Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 15 janvier 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, co-rapporteure :

Avant de vous présenter le dispositif proposé par la Commission européenne, je voulais rappeler que le principe de réciprocité est porté largement, et depuis quelques années déjà, par la France. Il n'y a donc pas sur ce sujet de clivage politique. Ainsi, depuis 2010 qu'il est commissaire européen au marché intérieur, M. Michel Barnier a été très actif pour promouvoir cette notion au sein des institutions européennes et il a ainsi contribué à convaincre le commissaire au commerce extérieur De Gucht de son bien-fondé. Michel Barnier déclarait « Si nous sommes repliés derrière nos frontières, nous sommes chacun et tous foutus…Il ne s'agit pas de fermer nos marchés ou de se replier. Il y a des millions d'emplois en France qui dépendent de l'exportation. Il s'agit d'obtenir que les autres ouvrent réciproquement leurs marchés ».

Alors qu'elle était ministre des finances et de l'industrie, Mme Christine Lagarde avait plaidé pour plus de fermeté et de réciprocité en matière commerciale au bénéfice de l'Union européenne .

Dans une tribune du journal « Le Monde » du 9 février 2011, les ministres de cinq pays membres de l'Union européenne dont la France demandait une « meilleure réciprocité entre l'Union européenne et ses partenaires commerciaux ».

Le Parlement français n'est pas demeuré en reste et je me permets de rappeler que la Commission des affaires européennes dans le rapport sur les relations entre l'Union européenne et la Chine que j'ai eu l'honneur de présenter, conjointement avec M. Jérôme Lambert, appelait « la Commission européenne à prendre une initiative sur les marchés publics afin de clarifier les règles européennes permettant d'encadrer les offres anormalement basses et l'utilisation d'aides d'Etat et de définir le traitement des entreprises n'ayant pas souscrit à l'accord plurilatéral sur les marchés publics et d'introduire une clause de réciprocité prévoyant que l'Union européenne n'ouvre ses marchés que si le pays tiers accorde un accès comparable et effectif à ses marchés publics ».

Le projet de règlement consiste en une redéfinition du périmètre d'ouverture des engagements plurilatéraux et bilatéraux de l'Europe. Pour les entreprises d'un pays dont les marchés publics sont fermés, l'ouverture des marchés publics européens sera conditionnelle.

Ce dispositif s'appuie sur deux piliers. Le premier visé aux articles 5 et 6 de la proposition est décentralisé et applicable par les États membres. Au-dessous d'un seuil de 5 millions d'euros, aucune mesure restrictive à l'égard des entreprises étrangères ne sera autorisée. En revanche, pour un marché public d'un montant supérieur à ce seuil, l'État ou toute autre entité publique pourra exclure des sociétés non européennes en provenance d'un pays dont les marchés restent fermés aux européens, à condition que l'État concerné introduise une demande auprès de la Commission qui décidera de son fondement. Cette exclusion doit concerner les offres dans lesquelles la valeur des produits et des services non couverts par les engagements internationaux représente plus de 50 % de la valeur totale de ces produits et services contenus dans l'offre. La procédure est très encadrée. D'abord, le pouvoir adjudicateur doit avoir averti les soumissionnaires de la menace d'exclusion et doit notifier à la Commission cette volonté d'exclusion au moment de la réception des offres. Par ailleurs, la Commission européenne doit donner son accord dans un délai de deux mois, soit sur la base un accord international prévoyant les réserves explicites formulées par l'Union pour l'accès à ces marchés, soit en l'absence d'un tel accord, sur la constatation de mesures entraînant un manque de réciprocité « substantielle ». Cette situation sera présumée lorsque les mesures restrictives se traduisent par des « discriminations graves et persistantes » à l'égard des opérateurs économiques de l'Union.

Le deuxième pilier qui fait l'objet des articles 8 et 9 de la proposition est centralisé au sein de la Commission européenne,. Par auto saisine, à la demande d'un Etat membre ou des parties intéressées, c'est-à-dire des entreprises, la Commission dispose d'un pouvoir d'enquête dès lors qu'elle estime une telle action va dans le sens des intérêts de l'Union. Il s'agit d'un instrument applicable en trois étapes, dans lequel la voie de la négociation est dans un premier temps privilégiée, une dernière étape se caractérisant par l'adoption de mesures restrictives. Si la Commission constate, après enquête, qu'un partenaire commercial empêche les entreprises européennes à répondre à des appels d'offres, elle entamera des négociations avec le Gouvernement concerné pour y remédier. Si l'État concerné refuse la concertation ou si quinze mois après, celle-ci ne donne pas de résultats satisfaisants, la Commission prendra des mesures restrictives à l'égard des entreprises originaires du pays qui ne pourront plus répondre aux appels d'offres au sein de l'Union. Les critères de réciprocité substantielle seront les mêmes que dans le cadre du premier pilier. En outre, le projet renforce la surveillance des offres anormalement basses et fait obligation aux entités adjudicatrices de notifier aux soumissionnaires leur intention d'accepter une offre anormalement basse issue d'un pays fermé.

