Nos collègues Christophe Caresche, Philip Cordery et Marc Laffineur - qui remplaçait Pierre Lequiller -, et moi-même, nous sommes rendus les 3 et 4 décembre dernier, au nom du Bureau de notre commission, à Bruxelles auprès des institutions européennes. Reprenant une initiative décidée à l'automne 2011, ces missions du bureau de la Commission auprès des institutions européennes, qui permettent d'échanger sur les principaux dossiers d'actualité européenne et de nouer et d'entretenir des contacts étroits avec nos interlocuteurs naturels, ont vocation à se renouveler, sans doute à un rythme annuel.
Nous avons tout d'abord rencontré le président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, qui nous a notamment exposé les principales orientations du rapport sur l'Union économique et monétaire renforcée qu'il s'apprêtait à soumettre aux chefs d'État et de gouvernement. Soulignant l'amélioration du climat européen, puisqu'il intervenait avant les récents évènements italiens, il a estimé raisonnable d'envisager une amélioration sur le front économique au second semestre 2013 avec le retour progressif de la confiance, dont j'espère qu'elle ne sera pas ébranlée par l'actualité récente. Il a relevé que l'Union doit désormais s'attacher au moyen et long terme et trancher sur des questions décisives. Dans ce contexte, l'essentiel à ses yeux est d'avancer, même modestement, sur l'ensemble des sujets sur la table, pour montrer que l'Europe tire toutes les leçons de la crise.
L'union bancaire lui apparaît en bonne voie, les questions pendantes sur la supervision commune - relations entre les 17 et les 27, agenda de mise en place - étant en passe d'être tranchées. L'essentiel est désormais que la Commission européenne assume pleinement son rôle moteur en déposant des propositions précises, sans tarder, sur les prochaines étapes de l'union bancaire, la garantie commune des dépôts et le mécanisme de résolution des crises.
Le Président Van Rompuy a ensuite estimé que les progrès seront plus difficiles sur l'union budgétaire. Il a relevé que l'Union est déjà « allé très loin » sur la discipline budgétaire, le 2-pack lui apparaissant notamment ambitieux. En parallèle, il a estimé que peu d'avancées sont envisageables à court terme sur la question de la mutualisation des dettes, qu'elles prennent la voie des obligations communes à court terme (« t-bills ») ou à long terme (eurobonds) opportunément proposées par la Commission européenne le 28 novembre, dans sa feuille de route pour l'UEM, dans la mesure où de telles initiatives requiert, à ses yeux, une modification des traités et surtout l'accord des États membres. Dans un même esprit, la perspective de la constitution d'une capacité budgétaire de la zone euro ne doit surtout pas être abandonnée, qu'elle permette, par des incitations appropriées, d'« encourager » les réformes structurelles ou qu'elle compense les chocs asymétriques, via par exemple l'idée française d'une mutualisation des assurances chômage, qui soulève toutefois de très complexes difficultés d'harmonisation entre des régimes nationaux très disparates.
Abordant les discussions sur le cadre financier pluriannuel, il a indiqué ne pas voir, à ce stade, de « volonté très nette d'aboutir » à très court terme, bien que la position de certains États, en particulier la France et l'Italie qu'il estime tout à fait méritoires à ne pas demander de rabais et à porter une ambition pour le budget européen, puisse permettre de débloquer les choses. Rien ne serait plus dangereux, à ses yeux, que de distraire le Conseil européen par des marchandages annuels sur les budgets européens, ce qui implique de rapidement se doter des perspectives pluriannuelles consensuelles.
De manière plus générale, sur l'union économique, c'est-à-dire la plus étroite coordination des politiques économiques nationales, M. Van Rompuy nous a présenté sa proposition d'« engagements contractuels », reprise par la feuille de route présentée par la Commission, grâce à laquelle les États membres s'engageraient auprès de l'Union sur des politiques économiques précises, en contrepartie d'incitations appropriées, l'essentiel étant de trouver des mécanismes « positifs » pour s'assurer que les pays mettent en place des mesures bénéfiques à toute la zone.
