Intervention de Christophe Léonard

Réunion du 6 février 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Léonard, rapporteur :

Monsieur le Président, Mes chers Collègues, alors que l'ordre du jour du Conseil européen de demain est consacré aux négociations du cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2014-2020, il nous a semblé important, à Sophie Rohfritsch et moi-même, de faire le point sur la question de l'enveloppe financière consacrée à la politique de cohésion, qui est, je le rappelle, le deuxième poste de dépenses communautaires après la PAC. L'issue des négociations de demain est importante, car sans accord les discussions sur le nouveau périmètre de la politique de cohésion ne pourront commencer, ce qui hypothéquerait grandement les chances de voir la nouvelle architecture mise en oeuvre comme prévu au premier janvier 2014.

Le 6 octobre 2011, la Commission européenne a adopté un ensemble de propositions législatives relatives à la politique de cohésion de l'Union européenne pour la période 2014-2020. Ces mesures législatives portent sur le règlement général et les règlements spécifiques des cinq fonds européens du paquet cohésion. Cette adoption a fait suite à la proposition, formulée par la Commission européenne le 29 juin 2001, de doter la politique de cohésion, pour la période 2014-2020, de 376 milliards d'euros, soit un budget globalement inchangé par rapport à 2007-2013. Le 22 novembre dernier, cette proposition a été ramenée par le président du Conseil européen, Monsieur Herman Van Rompuy, à une enveloppe nettement inférieure, ventilée comme suit : 161 milliards d'euros pour les régions les moins développées (PIB<75 % moyenne de l'UE), 31 milliards pour les régions en transition (75 % moyenne UE90 % moyenne de l'UE), ainsi que 8,7 milliards pour la coopération territoriale, 1,3 milliard d'allocation spéciale pour les régions ultra-périphériques (RUP), 66 milliards pour le Fonds de cohésion, soit un total de 320 milliards d'euros environ.

Afin d'accroître l'efficacité des dépenses de cohésion, la Commission européenne souhaite par ailleurs mettre en place un certain nombre d'obligations et de conditions. Il s'agit, d'une part, de concentrer les dépenses sur un certain nombre d'objectifs thématiques liés à la stratégie Europe 2020, conformément aux souhaits exprimés par le Parlement européen, afin d'orienter les actions des États membres en prévoyant des taux minimum d'investissement dans certains objectifs. Le nouveau règlement prévoit ainsi onze objectifs thématiques : renforcer la recherche, le développement technologique et l'innovation ; améliorer l'accessibilité aux technologies de l'information et de la communication et leur utilisation; améliorer la compétitivité des PME ; soutenir le passage à une économie faible en carbone dans tous les secteurs ; promouvoir l'adaptation au changement climatique, la prévention et la gestion des risques ; protéger l'environnement et promouvoir l'utilisation efficace des ressources ; promouvoir un système de transport durable et éliminer les goulets d'étranglement dans les infrastructures clés du réseau de transport ; promouvoir l'emploi et soutenir la mobilité du travail ; promouvoir l'inclusion sociale et combattre la pauvreté ; investir dans l'éducation, les compétences et l'apprentissage tout au long de la vie et renforcer la capacité institutionnelle et l'efficacité de l'administration publique. Les États membres devront choisir entre ces onze objectifs, qui se déclinent en priorités d'investissement.

D'autre part, le règlement prévoit des taux minimum d'investissement. Par exemple, pour les régions les plus développées et les régions en transition, au moins 80 % de l'enveloppe FEDER devra être consacrée aux trois priorités d'investissement suivantes : « le passage à une économie faible en carbone », « la compétitivité des PME », « la recherche, le développement technologique et l'innovation ».

Enfin, la Commission souhaite instaurer trois conditions à l'octroi des fonds. La première est la conditionnalité macro-économique : les États faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif pourront subir une suspension des fonds. La deuxième est dite « conditionnalité ex ante » : la Commission a listé les conditions qu'elle estime nécessaires pour que les fonds soient efficaces, lesquelles correspondent globalement au respect de la réglementation existante. Par exemple, pour l'objectif « renforcement de la compétitivité des entreprises », l'État membre devra avoir mis en place les mesures qui permettent de créer une entreprise en trois jours et à moins de 100 euros. Si les conditions ne sont pas remplies, les Etats devront préciser les mesures à prendre pour y remédier avant fin 2016. La Commission se réserve le cas échéant la possibilité de ne pas verser les fonds. Enfin, la « conditionnalité ex post » est, quant à elle, liée à la performance des programmes. La Commission prévoit ainsi une réserve de performance de 5 % du budget, qui sera mise de côté et distribuée après évaluation en 2017 et 2019 aux programmes qui remplissent leurs objectifs, tandis qu'une partie des financements pourra être suspendue, voire supprimée, si les évaluations mettent en évidence un manque de résultats.

Deux sujets cristallisent actuellement les discussions : le montant global de l'enveloppe allouée à la politique de cohésion, et la conditionnalité macro-économique.