Ce projet de règlement constitue une proposition de base acceptable. Il faut toutefois souligner que la portée de ce dispositif, entre les mains de la Commission européenne, dépendra de la volonté politique de celle-ci et donc des Etats membres à le mettre en oeuvre. Par ailleurs , des améliorations devront être apportées afin de garantir une application effective du principe de réciprocité. Deux aspects devront faire l'objet d'un examen attentif notamment sur les délais de mise en oeuvre car les phases de consultation et d'enquête menées par la Commission ne doivent pas ajouter pas de délais inutiles. Par ailleurs, les mécanismes relatifs aux offres anormalement basses devraient être plus opérationnels afin de contribuer à établir des règles plus équitables s'agissant des règles sociales et environnementales et des règles liées aux aides d'État. En effet, les marchés publics sont une commande publique qui n'est pas seulement soumise aux critères de prix.

Il permettra à la Commission européenne de se ménager des marges de manoeuvre en matière de politique commerciale. Elle disposera d'un levier permettant de faire pression sur ses partenaires dont les marchés publics sont fermés. Cela pourra les inciter à rejoindre l'Accord plurilatéral, comme dans le cas de la Chine dont les offres ont été pour le moment jugées insuffisantes pour être partie à cet accord.

Par ailleurs, dans le cadre des accords bilatéraux en cours de négociation, les marchés publics feront partie de l'équilibre global de la négociation. En effet, l'Union européenne n'a pas intégré d'emblée un volet « marchés publics » dans le cadre de ses rapprochements commerciaux bilatéraux. Ainsi dans les négociations du projet d'accord avec le Canada, l'Union européenne avait souhaité qu'une des conditions de l'accord soit un accès réciproque aux marchés publics canadiens, dans la mesure où dans le cadre de l'AMP, le Canada a exclu une grande partie des marchés publics dans les provinces. Des entreprises comme Alstom sont donc exclues des marchés publics dans des provinces importantes. Dans la perspective de l'ouverture de négociations avec les Etats-Unis et le Japon, cet instrument est indispensable.

Ce texte permettra en outre de clarifier le cadre européen dans la mesure où certains États membres comme l'Espagne, l'Autriche, la Hongrie, l'Italie et le Royaume Uni ont pris des mesures de protection contre les soumissionnaires des pays tiers. Les incertitudes juridiques quant à la compatibilité de ces mesures nationales avec les engagements de l'Union créent un risque de fragmentation du marché intérieure et de distorsions intra-communautaires.

Je souligne que ce dispositif n'est en aucun cas protectionniste. En effet, cette question est largement débattue. Si 10 États le soutiennent, 15 États membres dont l'Allemagne et le Royaume-Uni s'opposent à ce projet, le jugeant protectionniste et craignant une perte de crédibilité de l'Union européenne dans sa lutte contre l'établissement de nouvelles mesures protectionnistes. L'Allemagne redoute notamment des mesures de représailles.

Ce projet affirme clairement le principe d'ouverture de l'Union européenne qui sera inscrit dans le droit européen. Il s'agit de créer un outil au service de la politique commerciale pour convaincre les pays fermés d'ouvrir leurs marchés publics Cette initiative n'est pas comparable aux clauses « buy american » ou « buy chinese » qui sont des clauses unilatérales et visent à la fermeture de secteurs à la concurrence internationale. C'est un instrument correctif qui sera utilisé dans les cas où les pays tiers refusent l'accès à leurs marchés afin de faire pression et créer un rapport de force plus favorable à l'Union européenne. La Commission a la maîtrise du dispositif et les sanctions ne seront pas automatiques. Ceci devrait être de nature à rassurer les Etats frileux quant au principe de réciprocité.

En effet, les États membres sont divisés et l'adoption du projet s'annonce difficile. Le rôle du Parlement européen sera majeur, dans le cadre de ses compétences en matière commerciale inscrites dans le Traité de Lisbonne. La Commission du commerce extérieur, chargée de l'examen du texte à titre principal, devrait être sensible au renforcement de la position de négociation que permettra ce texte.

Il est donc important que notre commission des affaires européennes manifeste son entier soutien à l'initiative de la Commission. Nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution européenne suivante.

J'ajouterai que notre Commission devra veiller à la cohérence de l'ensemble des textes sur la passation des marchés publics et que soit conservée la mention de la réciprocité.

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