Sur la légitimité démocratique, le président du Conseil européen a souligné que la méthode intergouvernementale, fortement sollicitée pendant la crise, atteint sans doute ses limites, exigeant le relai rapide de procédures plus communautaires. De manière générale, il a estimé que les contrôles démocratiques devaient être renforcés à leur niveau naturel : les parlements nationaux contrôlant les décisions de leurs gouvernements et le Parlement européen débattant des sujets proprement européens. Une coopération interparlementaire réunissant ces deux acteurs serait aussi utile, M. Van Rompuy ayant manifesté un important intérêt pour les propositions de l'Assemblée nationale relatives à la Conférence budgétaire.
Le vice-président de la Commission européenne chargé des relations interinstitutionnelles, M. Maroš Šefčovič, que nous avons rencontré mardi matin, nous a à son tour fait part de l'importance que revêt aux yeux de la Commission une pleine implication des parlements nationaux dans les affaires européennes, d'ailleurs en progrès constants dont témoignent la croissance des opinions transmises à la Commission par le parlements, de 600 en 2011 à 700 depuis le début de l'année 2012. Il nous a confirmé la disponibilité de l'ensemble des Commissaires à participer à nos travaux, au moment les plus opportuns : par exemple lors de la transmission des recommandations de la Commission sur les programmes de stabilité et de réforme, en juin, ou de la présentation du programme de travail annuel de la Commission, en novembre. Dans cet esprit, il a salué la résolution de l'Assemblée nationale sur la conférence budgétaire, estimant toutefois que sa concrétisation implique de délicates négociations afin de trouver un « équilibre acceptable » entre les préoccupations des parlements nationaux et du Parlement européen.
Sur le cadre financier pluriannuel, se félicitant du soutien de notre Commission des affaires européennes aux propositions initiales de la Commission européenne, « très raisonnables » à ses yeux en ce qu'elles se contentaient de prolonger, sans l'augmenter, le budget atteint en 2013, il a regretté la surenchère de « coupes aveugles » à laquelle se livrent de nombreux États, relevant en particulier dans les critiques relatives aux dépenses de fonctionnement des institutions, pourtant limitées à 6 % et assises sur des efforts d'économies très substantielles liées notamment à la réforme du statut des fonctionnaires européens qu'il a proposé - dont certaines mesures, liées à l'augmentation du temps de travail à 40 heures ou au passage à la retraite de 65 à 67 ans, suscitent pourtant mon inquiétude - une volonté d'« affaiblir les institutions communes ».
Présentant la feuille de route de la Commission européenne pour l'UEM, présentée le 28 novembre, M. Šefčovič a notamment plaidé pour que la zone euro se dote rapidement d'une capacité budgétaire apte à absorber les chocs asymétriques et soutenir les États menant des réformes structurelles ambitieuses. Il a souligné qu'un tel budget devra reposer sur des ressources propres, ce qui suppose que les États consentent à donner à l'Union les moyens d'agir. L'expérience de la future taxe sur les transactions financières, dont il estime que le tiers des recettes pourrait opportunément abonder le budget européen, sera extrêmement instructive à cet égard.
Le Commissaire a enfin convenu que le risque principal auquel est aujourd'hui confronté le Collège est ce qu'il a qualifié d'« étiquette de l'austérité » collée, à ses yeux injustement, aux actions portées par la Commission. Il a ainsi indiqué que, dans les faits, son institution a une approche beaucoup plus nuancée que les médias ne veulent bien le dire, luttant par exemple, au sein des « troïkas » chargées d'évaluer les progrès des États bénéficiant de l'assistance financière européenne, pour atténuer la rigueur de mesures âprement demandées par des institutions pourtant plus prompte publiquement à flétrir l'austérité. De même, il a indiqué, ne citant toutefois explicitement que le Portugal et l'Espagne, que la Commission est disposée à prolonger les délais de retour des finances publiques sous le plafond des 3% de déficits si la conjoncture se dégrade.
