobe l'ensemble des aspects de la précarité : alimentation, logement, besoins matériel, exclusion sociale.

Du point de vue des montants engagés, alors que le PEAD bénéficiait de 500 millions d'euros annuels dans le cadre de l'aide alimentaire de la PAC, le nouveau fonds sera doté de 2,5 milliards d'euros sur sept ans, soit une enveloppe annuelle d'environ 360 millions d'euros. Ceci correspond à une baisse de 28 % en euros constants. Le dernier texte de compromis sur lesquels les pays n'ont pas trouvé d'accord le 23 novembre dernier proposait même une enveloppe encore réduite, puisque ramenée à 2,1 milliards d'euros sur la période, soit par rapport aux sommes engagées sous le régime précédent, une diminution de 40 %.

Enfin, et peut-être surtout, le FEAD, contrairement au PEAD, s'adressera indifféremment à tous les États membres, au même titre que le FSE dont il est une émanation.

Le PEAD ne bénéficiait pas, en effet, aux vingt-sept pays de l'Union, mais aux seuls pays participants au programme, soit dix-huit États en 2008. L'enveloppe FEAD déjà amputée d'un tiers au moins de son montant sera donc répartie sur vingt-sept pays et non sur une partie d'entre eux, soit une diminution encore accrue pour les pays actuellement bénéficiaires. Il y a là de quoi susciter des inquiétudes réelles quant à la mise en oeuvre du programme.

Du point de vue du fonctionnement de l'aide, ce nouveau fonds ne viendra plus directement en aide aux associations, mais transitera par les États membres qui devront apporter un cofinancement, conformément aux règles de fonctionnement du FSE. La Commission propose qu'il soit porté à 15 %, ce qui correspond à la part de financement national dans le cadre du FSE pour les régions les plus pauvres.

Ce point précis – le cofinancement – est porteur d'inquiétudes. En effet, il est à craindre qu'en cette période d'austérité budgétaire et de difficultés macro-économiques, beaucoup d'États soient réticents à engager des sommes sur ce fonds. Est-il vraiment pertinent d'obliger les pays les plus démunis à cofinancer ?

En ce qui concerne les modalités d'application, le règlement adopte la méthode appliquée aux fonds structurels. En outre, les associations bénéficiaires seront sélectionnées selon des critères non encore précisés.

Les associations caritatives s'inquiètent donc, sans doute à juste titre, de la perte de spécificité du programme et du changement de ses principaux paradigmes. Certaines questions demeurent toutefois en suspens. D'une part, quel sera l'avenir des sommes éventuellement non utilisées par certains États ? Trois scenarios sont possibles : soit elles sont reversées au budget de l'Union, soit elles sont reversées au FSE, soit elles sont reversées au FEAD. Bien entendu, c'est la troisième option, la seule qui pérennise le fonds, qui devra être défendue par la France au moment des discussions, tout comme l'évaluation à mi-parcours, et non en fin de parcours, des sommes non-utilisées. D'autre part, quid du devenir d'éventuels nouveaux stocks dans le cadre de la PAC, certes peu probables mais pas impossibles ?

Enfin, le risque de la fusion entre le FSE, dont une des règles principales précise que chaque État membre doit consacrer au moins 20 % des sommes attribuées à l'inclusion sociale, et du FEAD, dont les missions sont plus larges que celles du PEAD, est réel. La plus grande vigilance s'impose donc pour éviter cette absorption qui ne pourrait se faire qu'au détriment de l'aide alimentaire.

Aussi faudra-t-il être particulièrement attentifs à quelques points. Si elle n'est pas prioritaire, la question du montant de l'enveloppe devra toutefois être discutée. L'aide alimentaire de base devra être privilégiée, et ce d'autant plus que le montant alloué au FEAD est en diminution de près d'un tiers par rapport au PEAD et la France devra être attentive à ce que le FEAD et le volet « inclusion » du FSE ne soient pas confondus. De plus, la question du cofinancement est un réel obstacle à la distribution de l'aide, et il serait opportun que cette obligation puisse être levée, tandis que les sommes non éventuellement utilisées par certains des 27 États membres devront être évaluées à mi-parcours et reversées exclusivement dans l'enveloppe FEAD. En outre, les modalités de la distribution de l'aide devraient être revues dans le sens d'une plus grande souplesse. S'il appartient aux pouvoirs publics de faire de la lutte contre la pauvreté un axe central de leurs priorités, le tissu associatif joue un rôle capital. Les associations, animatrices des réseaux d'aide alimentaire, doivent par ailleurs demeurer les opérateurs du fonds.

Enfin, en cas d'une éventuelle reconstitution des stocks de la PAC, ceux-ci devront être redistribués conformément au système existant avant la création de l'enveloppe financière de 2006.

Il serait intéressant de rencontrer le rapporteur sur ce texte au niveau européen, qui a été nommé aujourd'hui, pour lui faire part de notre vif souhait que le fonds soit pérennisé, pour ne pas dire sanctuarisé, et non réduit de façon drastique.

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