Les discussions au sein du Conseil européen ont fait apparaître une fracture très nette entre les États « amis de la cohésion », emmenés par la Pologne, qui souhaitent au minimum le maintien de la dotation existante, et les « amis du dépenser mieux », dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui réclament des coupes nettes et dénoncent les gaspillages – ils s'appuient en cela sur le rapport publié le 25 avril 2012 par la Cour des comptes européenne qui juge sévèrement le manque de suivi à Bruxelles des projets subventionnés – appellent à la nécessaire rigueur financière, et fustigent une forme d'addiction économique des grands bénéficiaires de cette politique, dont la croissance dépendrait trop de Bruxelles.

La politique de cohésion a donc au fil des discussions du cadre financier 2014-2020 vu son enveloppe budgétaire prévisionnelle baisser de plus de 50 milliards d'euros, au détriment principalement des régions les plus favorisées et des régions en transition.

A ce stade, le Parlement européen et le Comité des régions sont pour leur part pour le maintien « à tout le moins » des montants actuellement consacrés à la politique de cohésion. Il convient de rappeler à cet égard qu'aux termes de l'article 312 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne, l'adoption du règlement final requiert l'approbation du Parlement européen.

Par ailleurs, États comme collectivités, en particulier en France, sont vent debout contre la conditionnalité macro-économique qui a été supprimée par amendement par le Parlement européen le 11 juillet 2012. Le Parlement considère que « les régions ne doivent pas être punies pour des erreurs commises par les Etats membres », conformément à ce qu'a déclaré Mme Constanze Krehl, eurodéputée allemande, rapporteure sur le texte. De son côté, le Comité des régions n'est pas hostile à des conditions ex ante, mais pas de nature macroéconomique. Il partage donc à cet égard le point de vue du Parlement européen et estime que la macro-conditionnalité va pénaliser les régions par rapport à d'éventuelles déviances de l'État. Le sujet demeure tendu. Rencontré il y a trois semaines à Bruxelles, les fonctionnaires de la Commission ont indiqué cependant que la conditionnalité macro-économique ne devait pas être entendue comme une obligation de résultat mais comme une obligation de moyens. La plupart des pays y étant favorables, la conditionnalité macroéconomique devrait être adoptée.

L'objectif recherché par la nouvelle politique de cohésion 2014-2020 est d'améliorer l'efficacité de la dépense européenne. A ce titre, la mise en oeuvre de conditionnalités par la Commission peut être regardée comme un progrès, à l'exception de la conditionnalité macroéconomique, en ce qu'elle renvoie à l'assujettissement des politiques budgétaires nationales à l'appréciation de l'exécutif européen et peut, par conséquent, pénaliser des échelons administratifs qui ne sont pas directement responsables d'éventuels déficits globaux constatés à l'échelon national.

Cette recherche de la performance est toutefois contrebalancée par la perspective d'une baisse du budget de la politique de cohésion, qui s'inscrit elle-même dans une baisse globale du cadre financier.

En effet, si la proposition initiale de la Commission européenne s'élevait à 376 milliards d'euros, le budget alloué à la cohésion a fait l'objet d'un arbitrage à 320 milliards d'euros au 23 novembre 2012, à comparer avec les 355 milliards d'euros alloués à la cohésion sur l'exercice 2007-2013, soit une baisse de près de 10 % en euros constants. Par ailleurs, alors que le budget de la cohésion représentait environ 36 % du budget total de l'Union sur la période budgétaire précédente, la proposition actuelle le porterait aux alentours de 32 %, ce qui constitue une illustration du primat de la logique budgétaire sur la politique européenne.

En outre, dans le détail du budget de cohésion, il apparaît, comme cela nous a été indiqué lors de nos auditions à Bruxelles, que la coopération transfrontalière, pour laquelle la Commission avait proposé initialement une augmentation de 30 % de la ligne budgétaire (soit 10 milliards d'euros), a malheureusement constitué la variable d'ajustement dans la négociation budgétaire entre États membres.

Cet arbitrage s'inscrit manifestement dans un mouvement global de recul de certains instruments tels que le Fonds d'ajustement à la mondialisation, le Fonds européen d'aide aux plus démunis, ou le programme Erasmus, dont les légitimités sont aujourd'hui contestées, et la pérennité menacée, du fait d'une tendance lourde au repli sur soi de la part des États membres en période de crise économique et budgétaire. Chaque État privilégie en effet in fine les dépenses dont il bénéficie aujourd'hui plutôt que celles dont il pourrait bénéficier demain dans une Europe davantage tournée vers la recherche et la croissance.

A l'échelle de la France, la performance de l'utilisation des crédits européens sera aussi fonction des modalités de gestion qui seront choisies dans le futur acte III de la décentralisation – comme je l'indiquais dans ma communication du 12 décembre dernier – ainsi que, sans doute, de l'amélioration et de la simplification des procédures, la complexité de l'utilisation des fonds européens étant souvent due à la réglementation nationale surajoutée.

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