Au nom de notre bureau, j'ai invité le commissaire Šefčovič à venir devant notre commission dans le courant du printemps.
Nos échanges avec les représentants du Parlement européen nous ont enfin permis de constater une très forte appétence pour un travail plus étroit entre eurodéputés et députés nationaux, ainsi qu'une forte prise de conscience de la nécessité pour l'Europe de franchir un nouveau cap dans l'intégration politique et économique.
Sur le cadre financier pluriannuel, l'ensemble de nos interlocuteurs a regretté le manque d'ambition du Conseil européen, Mme Isabelle Durant - vice-présidente du Parlement européen, appartenant au groupe Europe Ecologie Les Verts - soulignant en particulier la nécessité d'introduire une clause de renégociation à moyen terme dans les perspectives financières pour pouvoir abonder les ressources de l'Union lorsque la conjoncture économique se sera redressée et MM. Guy Verhofstadt (président de l'ADLE) et Jean-Paul Besset - Europe Ecologie Les Verts - confirmant la volonté du Parlement européen de peser de tout son poids dans les négociations en refusant, si nécessaire, d'approuver des perspectives financières qui se révèleraient trop éloignées des besoins de l'Union.
Sur le renforcement de l'UEM, M. Guy Verhofstadt a estimé que l'on était loin d'être sorti d'une crise qu'il estime essentiellement politique, tant que ne seront pas abordées les questions vitales pour l'Union et que ne sera pas tracé un cap vers une union politique approfondie.
Pour MM. Guy Verhofstadt et Jean-Paul Besset, l'urgence commande de mettre rapidement fin à la dérive mortelle des taux d'intérêt dans les États les plus vulnérables, le premier plaidant pour la constitution rapide d'un fond d'amortissement des dettes accumulées depuis 2008 abondé par de réels eurobonds.
De même, l'Europe n'a aucune chance de lutter efficacement contre les failles de son union monétaire sans se doter d'une réelle capacité budgétaire. Or, une capacité budgétaire suppose des ressources pérennes, et propres. Pour débuter, M. Guy Verhofstadt a estimé ainsi décisif de s'assurer que le budget européen soit financé essentiellement par des recettes propres, via par exemple l'affectation directe d'une fraction de la TVA sur le modèle de ce qui se passe aux États-Unis aujourd'hui. Dans un esprit comparable, il lui apparaît essentiel que la taxe sur les transactions financières soit perçue au niveau européen, afin de constituer l'ébauche d'une trésorerie commune.
Ces progrès n'impliquent en rien une modification des traités, dès lors que les instruments mis en place sont, comme le FESF, « temporaires ». Il sera ensuite temps, « probablement en 2015 », de convoquer une Convention, dont la nécessité a été confirmé par M. Jean-Paul Besset et Mme Isabelle Durant. Le nouveau traité ainsi défini n'a toutefois de chance d'être adopté, pour M. Guy Verhofstadt, que si l'on s'écarte de la voie des ratifications unanimes, par exemple en organisant un référendum commun dans toute l'Union, les États dans lesquels la majorité aura voté « non » devant ensuite se prononcer sur la sortie de l'Union.
S'agissant enfin de la coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux, et particulièrement la concrétisation de la Conférence budgétaire, M. Jean-Paul Besset a relevé le risque que fait peser à l'Europe une différentiation institutionnelle trop marquée entre la zone euro et l'Union à 27, l'ensemble des interlocuteurs convenants toutefois de l'importance de rapprocher les acteurs parlementaires pour peser sur une coordination économique européen trop exclusivement intergouvernementale.
Enfin plusieurs parlementaires européens du groupe Europe Ecologie les Verts, que j'ai rencontrés mardi matin, m'ont redit leur attachement à un renforcement de la coopération avec l'Assemblée nationale. Ils ont notamment évoqué les réformes envisagées dans le domaine des transports et de la politique régionale.